Revenus distribués : la censure du Conseil constitutionnel

Publié le 21/11/2016

La contribution additionnelle de 3 % portant sur les revenus distribués est mise à mal par le Conseil constitutionnel. Le Gouvernement va devoir se positionner très rapidement pour réformer ce texte.

Le Conseil constitutionnel vient de juger que la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés de 3 % au titre des montants distribués (CGI, art. 235 ter SCA) était en partie inconstitutionnelle1. Cette contribution qui frappe les organismes français ou étrangers relevant de plein droit ou sur option de l’impôt sur les sociétés sur tout ou partie de leur activité ne s’applique pas aux distributions réalisées à l’intérieur d’un groupe intégré. La contribution frappe les distributions de dividendes des filiales françaises à destination des sociétés mères établies dans un État membre de l’UE, alors qu’elle ne s’appliquent pas si ces sociétés mères appartiennent à un groupe fiscal intégré en France. Une inégalité de traitement qui « n’est justifiée ni par une différence de situation, ni par un motif d’intérêt général », a conclu le Conseil constitutionnel.

La contribution additionnelle de 3 %

Depuis le 18 août 2012, les sociétés imposables à l’impôt sur les sociétés en France sont assujetties à une contribution égale à 3 % des sommes distribuées. Codifiée à l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts (CGI), la contribution ne s’applique ni aux PME au sens communautaire ni aux SICAV, Sppicav et Sicaf. La contribution s’applique aux dividendes, aux acomptes sur dividendes, aux répartitions de réserves, et plus généralement à l’ensemble des revenus réputés distribués au sens des articles 109 à 117 du CGI qu’ils bénéficient à des personnes physiques ou morales, françaises ou étrangères. Elle porte sur les résultats ayant supporté l’impôt sur les sociétés comme sur les résultats qui ne supportent pas cet impôt. Cette contribution de 3 %, qui constitue une charge pour la société distributrice ne peut s’imputer sur les impositions dues par le bénéficiaire de ces distributions. Le paiement de la contribution doit s’effectuer, spontanément, au plus tard à l’échéance du premier acompte d’impôt sur les sociétés suivant le mois de la mise en paiement de la distribution, qui constitue le fait générateur de l’imposition.

La contribution de 3 % a une double vocation. Elle a pour objectif de « soutenir l’investissement au détriment du dividende », selon le mot de Christian Eckert, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, chargé du Budget. Elle a également été votée pour compenser les diminutions de recettes fiscales résultant de la suppression de la retenue à la source sur les dividendes versés à des OPCVM étrangers, due à la jurisprudence communautaire Santander Asset Management SGIIC SA2. Dès sa création, la validité de cette contribution a été régulièrement mise en doute, notamment au regard des principes du droit communautaire que ce soit sur le fondement de la directive mère-filles ou celui de la liberté d’établissement.

La jurisprudence Steria

La jurisprudence communautaire Steria3 est venue alimenter ces critiques. Dans cet arrêt, le juge communautaire a jugé contraires à la réglementation communautaire les règles françaises réservant le bénéfice de la neutralisation de la quote-part de frais et charges aux seules sociétés mères françaises intégrantes. Dans la mesure où seules les sociétés résidentes peuvent faire partie d’un groupe fiscal intégré, la neutralisation de la quote-part de frais et charges de 5 % afférente à ces produits est réservée aux dividendes d’origine nationale. Une telle inégalité de traitement a été jugée comme susceptible d’entraver la liberté d’établissement d’une société mère en la dissuadant de créer des filiales dans d’autres États membres. Cette jurisprudence est venue fragiliser d’autres pans du droit fiscal national, et notamment la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés de 3 % sur les revenus distribués. En effet, la contribution qui frappe les distributions de dividendes des filiales françaises à destination des sociétés mères établies dans un État membre de l’UE, ne s’appliquerait pas si ces sociétés mères appartenaient à un groupe fiscal intégré en France. Des réclamations ont été présentées et un certain nombre de contentieux ont été initiés sur ce fondement.

Une pluralité d’actions

À l’origine de la décision du Conseil constitutionnel, une première question prioritaire de constitutionnalité transmise initialement en avril par le tribunal administratif de Montreuil4 et relative à la conformité aux principes d’égalité devant la loi fiscale et d’égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de la contribution additionnelle de 3 % portant sur les revenus distribués. Dans la foulée, en mai, trois recours en excès de pouvoir destinés à annuler les précisions apportées par la doctrine administrative5 accompagnés de QPC ont été déposés par l’Association française des entreprises privées (Afep) et une vingtaine de grands groupes. Le Conseil d’État s’est prononcé en juin sur ces quatre QPC. Il a conclu au renvoi d’une QPC au Conseil constitutionnel et au renvoi de deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). La première question préjudicielle vise à vérifier la compatibilité de la contribution de 3 % avec l’article 4 de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011. La seconde question préjudicielle vise à vérifier l’incompatibilité de la contribution de 3 % avec l’article 5 de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 (v. encadré « Le juge communautaire devrait bientôt prendre position »). Les autres QPC ont été rejetées6.

