Quel avenir pour la retenue à la source ?

Publié le 13/12/2017

Les  conclusions des trois rapports commandés avant l’été dans le cadre de  la mise en œuvre du prélèvement à la source sont désormais connues. Globalement positives, elles confirment la nécessité de reporter d’un an la réforme.

La loi de finances pour 2017 a prévu les modalités de mise en œuvre du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu à compter du 1er janvier 2018. Pour autant, cette réforme ne modifie ni les règles de calcul de l’impôt sur le revenu, ni l’obligation de déposer une déclaration des revenus de l’année N en N+1. Le but de cette mesure consiste principalement à rendre le paiement de l’impôt contemporain de la perception des revenus. Cette nouvelle pratique devrait entraîner un certain nombre de bouleversements pour les 1,7 million d’agents collecteurs potentiels issus tant du public que du privé. Le 7 juin 2017, le Gouvernement a annoncé sa volonté de reporter la mise en place du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu au 1er janvier 2019, afin notamment d’examiner les conditions techniques de cette réforme ainsi que d’évaluer la charge induite pour les collecteurs. À cette fin, trois rapports d’évaluation de la réforme du prélèvement à la source viennent d’être remis  au Parlement. Il s’agit tout d’abord d’un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF), établi avec le concours d’un cabinet d’audit privé, à la demande du ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin destiné à tester la robustesse du dispositif et la charge réelle incombant aux futurs collecteurs. Le deuxième rapport, réalisé à la demande du Parlement, présente les résultats des expérimentations en conditions réelles menées entre les mois de juillet et septembre 2017 avec le concours de 600 parties prenantes : entreprises, collecteurs publics et éditeurs de logiciels de paie. Enfin, le dernier rapport analyse deux dispositifs alternatifs à la réforme prévue, en décrit les modalités de fonctionnement, les délais de mise en œuvre et les conséquences sur les contribuables, les payeurs de revenu et l’État. Il présente également les limites de ces options au regard de l’objectif de contemporanéité de l’impôt. Le Gouvernement entend avec ces trois rapports éclairer de manière transparente et objective la réflexion de la représentation nationale sur la réforme du prélèvement de l’impôt sur le revenu et de ses modalités de mise en œuvre au 1er janvier 2019. Il devrait tirer les conséquences de ces trois rapports dans le projet de loi de finances rectificative qu’il présentera en fin d’année.

Le principe du report est validé

Le Gouvernement a décidé de différer la réforme du prélèvement à la source au 1er janvier 2019 afin de pouvoir tirer les enseignements des trois rapports commandés et permettre une meilleure préparation de l’ensemble des parties prenantes. L’ordonnance n° 2017-1390 relative au décalage d’un an de l’entrée en vigueur du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu a été publiée le 23 septembre 2017. Les modalités d’imposition pour 2018 restent inchangées par rapport à celles en vigueur en 2017. Le rapport de l’IGF valide sans ambiguité le principe du report de la réforme puisqu’il  conclut que la réforme n’aurait pu être mise en œuvre au 1er janvier 2018 sans « un risque de défaillance élevé ». Le deuxième rapport montre que les expérimentations ont permis également de détecter des difficultés qui n’avaient pas été identifiées auparavant et de concevoir des solutions. Le report d’un an permet ainsi de préparer une entrée en vigueur dans des conditions sécurisées au 1er janvier 2019.

Une réforme favorable au contribuable

Le rapport rédigé par l’IGF est globalement favorable à la réforme puisqu’il conclut aux bénéfices de la réforme pour le contribuable, notamment parce que l’impôt à payer le mois M correspond aux revenus que le contribuable perçoit ce même mois ; que l’impôt s’adapte donc automatiquement à sa situation, notamment en cas de diminution de ses revenus (chômage, retraite, accident de la vie…) et qu’ il réduit de ce fait  les risques d’écart de trésorerie chaque mois ainsi que celui d’un solde à payer trop important en cas de changement de situation. L’ensemble des acteurs s’accordent sur la nécessité de supprimer le décalage d’un an entre la perception et la taxation des revenus. Si pour des situations stables, ce dispositif ne pose guère problème, en cas de changement de situation, chômage, retraite, changement de carrière et donc de perte de revenu, il s’avère particulièrement préjudiciable. Chaque année, environ cinq millions de foyers imposables subissent une variation importante de leur revenu et du montant de leur impôt, à la suite d’un changement de situation personnelle ou professionnelle. Le prélèvement à la source pourrait donc venir faciliter les mobilités professionnelles et, au niveau macroéconomique, jouer un plus grand rôle de stabilisateur du fait de la contemporanéité de l’impôt.

