QPC sur la loi fiscale néocalédonienne

Publié le 04/02/2020
QPC sur la loi fiscale néocalédonienne
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Le Conseil constitutionnel censure la loi fiscale de Nouvelle-Calédonie qui plafonne la déductibilité fiscale des frais généraux des entreprises ayant leur siège social ou leur direction effective en dehors de la Nouvelle-Calédonie, en ce qu’elle ne permet pas aux entreprises d’apporter la preuve que la part de ses frais généraux qui excède le montant de 5 % de ses services extérieurs ne correspond pas à un transfert indirect de bénéfices.

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la Constitution d’une loi fiscale de Nouvelle-Calédonie, qui prévoit le plafonnement de la déductibilité fiscale des frais généraux des entreprises ayant leur siège social ou leur direction effective en dehors de la Nouvelle-Calédonie (Cons. const., 7 janv. 2020, déc. n° 2019-819 QPC).

La loi du pays

Rappelons que la Nouvelle-Calédonie est une collectivité d’outre-mer (COM) à statut particulier, dotée d’une large autonomie. Son cadre juridique fait l’objet d’un titre spécial au sein de la Constitution (le titre XIII).

L’article 22 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie donne compétence à la collectivité outre-marine en matière fiscale, précisément pour les « 1° Impôts, droits et taxes perçus au bénéfice de la Nouvelle-Calédonie ; création ou affectation d’impôts et taxes au profit de fonds destinés à des collectivités territoriales, d’établissements publics ou d’organismes chargés d’une mission de service public ; création d’impôts, droits et taxes au bénéfice des provinces, des communes, des établissements publics de coopération intercommunale ; réglementation relative aux modalités de recouvrement, au contrôle et aux sanctions ».

L’article 107 de la loi organique de 2009 prévoit que les « lois du pays » (LP) peuvent être déférées au Conseil constitutionnel avant leur promulgation (5 à ce jour). En revanche, elles ne sont susceptibles d’aucun recours après leur promulgation. L’article 107 prévoit également que « Les dispositions d’une loi du pays peuvent faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité, qui obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-12 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ». L’ensemble des droits et libertés garantis par la Constitution intéressant la matière fiscale peuvent être invoqués dans le cadre d’une QPC à l’encontre d’une loi du pays.

Par ailleurs, son article 107 prévoit que les lois du pays ont force de loi dans le domaine défini à l’article 99, qui vise notamment les « Règles relatives à l’assiette et au recouvrement des impôts, droits et taxes de toute nature ». Or de nombreuses dispositions du Code des impôts de la Nouvelle-Calédonie n’ont pas valeur législative, car elles ont été adoptées avant l’entrée en vigueur de la loi organique du 19 mars 1999.

Déductibilité fiscale plafonnée pour les entreprises ayant leur siège en dehors de la Nouvelle-Calédonie

La société Casden Banque populaire SA, jointe par BNP Paribas Nouvelle-Calédonie, met en cause l’article 21 du Code des impôts de la Nouvelle Calédonie, dans sa rédaction résultant de la loi du pays n° 2015-5 du 18 décembre 2015. Les dispositions litigieuses plafonnent la déductibilité fiscale des frais généraux encourus par les entreprises ayant leur siège social ou leur direction effective en dehors de la Nouvelle-Calédonie « dans la limite de 5 % du montant des services extérieurs, au sens de la comptabilité privée, nécessités par lesdites activités ». La loi confie à un arrêté du gouvernement le soin de préciser les services extérieurs à prendre en compte pour l’application de cette disposition.

En outre, la loi prévoit qu’« À la première demande de l’administration, une justification de l’intérêt des frais pour l’entreprise exploitée en Nouvelle-Calédonie est produite dans un délai de trois mois. À défaut, la condition mentionnée au 1. est réputée non satisfaite. 2. Si l’obligation déclarative (…) n’est pas spontanément remplie, les documents requis sont transmis à la première demande de l’administration dans un délai de trente jours à compter de la réception de celle-ci. À défaut la condition est réputée non satisfaite. Lorsque les conditions mentionnées aux 1. et 2. ne sont remplies, la quote-part des frais déduite est réintégrée au revenu imposable sans notification de redressement préalable ».

Contexte économique

Me Gilles Especel, avocat à la Cour, Overeed qui répresente Casden, rappelle le contexte de l’adoption de la mesure incriminée. « Pour favoriser l’investissement en Nouvelle-Calédonie dans le domaine métallurgique et minier, une délibération a rendu les « frais de siège » déductibles du bénéfice imposable des filiales et établissements stables situés en Nouvelle-Calédonie et ce, sans limitation de montant. 30 ans plus tard, en 2005 une loi du pays confère à l’administration fiscale de Nouvelle-Calédonie, la possibilité de réintégrer les frais de sièges de ces bénéfices imposables à deux conditions : caractère excessif et si pas pris dans l’intérêt de l’entreprise. En 2012, puis en 2015, le législateur néocalédonien du pays institue un plafond de déductibilité de ces services extérieurs ».

