SCI des résidents belges : le Conseil d’État reconnaît à la France le droit d’imposer les plus-values de cession
Dans un arrêt inédit et surprenant, le Conseil d’État a considéré que la convention franco-belge ne fait pas obstacle à l’imposition en France, par application de l’article 244 bis A du Code général des impôts, des plus-values de cession, réalisées par un résident belge, de parts d’une société civile immobilière française détenant un immeuble en France.
Dans un arrêt du 24 février 2020, le Conseil d’État a eu à trancher la question de l’État de rattachement des plus-values de cession de parts de sociétés civiles immobilières française (SCI) détenant un immeuble en France, plus-values réalisées par un résident belge. La haute juridiction a considéré que le traité ne fait pas obstacle à l’imposition en France de la plus-value réalisée par le résident belge (CE, 8e et 3e ch. réun., 24 févr. 2020, n° 436392).
L’arrêt met en cause la convention passée entre la France et la Belgique tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative et juridique réciproque en matière d’impôts sur les revenus du 10 mars 1964, modifiée en 1971, 1999, 2008 et 2009, son protocole final, la loi fiscale française et la doctrine administrative.
SCI, associé résident belge et bien situé en France
Dans l’affaire soumise au Conseil d’État, Monsieur A., résidant en Belgique, avait cédé en 2013 ses parts d’une SCI, Villa les Cigales 2, qui détenait un bien immobilier unique en France, à Saint-Raphaël, pour un montant de 5 923 601 euros.
L’administration fiscale avait procédé à une rectification et une taxation d’office, à raison de la plus-value de cession, pour un montant de 1 068 146 euros, sur le fondement de l’article 244 bis A du Code général des impôts (CGI).
Pour mémoire, ce texte, permet à la France d’imposer les plus-values réalisées par les personnes physiques ou sociétés qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au taux forfaitaire de 19 %. Selon le texte, « le prélèvement (…) s’applique aux plus-values résultant de la cession : a) De biens immobiliers ou de droits portant sur ces biens ; (…) III bis. (…) les personnes physiques, les associés personnes physiques de sociétés, groupements ou organismes dont les bénéfices sont imposés au nom des associés (…) sont soumis au prélèvement au taux de 19 % ».
Notion de bien immobilier
En première instance, le tribunal administratif de Melun avait considéré que la convention franco-belge attribue le droit d’imposer les plus-values de cession de titres de sociétés à prépondérance immobilière (SPI) à la France (TA Montreuil, 26 juin 2018, n° 1703431).
Rappelons que classiquement, la convention fiscale franco-belge attribue le droit d’imposer les revenus provenant de biens immobiliers à l’État de situation du bien (art. 3, paragraphe 1). Pour la détermination de la notion de bien immobilier, la convention renvoie aux lois de l’État contractant où est situé le bien considéré (art. 3, paragraphe 2). Ces dispositions s’appliquent également aux bénéfices résultant de l’aliénation de biens immobiliers (art. 3, paragraphe 4).
Ces dispositions ont été commentées par l’administration au Bofip (BOI-INT-CVB-BEL-10-10, n° 100).
Le tribunal avait donc considéré que la convention fiscale devait être interprétée par référence au droit fiscal français. Celui-ci assimilant les titres de SPI aux immeubles pour l’application de l’impôt sur les plus-values, le tribunal avait reconnu à la France le droit d’imposer par l’effet de l’article 3 relatif aux revenus immobiliers.
Le tribunal avait également évoqué le protocole final annexé à la convention selon lequel la France se réserve le droit de taxer les plus-values sur les parts de sociétés transparentes visées à l’article 1655 ter du CGI. Selon cet article, les sociétés transparentes sont réputées, sur le plan fiscal, ne pas avoir de personnalité distincte de celle de leurs membres. Leurs associés sont traités fiscalement comme s’ils étaient directement propriétaires des immeubles possédés par la société.
De son côté, le résident belge faisait une autre lecture et articulation des textes en cause. Il estimait que les parts de SPI n’ont pas la qualité, sur le plan juridique comme sur le plan fiscal, de biens immobiliers mais celles de biens mobiliers ; partant, le droit de taxer la plus-value de la cession de tels biens revient à la Belgique par application de l’article 18 de la convention fiscale franco-belge.
Son argumentation reposait sur le paragraphe 2 du protocole annexé à la convention, qui qualifie de biens immobiliers les parts des SPI définies par l’article 1655 ter du CGI, dans le cas où ces sociétés sont transparentes. Le protocole final stipule en effet que « l’article 15, paragraphe 1, ne s’oppose pas à ce que la France, conformément aux dispositions de sa loi interne, considère comme des biens immobiliers, au sens de l’article 3 de la convention, les droits sociaux possédés par les associés ou actionnaires des sociétés qui ont, en fait, pour unique objet, soit la construction ou l’acquisition d’immeubles ou de groupes d’immeubles en vue de leur division par fractions destinées à être attribuées à leurs membres en propriété ou en jouissance, soit la gestion de ces immeubles ou groupes d’immeubles ainsi divisés ».
