Revenus distribués : la censure du Conseil constitutionnel

Publié le 20/11/2017

La contribution additionnelle de 3 % portant sur les revenus distribués vient à nouveau d’être fragilisée par le Conseil constitutionnel. Les réclamations initiées devraient s’avérer extrêmement coûteuses pour les finances publiques.

Le Conseil constitutionnel vient de se prononcer sur la légalité de la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés de 3 % au titre des montants distribués (Cons. const., 6 oct. 2017, n° 2017-660 QPC). Il a été saisi le 10 juillet 2017 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa du paragraphe I de l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts (CGI), dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.

La taxe de 3 %

Les dispositions contestées instituent une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés (IS) de 3 % au titre des montants distribués et trouvent leur origine dans l’article 6 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012. Depuis le 18 août 2012, les sociétés imposables à l’impôt sur les sociétés en France sont assujetties à une contribution égale à 3 % des sommes  distribuées. Codifiée à l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts (CGI), la contribution ne s’applique ni aux PME au sens communautaire ni aux Sicav, Sppicav et Sicaf. La contribution s’applique aux dividendes, aux acomptes sur dividendes, aux répartitions de réserves, et plus généralement à l’ensemble des revenus réputés distribués au sens des articles 109 à 117 du CGI qu’ils bénéficient à des personnes physiques ou morales, françaises ou étrangères. Elle porte sur les résultats ayant supporté l’impôt sur les sociétés comme sur les résultats qui ne supportent pas cet impôt. La contribution qui constitue une charge pour la société distributrice ne peut s’imputer sur les impositions dues par le bénéficiaire de ces distributions. Le paiement de la contribution doit s’effectuer, spontanément, au plus tard à l’échéance du premier acompte d’impôt sur les sociétés suivant le mois de la mise en paiement de la distribution, qui constitue le fait générateur de l’imposition. La taxe de 3 % a une double vocation. Elle a pour objectif de soutenir l’investissement au détriment du dividende mais elle répond également à un impératif budgétaire, puisqu’elle a été votée pour compenser les diminutions de recettes fiscales résultant de la suppression de la retenue à la source sur les dividendes versés à des OPCVM étrangers, due à la jurisprudence communautaire Santander Asset Management SGIIC SA (CJUE, 12 mai 2012, n° C‑338/11 à C‑347/11, Santander Asset Management SGIIC SA). Dès sa création, la validité de cette contribution a été régulièrement mise en doute, notamment au regard des principes du droit communautaire que ce soit sur le fondement de la directive mère-filles ou celui de la liberté d’établissement.

Une discrimination à rebours ?

La société requérante et les parties intervenantes soutenaient que ces dispositions institueraient une discrimination « à rebours » injustifiée entre les sociétés redevables de la contribution, selon l’origine des revenus distribués, constitutive d’une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques. Cette discrimination serait constituée entre, d’une part, les bénéfices redistribués par une société mère en provenance d’une filiale établie dans l’Union européenne relevant du régime « mère-fille » au sens d’une directive du 30 novembre 2011 et, d’autre part, l’ensemble des autres montants redistribués par les sociétés assujetties à la contribution.

La société requérante et les parties intervenantes se prévalaient sur ce point de l’interprétation des dispositions contestées retenue le 7 juillet 2017 par le Conseil d’État (CE, 7 juillet 2017, n° 399757), à la lumière d’un arrêt rendu le 17 mai 2017 à titre préjudiciel par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 1ère chambre, 17 mai 2017, n° C-365/16, p. 35), selon laquelle la contribution prévue à l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts ne pouvait être appliquée aux bénéfices redistribués par une société mère en provenance d’une filiale établie dans l’Union européenne relevant du régime européen « mère-fille ». Selon cette interprétation du Conseil d’État, demeurent en revanche soumises à la contribution les redistributions de dividendes provenant de filiales établies en France ou dans un État tiers et la distribution de dividendes prélevés par les sociétés mères sur leur propre résultat d’exploitation.

Faisant application de sa jurisprudence constante au regard des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, le Conseil constitutionnel relève qu’il résulte des dispositions contestées, telles qu’interprétées, une différence de traitement entre les sociétés mères, selon que les dividendes qu’elles redistribuent proviennent ou non de filiales établies dans un État membre de l’Union européenne autre que la France. Or ces sociétés se trouvent dans la même situation au regard de l’objet de la contribution, qui consiste à imposer tous les montants distribués, indépendamment de leur localisation d’origine et y compris ceux relevant du régime « mère-fille » issu du droit de l’Union européenne.