Le coût de la réforme…

Une précédente étude réalisée par le cabinet TAJ pour la délégation sénatoriale aux entreprises en juin 2017 avait mis l’accent sur l’importante charge administrative et financière supplémentaire pour les entreprises, plus spécialement les TPE/PME, que ce soit l’année de la mise en œuvre ou les années suivantes. Le cabinet TAJ  avait estimé la charge financière pour les entreprises à 1,2 milliard d’euros. La mission de l’Inspection générale des finances (IGF) évalue le coût de la réforme à la baisse : les charges liées à la mise en place du prélèvement à la source seraient de l’ordre de 310 à 420 millions d’euros pour les entreprises, auxquels s’ajouterait un coût récurrent annuel de 60 à 70 millions d’euros. « Plus de 70 % de cette charge est liée à la valorisation monétaire du temps de travail interne aux entreprises », pour le paramétrage des logiciels, la formation des utilisateurs et la communication auprès des salariés, précise le rapport. Cette charge pourrait être réduite par une forte mobilisation de l’Administration, au moyen d’un dispositif d’assistance aux collecteurs dans le déploiement de la réforme, notamment par un allégement des modalités et règles de gestion, la fourniture d’un kit de démarrage dès 2018, etc.,  et la mise en place d’un plan de communication auprès des contribuables. La charge que devait supporter l’État est également importante puisque le rapport de l’IGF la chiffre à 140 millions d’euros, concluant que « la charge globale n’apparaît pas insurmontable ».

… ne fait pas l’unanimité

Face à ces chiffres, le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, Albéric de Montgolfier, s’est alarmé dans un communiqué du 10 octobre dernier, soulignant que « Les rapports d’évaluation du prélèvement à la source montrent le caractère inabouti et coûteux de la réforme ». Mêmes réactions critiques au sein des représentants des entreprises. Pour la Confédération des petites et moyennes entreprises, la réforme « pénalisera davantage les TPE que les grandes entreprises », soulignant que « le coût de la mise en place du prélèvement à la source serait, selon les rapporteurs, de 50 euros par salarié pour les TPE, contre 8 euros pour les grandes entreprises ». Pour l’organisation patronale, « il est donc pour le moins contradictoire de vouloir à tout prix mener une telle réforme en en faisant porter l’essentiel de la charge et des risques sur les TPE-PME alors que parallèlement, le gouvernement affirme vouloir favoriser leur croissance et alléger leur fardeau administratif ». Le Medef aboutit aux mêmes conclusions, précisant qu’« un prélèvement de l’impôt contemporain du versement du revenu est une bonne mesure. Mais la réforme telle qu’elle est conçue (…) représentera un coût significatif, particulièrement lourd pour les TPE et PME ». Pour l’organisation patronale « les différentes estimations du coût pour les entreprises semblent sous-évaluées et restent en tout état de cause très importantes pour les TPE-PME. Les difficultés opérationnelles qui ne manqueront pas d’apparaître dans les TPE-PME ne sont pas véritablement traitées ». Les professions libérales se sont également mobilisées par la voix de l’UNAPL pour qui il importe « que la situation des TPE soit prise en compte afin d’éviter que les mesures positives en faveur des petites entreprises contenues dans les ordonnances de la loi travail ne soient annihilées par cette nouvelle complexité ». Une solution alternative comme « la généralisation de la mensualisation de l’impôt sur le revenu prélevé par le fisc directement sur le compte du contribuable » aurait le mérite de faire l’unanimité auprès des chefs d’entreprise, conclut le Medef.