Or au sens du résident belge, la SCI n’entre pas dans la catégorie des sociétés transparentes, mais dans celle des sociétés translucides. Il leur revient en effet de déposer une déclaration fiscale, en leur nom, mentionnant ses revenus immobiliers (déclaration des sociétés immobilières non soumises à l’impôt sur les sociétés n° 2072 S-K), bien que l’obligation de payer l’impôt incombe aux associés de la SCI.
Pour le résident belge, le protocole revêt un aspect limitatif : il ne s’applique donc pas aux sociétés translucides.
Dans ses commentaires de la convention, (BOI-INT-CVB-BEL-10-10, n° 130), l’administration écarte l’aspect limitatif de l’article 2 du protocole et indique qu’ « il convient de considérer que le même caractère doit être reconnu aux droits détenus dans des sociétés dont l’actif est constitué principalement par des terrains à bâtir ou des biens assimilés, ainsi qu’aux droits détenus dans des sociétés civiles immobilières de toute nature non régies par l’article 1655 ter du CGI et dont le patrimoine est composé essentiellement par des immeubles autres que des terrains à usage agricole ou forestier ».
Le tribunal administratif de Melun n’a pas été sensible aux arguments du redevable. Il a considéré que, « les stipulations du 1 de l’article 3 de la convention, sans être limitées par celles du 2 du protocole, prévoient que les revenus, même accessoires, tirés d’un bien immobilier sont imposables dans l’État où est situé le bien » et que les revenus (…) tirés d’un bien immobilier au sens de la convention fiscale bilatérale (…) doivent être imposés dans l’État où celui-ci est situé soit en France ». Ce faisant, il a validé la doctrine administrative et a conclu que Monsieur A., faute d’avoir été « imposé en Belgique au titre de cette même opération, n’est consécutivement pas fondé à faire valoir que la convention fiscale bilatérale s’oppose à l’application de la loi fiscale nationale, alors même qu’elle prévoit que l’opération en litige doit être imposée en France ».
Recours pour excès de pouvoir contre la doctrine administrative
Parallèlement à l’appel qu’il interjette devant la cour administrative d’appel de Versailles, le redevable a saisi le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir contre la doctrine administrative qui considère que les plus-values de cession de titres des SPI non transparentes sont imposables en France. En cause, les termes : « ainsi qu’aux droits détenus dans des sociétés civiles immobilières de toute nature non régies par l’article 1655 ter du CGI et dont le patrimoine est composé essentiellement par des immeubles autres que des terrains à usage agricole ou forestier ». Le redevable n’a pas été entendu par la haute juridiction administrative.
Dans un premier temps, le Conseil d’État indique se référer aux lois de l’État contractant où est situé le bien considéré et retenir la signification que lui attribue la législation régissant, dans chaque État contractant, les impôts faisant l’objet de la convention. À cet égard, il indique que sont dépourvues d’incidence, les stipulations du paragraphe 2 du protocole final de la convention qui ont pour unique objet de qualifier de biens immobiliers, au sens de la convention, les parts de sociétés relevant de l’article 1655 ter du Code général des impôts.
Dans un second temps, le Conseil d’État renvoie, pour qualifier les biens de biens immobiliers, à l’article 244 bis A du CGI, applicable aux plus-values immobilières réalisées par les personnes physiques qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au sens de l’article 4 B. Sont soumises à ce régime les plus-values que ces personnes réalisent lors de la cession de parts qu’elles détiennent dans les sociétés ou organismes, quelle qu’en soit la forme, dont l’actif est principalement constitué, directement ou indirectement, de biens ou droits immobiliers.
Pour justifier son argumentation, il indique que : « la loi fiscale assimile ainsi à des biens immobiliers, notamment, les parts des sociétés civiles à prépondérance immobilière, lors de leur aliénation par une personne qui n’est pas fiscalement domiciliée en France ». Dès lors, il juge que le paragraphe 130 des commentaires en litige n’a pas retenu une inexacte interprétation des stipulations de la dernière phrase du paragraphe 4 de l’article 3 de la convention du 10 mars 1964.
Une révolution ?
Ainsi qualifiés de biens immobiliers, les parts de SCI tombent sous le coup de l’article 2 de la convention franco-belge qui attribue le droit d’imposition les revenus provenant de biens immobiliers (y compris la plus-value de cession) à l’État de situation desdits biens. Sur le plan doctrinal, l’arrêt suscite la surprise et l’incrédulité auprès de nombreux commentateurs. Tout d’abord, en raison de la démarche des juges qui, pour qualifier une notion juridique, renvoient à son régime fiscal.
De plus, l’arrêt rend une solution contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation, rendue dans le cadre de la convention franco-monégasque du 1er avril 1950 en matière d’impôt sur les successions (Cass. ass. plén., 2 oct. 2015, n° 14-14256). Dans cet arrêt, la haute juridiction judiciaire avait affirmé que les parts de sociétés à prépondérance immobilière sont des meubles en matière de droits des successions avec Monaco.
Ensuite, l’arrêt est également critiqué en ce qu’il consacre la pratique qui consiste à modifier unilatéralement les règles de la convention en changeant le droit interne.
Enfin, sur le plan pratique, cette jurisprudence laisse à craindre des mises en demeure par l’administration fiscale à raison des cessions de parts de SCI opérées par le passé et non encore prescrites.