En l’absence d’une différence de situation, seul un motif d’intérêt général aurait pu justifier la différence de traitement contestée. Or, en instituant la contribution en cause, le législateur a poursuivi un objectif de rendement budgétaire. À l’instar d’une précédente décision portant sur une exonération de cette taxe (Cons. const., 30 sept. 2016, n° 2016-571 QPC, Société Layher SAS), le Conseil constitutionnel juge qu’un tel objectif ne constitue pas, en lui-même, une raison d’intérêt général de nature à justifier pareille différence de traitement. Il en résulte une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques. Le Conseil constitutionnel juge donc contraire à la Constitution le premier alinéa du paragraphe I de l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi de finances rectificative pour 2015.

Une décision d’invalidation partielle

En septembre 2016 (Cons. const., 30 sept. 2016, n° 2016-571 QPC) le Conseil constitutionnel  avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur la conformité à la constitution de la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés de 3 % au titre des montants distribués. Le Conseil constitutionnel a jugé cette contribution codifiée à l’article 235 ter SCA du CGI en partie inconstitutionnelle. La taxe de 3 % qui frappe les organismes français ou étrangers relevant de plein droit ou sur option de l’impôt sur les sociétés sur tout ou partie de leur activité ne s’applique pas aux distributions réalisées à l’intérieur d’un groupe intégré. La contribution frappe les distributions de dividendes des filiales françaises à destination des sociétés mères établies dans un État membre de l’UE, alors qu’elle ne s’appliquent  pas si ces sociétés mères appartiennent à un groupe fiscal intégré en France. Une inégalité de traitement qui « n’est justifiée ni par une différence de situation, ni par un motif d’intérêt général », a conclu le Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a toutefois jugé qu’il y avait lieu de reporter au 1er janvier 2017 l’effet de cette déclaration d’inconstitutionnalité. « Une abrogation immédiate des dispositions contestées aurait eu pour effet de supprimer l’exonération en faveur des distributions réalisées au sein d’un groupe fiscalement intégré et, ce faisant, d’étendre l’application d’un impôt à des personnes qui en ont été exonérées par le législateur ».

À l’origine de la décision du Conseil constitutionnel, une première question prioritaire de constitutionnalité transmise initialement en avril par le tribunal administratif de Montreuil (TA Montreuil, 4 avr. 2016, n° 1600379, Société Apsis) et relative à la conformité aux principes d’égalité devant la loi fiscale et d’égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de la contribution additionnelle de 3 % portant sur les revenus distribués. Dans la foulée, en mai, trois recours en excès de pouvoir destinés à annuler les précisions apportées par la doctrine administrative (Bofip BOI-IS-AUT- 20160302, 2 mars 2016), accompagnés de QPC, ont été déposés par l’Association française des entreprises privées (Afep) et une vingtaine de grands groupes. Le Conseil d’État s’est prononcé en juin sur ces quatre QPC. Il a conclu au renvoi d’une QPC au Conseil constitutionnel et au renvoi de deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). La première question préjudicielle vise à vérifier la compatibilité de la contribution de 3 % avec l’article 4 de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011. La seconde question préjudicielle vise à vérifier l’incompatibilité de la contribution de 3 % avec l’article 5 de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011. Les autres QPC ont été rejetées (CE, 27 juin 2016, n° 398585, 399506, 399024 et 399757).

La position du Conseil d’État

Le Conseil d’État (CE, 29 mars 2017, n° 399506, société Layher) s’est prononcé dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir sur l’annulation du paragraphe n° 130 de l’instruction publiée sous la référence BOI-IS-AUT-30-20160302, qui prévoit notamment « que sont exclus de l’assiette de la contribution additionnelle les montants distribués entre sociétés d’un même groupe au sens de l’article 223 A du Code général des impôts », en tant que ce paragraphe exclut du bénéfice de l’exonération les distributions réalisées entre sociétés du même groupe lorsqu’il ne relève pas du régime de l’intégration fiscale, même si la condition de détention de 95 % du capital fixée par l’article 223 A du Code général des impôts est remplie. Après avoir constaté que la société demanderesse n’était pas fondée à se prévaloir de la déclaration d’inconstitutionnalité prononcée par le Conseil constitutionnel dès lors que cette non-conformité n’a pris effet qu’à compter du 1er janvier 2017, le Conseil d’État a examiné la compatibilité de  la disposition législative en cause avec le droit de l’Union européenne et les engagements internationaux de la France. Pour le Conseil d’État, la différence de traitement qui résulte du 1° du I de l’article 235 ter ZCA, que l’instruction attaquée a pour objet de commenter, s’avère incompatible avec les stipulations de l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales sur l’interdiction des discriminations combinées avec l’article premier de son premier protocole additionnel sur la protection de la propriété. Si l’arrêt est particulièrement motivé et a conclu à l’annulation de l’intégralité du paragraphe n° 130 de l’instruction BOI-IS-AUT-30-20160302, en revanche, il n’a apporté aucune précision sur la portée de cette annulation. L’arrêt ne comporte donc pas d’indications, sur la solution à donner aux demandes en restitution ou en décharge dont les enjeux financiers sont importants.