Protection des données

Le rapport établi par le cabinet Taj en juin 2017 avait pointé les craintes des entreprises de voir les relations sociales se dégrader. Leurs principales craintes étaient liées à l’immixtion des entreprises dans la vie privée des salariés, aux revendications salariales résultant de la diminution de la rémunération nette mensuelle et aux possibles contentieux. À la lecture de ces trois nouveaux rapports, en matière de confidentialité, le projet de prélèvement à la source obtient un satisfecit, car il offre des garanties jugées suffisantes en termes de protection des données personnelles et de la vie privée des salariés. Le rapport observe que les garanties données au contribuable en matière de confidentialité sont satisfaisantes  avec notamment la mise en place d’une option pour le taux individualisé ou pour la non-transmission du taux. Autres points positifs soulignés par le rapport : la possibilité de moduler le taux de prélèvement, et pour les indépendants, les possibilités de reporter des échéances en cas de difficultés de trésorerie et d’interrompre le versement de l’acompte dès qu’ils cessent leur activité.  Si le rapport met en lumière des  sujets de crispation potentiels dans la réception de la réforme par l’ensemble des collecteurs et contribuables et les difficultés et doutes que la réforme suscite encore au sein des organisations patronales et syndicales, le rapport de l’IGF conclut que « l’arsenal prévu pour protéger la confidentialité des contribuables est suffisant ».

Bilan de la phase pilote du prélèvement à la source

Le gouvernement a prévu une phase « pilote » qui a pour objectif d’examiner la robustesse technique et opérationnelle du dispositif et d’évaluer la réalité de la charge induite pour l’ensemble des acteurs concernés (entreprises, collectivités territoriales, caisses de retraites, éditeurs de logiciels de paie). Cette phase permet de tester un large périmètre des échanges de données : dépôt des déclarations par le collecteur et retour de la DGFiP vers celui-ci, incluant notamment les taux de prélèvement à appliquer qui sont bien sûr fictifs à ce stade). L’État se donne ainsi le temps d’apporter les améliorations nécessaires suite aux conclusions de ce test en conditions réelles pour une mise en œuvre du prélèvement à la source au sein des entreprises dans les meilleures conditions, dès le 1er janvier 2019.  L’expérimentation a commencé début juillet avec tous les participants volontaires, dont la mobilisation a été essentielle pour tester le dispositif en conditions réelles. La phase test s’est déroulée du 3 juillet au 31 septembre. Les collecteurs pourront poursuivre la phase de test jusqu’au 31 décembre prochain. Cette phase de test en conditions réelles a permis de détecter des anomalies techniques et de les corriger pour stabiliser le dispositif de mise en œuvre du prélèvement à la source. Les marges d’amélioration identifiées par le rapport conduiront par ailleurs au renforcement de l’accompagnement et de la communication avec les collecteurs privés et publics. Le rapport prône une vigilance accrue pour des collecteurs publics. Le prélèvement à la source s’effectuera par le biais de la déclaration sociale nominative (DSN) généralisée à l’ensemble des collecteurs privés, mais qui ne sera mise en place qu’au 1er janvier 2020. Pour les collecteurs publics (employeurs publics, caisses de retraite, assurance-maladie, organismes complémentaires, etc. ils devront opter pour une mise en place accélérée de la DSN ou utiliser un autre système de déclaration dans l’intervalle, pour être prêts au 1er janvier 2019. Plus généralement, l’IGF émet un certain nombre de recommandations à mettre en place au cours de l’année de la réforme afin de simplifier sa mise en œuvre et d’améliorer son acceptabilité. Il s’agit essentiellement de conforter l’intérêt du prélèvement à la source pour les contribuables, d’alléger les modalités et règles de gestion pour les collecteurs, notamment les entreprises, et de sécuriser le déploiement de la réforme dans son nouveau calendrier. Pour Albéric de Mont-golfier, ces conclusions confirment que le prélèvement à la source a été voté fin 2016 de façon précipitée, « le rapport formule pas moins d’une quinzaine de propositions pour que la réforme puisse être déployée dans des conditions acceptables pour les contribuables et les entreprises. La mission juge utile de mentionner qu’il est encore nécessaire de conforter l’intérêt de la réforme pour les contribuables, démontrant ainsi la faible valeur ajoutée du dispositif proposé », précise-t-il.