Pour les avocats des requérants, la mesure répond en réalité à un motif de rendement, comme il ressort des États généraux économiques et sociaux de la Nouvelle-Calédonie en 2013. Elle devait avoir pour effet d’inciter, lorsque cela est justifié et possible, le recours à des prestataires locaux afin de pouvoir déduire, sans limitation, les frais de siège.

Différence de traitement

La banque requérante soutient que le plafonnement porte atteinte aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par l’article 6 de la Déclaration de 1789, et que la différence de traitement ainsi instituée entre les sociétés selon qu’elles sont liées ou non à une société installée à l’étranger ne repose sur aucun critère objectif et rationnel en rapport avec l’objet de la loi. Sur ce point, le Conseil constitutionnel a admis qu’en effet, « les dispositions contestées instituent une différence de traitement entre les entreprises, pour la déductibilité de leurs frais généraux, selon que le siège social, la direction ou l’entreprise à laquelle elles sont liées, auquel ces frais ont été payés, est situé ou non hors du territoire de la Nouvelle-Calédonie ». Mais il considère que le législateur néocalédonien du pays a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, en cherchant à lutter contre les transferts indirects de bénéfices consistant, pour les entreprises établies en Nouvelle-Calédonie, à réduire leur bénéfice imposable en surévaluant le montant des frais généraux qu’elles acquittent à des entreprises situées hors de ce territoire avec lesquelles elles entretiennent des liens.

Ensuite, selon la banque, le dispositif a créé une présomption irréfragable de fraude en privant les entreprises ayant leur siège social ou leur direction effective en dehors de la Nouvelle-Calédonie de la possibilité d’établir que les frais qu’elles ont engagés ne l’ont pas été dans un but d’évasion fiscale. Le Conseil constitutionnel répond que le législateur s’est fondé sur des critères objectifs et rationnels pour établir cette présomption de transfert indirect de bénéfices. Il a tenu compte des possibilités de transferts indirects de bénéfices dont disposent ces entreprises en raison de la nature des liens qu’elles entretiennent avec des entreprises situées hors de la Nouvelle-Calédonie à l’égard desquelles l’administration ne dispose pas des mêmes pouvoirs de vérification et de contrôle que sur les entreprises situées en Nouvelle-Calédonie.

Caractère confiscatoire et rétroactivité

La société requérante fait également valoir que la réintégration, dans le résultat imposable en Nouvelle-Calédonie, de la part non déductible des frais généraux conduirait à une triple imposition confiscatoire dès lors que ce résultat est soumis à l’impôt sur les sociétés et activités métallurgiques ou minières, à la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés au titre des montants distribués et à l’impôt sur le revenu des valeurs mobilières.

La société requérante soutient, par ailleurs, que l’application de ce plafonnement aux exercices comptables en cours lors de son entrée en vigueur présenterait un caractère rétroactif contraire à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Le Conseil constitutionnel écarte également ce grief au motif que « l’application des dispositions contestées aux exercices comptables qui n’étaient pas encore clos à la date de leur entrée en vigueur n’affecte pas des situations légalement acquises et ne remet en cause aucun effet qui pouvait légitimement être attendu de situations nées sous l’empire de textes antérieurs ».

Incompétence négative

Enfin, la société requérante estime que la loi du pays du 18 décembre 2015 serait entachée d’incompétence négative dès lors qu’elle renvoie à un arrêté le soin de définir la notion de « services extérieurs ». Cette incompétence négative affecterait le droit de propriété et la liberté d’entreprendre. Le Conseil constitutionnel écarte ce grief, faisant valoir que la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence dans la détermination de l’assiette ou du taux d’une imposition n’affecte par elle-même aucun droit ou liberté que la Constitution garantit.

Conformité sous réserve de la possibilité de justifier la réalité des frais

S’il valide le principe d’une différence de traitement, le Conseil constitutionnel, dans son paragraphe 21, introduit toutefois une réserve au sujet de la présomption irréfragable contenue par le dispositif. « Ces dispositions ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au principe d’égalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que l’entreprise soit autorisée à apporter la preuve que la part de ses frais généraux qui excède le montant de 5 % de ses services extérieurs ne correspond pas à un transfert indirect de bénéfices. Sous cette réserve, les dispositions contestées, qui ne conduisent par ailleurs pas à une imposition confiscatoire, ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant les charges publiques ».

Il déclare donc les mots « dans la limite de 5 % du montant des services extérieurs, au sens de la comptabilité privée » conformes à la Constitution, sous la réserve énoncée au paragraphe 21.