Censure de la CJUE

La CJUE, en mai 2017, a jugé que la taxe de 3 % sur les dividendes est contraire à la directive mère-fille pour la CJUE (CJUE, 17 mai 2017, n° C‑365/16), au motif que la directive mères-filiales s’oppose à ce qu’un État membre, à l’occasion de la distribution des dividendes applique à une société mère une imposition dont l’assiette est constituée par les montants des dividendes distribués, y compris ceux provenant des filiales non résidentes de cette société. L’article 4 de la directive mères-filiales, et notamment son paragraphe 1, sous a), s’oppose-t-il à une imposition telle que celle prévue à l’article 235 ter ZCA du CGI qui est perçue à l’occasion de la distribution de bénéfices par une société passible de l’impôt sur les sociétés en France et dont l’assiette est constituée par les montants distribués ? Telle était la première question préjudicielle transmise à la CJUE. En cas de réponse négative à la première question, une imposition, telle que celle prévue à l’article 235 ter ZCA du CGI, doit-elle être regardée comme une “retenue à la source”, dont sont exonérés les bénéfices distribués par une filiale en vertu de l’article 5 de cette directive ? », interrogeait également le juge national. Pour le juge communautaire, l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive mères-filiales doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une mesure fiscale prévue par l’État membre d’une société mère, telle que celle en cause au principal, prévoyant la perception d’un impôt à l’occasion de la distribution des dividendes par la société mère et dont l’assiette est constituée par les montants des dividendes distribués, y compris ceux provenant des filiales non-résidentes de cette société. Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question, précise le juge communautaire.

Quel avenir pour la taxe de 3 % ?

La nouvelle décision du Conseil constitutionnel qui cette fois n’a pas différé dans le temps les l’effets de la déclaration d’inconstitutionnalité est venue donner le dernier boutoir à la taxe de 3 % qui était déjà très fragilisée. « Aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicables à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date », a précisé le Conseil constitutionnel. Dès l’été, le gouvernement a fait savoir qu’il avait choisi de supprimer la contribution de 3 %. Cela devrait être acté pour les distributions mises en paiement à compter du 1er janvier 2018 dans le cadre du vote de l’article 13 du projet de loi de finances pour 2018.

Pour le passé, un grand nombre de réclamations ayant déjà été introduites, cette nouvelle décision devrait leur permettre de trouver une issue rapide. La nouvelle décision du Conseil constitutionnel devrait également permettre aux contribuables concernés de déposer, le cas échéant, de nouvelles réclamations. Les distributions à opérer avant la fin de l’année 2017 vont également pouvoir bénéficier de cette décision. Les conséquences vont être majeures en matière de finances publiques. En effet, la taxe de 3 % rapporte chaque année environ 1,9 milliard d’euros par an. Cette perte budgétaire a été anticipée par les équipes gouvernementales et devraient être compensées par la réforme du CICE en baisse de charge qui alourdit mécaniquement l’impôt sur les sociétés et accroît les recettes fiscales. D’après les estimations de Bercy, 5 milliards d’euros de recettes supplémentaires devrait être généré par cette réforme. En revanche, rien n’est encore prévu pour faire face aux très lourdes dépenses générées par les très nombreuses réclamations fiscales déjà déposées et encore à venir. En juillet 2015, les réclamations déposées par les entreprises se chiffraient déjà à 4,4 milliards d’euros. Et ce chiffre devrait encore s’accroître. D’après les derniers chiffres connus, sur la période 2018 à 2021 les remboursements à effectuer devraient s’élever à 5,7 milliards d’euros. En 2018, les montants à rembourser devraient rester raisonnables. Une provision de 300 millions d’euros a été prévue à cet égard dans le budget 2018. Mais ces sommes devraient augmenter pour atteindre environ 1,8 milliards d’euros, en 2018, 2019 et 2020. Comment financer ces remboursements ? Il se dit que l’État envisage une surtaxe de l’impôt sur les sociétés, ou une hausse de la contribution sociale de solidarité de sociétés (C3S). Une piste contre laquelle les entreprises sont déjà vent debout.

 

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