Les options alternatives

Le dernier rapport sur les solutions alternatives décrit les modalités de fonctionnement de ces options, leurs délais de mise en œuvre et leurs conséquences pour les contribuables, les payeurs de revenus et l’État. Parmi les solutions envisagées : faire de l’administration fiscale une alternative à la collecte de la retenue à la source par les tiers payeurs de ces revenus. Autre piste envisagée, le prélèvement mensualisé contemporain de l’impôt sur le revenu, comme alternative à la mise en place d’une retenue à la source.  Le rapport souligne que ces solutions alternatives ont pour effet d’alléger la charge induite pour les collecteurs mais ne procurent pas aux contribuables des bénéfices équivalents à une véritable contemporanéité de l’impôt sur le revenu.

Une étude d’impact réalisée pour le Sénat

L’étude réalisée par le cabinet TAJ pour la délégation sénatoriale aux entreprises en juin 2017 met l’accent sur l’importante charge administrative supplémentaire mise à la charge des entreprises.

La réforme de l’impôt sur le revenu aurait un coût initial d’environ 1,2 milliard d’euros la première année, et un coût récurrent de l’ordre de 100 millions d’euros, conclut le cabinet TAJ. En amortissant l’investissement initial sur 10 ans, Le rapport aboutit donc à un coût annuel de l’ordre de 220 millions d’euros soit environ 0,3% de l’impôt sur le revenu collecté.  Environ 75% du coût total de la mesure sera porté par les TPE (moins de 10 employés), par l’effet de multiplication d’un coût fixe faible par un très grand nombre d’entreprises. Environ 50% du coût de la mesure correspond à des revenus supplémentaires pour des prestataires de services spécialisés (experts-comptables, éditeurs de logiciel) et 50% à un accroissement des coûts salariaux des entreprises. À cet égard, le rapport s’interroge sur l’impact négatif que la réforme pourrait avoir sur sur la dynamique des salaires et sur la compétitivité des entreprises dans les secteurs où l’offre de travail est la plus réduite par rapport à la demande.  Le gain de trésorerie lié au décalage entre la perception et le reversement de l’impôt prélevé, est généralisé par la possibilité pour les TPE de ne reverser au Trésor l’impôt collecté que tous les trois mois. Le gain financier de cette mesure est évalué à environ 12 € en moyenne par entreprise, soit 20 millions d’euros au total. Le prélèvement à la source de l’impôt n’est donc pas de nature à apporter une solution au problème récurrent de financement de l’exploitation des petites entreprises en France, conclut le rapport. Les entreprises interrogées manifestent un certain nombre d’inquiétudes. Elles s’alarment du risque d’immixtion des entreprises dans la vie privée des salariés via la détention d’éléments relatifs à la situation patrimoniale et personnelle des salariés. La communication à l’employeur de données personnelles et confidentielles du salarié et plus largement, les décalages liés aux demandes individuelles de modulation des taux (divorce, variation des revenus personnels) et plus généralement l’application dérogatoire des taux neutres les conduisent à s’interroger sur la porosité des informations personnelles transmises à l’employeur dans le cadre de la détermination du taux de retenue applicable ; par exemple une modulation à la hausse à l’initiative du salarié signifie toujours une augmentation sensible des revenus personnels ou encore la modification de la situation conjugale (divorce, mariage, revenus du conjoint). Il ressort également de l’enquête de terrain que les entreprises, s’attendent majoritairement à ce que la mise en place du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu ait un impact négatif sur les relations sociales au sein de l’entreprise. Les entreprises anticipent également des revendications salariales résultant de la diminution de la rémunération disponible nette mensuelle figurant sur le bulletin de paie. Elles s’alarment enfin d’une possible mise en cause de la responsabilité de l’employeur en cas de non obtention du crédit d’impôt pour la modernisation du recouvrement (CIMR). 80% d’entre elles craignent que leurs salariés ne les mettent en cause en cas de non obtention du CIMR en septembre 2019.

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