La position du Conseil constitutionnel

La question prioritaire de constitutionnalité présentée devant le Conseil d’État soulevait que le fait de réserver l’exonération de la contribution aux seules sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré méconnaîtrait les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques découlant des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. La société requérante soutenait que les dispositions contestées institueraient une double différence de traitement contraire aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques : d’une part, entre sociétés françaises selon qu’elles ont ou non opté pour le régime de l’intégration fiscale, dès lors qu’elles remplissent la condition relative au seuil de détention ; d’autre part, entre les sociétés membres de groupes fiscalement intégrés et les sociétés membres de groupes transnationaux dont la mère n’est pas française et qui ne peuvent donc constituer avec elle un groupe fiscalement intégré même si la condition de détention prévue à l’article 223 A du CGI est satisfaite. Ces deux différences de traitement ne seraient justifiées ni par une différence de situation, au regard de l’objet de la contribution, ni par un motif d’intérêt général. Pour le Conseil constitutionnel, la différence de traitement n’est pas justifiée par une différence de situation. Pour conclure en ce sens, le Conseil constitutionnel s’est fondé sur l’absence de lien, au regard de l’objet de la contribution, entre le régime de l’intégration fiscale et l’exonération de la contribution prévue par l’article 235 ter ZCA, la contribution de 3 % représentant une imposition autonome de l’impôt sur les sociétés. Ce faisant, le Conseil constitutionnel a adopté un raisonnement en cohérence avec celui de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans l’arrêt Stéria. En outre, pour le Conseil constitutionnel, la différence de traitement n’était pas justifiée par un motif d’intérêt général. Au cours des travaux parlementaires, deux objectifs ont été avancés pour justifier la contribution prévue par l’article 235 ter ZCA : outre l’objectif de rendement fiscal à l’origine du projet de loi, l’institution de cette contribution a été justifiée par l’intérêt général qui s’attache à « favoriser l’autofinancement des entreprises plutôt que la rémunération des actionnaires ». Cependant, le Conseil constitutionnel n’admet pas que, pour une même mesure fiscale, le législateur se prévale à la fois d’un objectif de rendement, qui est l’objectif « naturel » de l’impôt, et d’un objectif comportemental. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel recherche systématiquement lequel des deux objectifs le législateur a privilégié. En l’espèce, l’objectif de rendement s’avère prépondérant. Or, un objectif financier, que ce soit en recettes ou en dépenses, ne saurait justifier une différence de traitement entre des personnes placées dans la même situation. Pour le Conseil constitutionnel, cet objectif de rendement n’est donc pas par lui-même une raison d’intérêt général de nature à justifier une telle différence de traitement. La contribution de 3 % méconnaît donc les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques.

Un texte à réformer

Le Conseil constitutionnel a décidé de reporter au 1er janvier 2017 les effets de sa décision d’inconstitutionnalité afin de laisser au législateur le temps d’adapter les dispositions de l’article 235 ter ZCA. Conséquence positive pour les distributions entre sociétés fiscalement intégrées, l’exonération de contribution est maintenue jusqu’à la fin de l’année. En revanche, pour les sociétés non intégrées, ce report ne leur permet pas de se prévaloir de l’inconstitutionnalité des dispositions litigieuses afin d’obtenir le remboursement de la contribution acquittée à l’occasion de distributions effectuées par le passé.

Pour amender son texte, le législateur a le choix entre plusieurs solutions. Il peut bien entendu exonérer l’ensemble des groupes possédant des détenues à 95 % mais cette option sera vraisemblablement trop coûteuse. Il peut au contraire réintégrer les groupes fiscalement intégrés dans le champ d’application de la contribution de 3 %, une décision lourde de conséquences au regard du nombre d’entreprises concernées. Enfin, il peut opter pour une solution médiane consistant à généraliser la taxe sur les dividendes en en réduisant le taux. C’est la solution qui a été retenue à la suite de l’arrêt Steria, puisque dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2015, le législateur a supprimé pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016, la neutralisation de la quote-part de frais et charges du régime des sociétés mères, prévu à l’article 145 du CGI et à l’article 216 du CGI, afférente aux dividendes versés entre sociétés d’un même groupe. Compte tenu du coût que représente cet aménagement pour les groupes fiscaux, corrélativement, le taux de la quote-part de frais et charges afférente aux dividendes éligibles au régime mère-filles a été abaissé à 1 %, non seulement lorsqu’ils sont versés entre membres d’un même groupe, mais aussi lorsqu’ils sont distribués par des sociétés établies dans un autre État de l’Union ou de l’Espace économique européen qui, si elles avaient été établies en France, auraient rempli les conditions pour être membres du groupe fiscal. Ces aménagements s’appliquent aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. const., 30 sept. 2016, n° 2016-571 QPC.
  • 2.
    CJUE, 10 mai 2012, nos C‑338/11 à C‑347/11, Santander Asset Management SGIIC SA.
  • 3.
    CJUE, 2 sept. 2015, n° C‑386/14, Groupe Steria SCA.
  • 4.
    TA Montreuil, 4 avr. 2016, n° 1600379, Société Apsis.
  • 5.
    Bofip BOI-IS-AUT- 20160302, 2 mars 2016.
  • 6.
    CE, 27 juin 2016, nos 398585, 399506, 399024 et 399757.
  • 7.
    Cour constitutionnelle belge, 28 janv. 2015, n° 11/2015, SA X.
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