Tracfin : les risques de blanchiments de capitaux

Publié le 05/03/2018

Financement du terrorisme, fraude, blanchiment de capitaux, Tracfin livre son analyse au regard de l’année passée et souligne les nouveaux risques à anticiper. La cellule de renseignement financier se mobilise pour anticiper les évolutions qui sont attendues dans les prochains mois dans le cadre des discussions de l’évolution de la 4e directive anti-blanchiment visant à améliorer l’efficacité du dispositif de renseignement financier.

Tracfin a présenté à Bercy le 12 décembre dernier, son rapport annuel sur les tendances et analyses des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en 2016. L’édition 2016 souligne l’importance du renseignement financier et d’une coordination renforcée du renseignement dans la lutte contre le terrorisme. L’année 2016 a constitué une année historique pour Tracfin en raison de l’explosion du nombre d’informations reçues et analysées par le service (+ 43 %), notamment de déclarations de soupçon (+ 44 %), et l’accélération de l’élan donné en 2015 à la lutte contre le terrorisme et son financement. « Ce rapport illustre le rôle décisif du travail de renseignement financier mené par Tracfin dans la lutte contre le financement du terrorisme, la fraude et le blanchiment. Il démontre la nécessité absolue d’amplifier la coordination et la fluidité d’informations entre Bercy et l’ensemble des services de renseignement pour combattre la menace terroriste et toutes les formes de criminalité. En tant que ministre de l’Action et des Comptes publics, j’entends également poursuivre les efforts de régulation, de réglementation et d’encadrement face aux risques liés aux nouvelles technologies », a commenté Gérard Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics.

Le mécanisme de la déclaration de soupçon

En 1997, la France a choisi de se doter d’une cellule administrative, devenu un maillon essentiel de la lutte anti-blanchiment et de la lutte contre la fraude aux finances publiques et le financement du terrorisme. Cet organisme de renseignement financier a été baptisé Tracfin (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins). Ce service à compétence nationale (SCN) est rattaché au ministère de l’Action et des Comptes publics. Il concourt au développement d’une économie saine en luttant contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Tracfin est chargé de recueillir, analyser et enrichir les déclarations de soupçons que les professionnels assujettis sont tenus, par la loi, de lui déclarer. Tracfin n’est pas habilité à recevoir et traiter les informations transmises par des particuliers. Afin de remplir sa mission de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, Tracfin dispose de pouvoirs strictement encadrés par la loi. Nombre de professionnels banquiers, assureurs, conseil en investissement, avocats, notaires, huissiers, commissaires aux comptes, experts-comptables, commissaires-priseurs,… sont assujettis à une obligation de signaler les sommes ou les opérations portant sur des sommes dont ils soupçonnent qu’elles puissent provenir d’une infraction passible d’une peine d’emprisonnement supérieure à un an de prison, participer au financement du terrorisme ou provenir d’une fraude fiscale. Ces professionnels peuvent s’appuyer sur des critères prédéfinis. Ainsi, en matière de fraude fiscale, un décret d’application prévoit seize critères. La présence d’un seul de ces critères suffit à déclencher la transmission à Tracfin d’une déclaration de soupçon. Parmi ces critères, l’utilisation de sociétés écran, la constatation d’anomalies dans les factures ou les bons de commande, la réalisation d’une transaction immobilière à un prix manifestement sous-évalué… En outre, depuis janvier 2016, tous les versements ou retraits en espèces de plus de 10 000 euros par mois doivent être systématiquement signalés (communication systématique d’information-COSI). Tracfin reçoit ces déclarations, les analyse, les enrichit puis les transmet principalement à l’autorité judiciaire et aux administrations partenaires, services de renseignements, administration des douanes, administration fiscale, organismes sociaux.

Une activité en forte hausse

Au cours de la dernière décennie, l’accroissement des missions de Tracfin a eu pour conséquence une progression significative de son activité. Sur cette période, le nombre d’informations reçues a été multiplié par plus de 3 et le nombre de transmissions à l’autorité judiciaire et aux administrations partenaires a quadruplé, passant de 347 en 2004 à 1 395 en 2014. Et depuis 5 ans, le nombre d’informations reçues a doublé. L’année 2016 a été marquée par une hausse sans précédent du nombre d’informations reçues par Tracfin : 64 815 informations (+ 43 % par rapport à 2015 et + 69 % par rapport à 2014), soit la plus forte hausse constatée depuis la création du service. La réception et la gestion de 20 000 informations supplémentaires a eu un impact considérable sur l’activité du service et des agents. Le flux d’informations reçues a augmenté de 69 % en 2 ans et de 169 % en 5 ans. Le nombre d’agents du service a augmenté de 27 % en 2 ans et de 57 % en 5 ans. En 10 ans, le nombre d’informations reçues a été approximativement multiplié par 4 et le nombre de transmissions à l’autorité judiciaire et aux administrations partenaires par 4,5 passant de 411 en 2006 à 1 889 en 2016. Pour les seuls professionnels déclarants, le nombre de déclarations de soupçon a augmenté de 44 % (62 259 en 2016 contre 43 231 en 2015). Sur cette même période, le service a réalisé 13 592 enquêtes (+ 28 % par rapport à 2015) débouchant sur l’externalisation de 448 notes. Ces enquêtes sont issues de 9 451 informations reçues en 2016 et 4 141 informations reçues antérieurement. 57 706 actes d’investigations ont été réalisés pour enrichir l’information reçue à l’autorité judiciaire et 1 441 notes aux administrations partenaires (+ 16 % au total). Les types d’informations adressés à Tracfin, nécessitant une analyse du service, sont les déclarations de soupçon émanant des professionnels assujettis au dispositif LAB/FT, les informations transmises par les personnes publiques ou chargées de mission de service public et les informations en provenance des cellules de renseignement financier (CRF) étrangères. Les professionnels assujettis sont tenus de déclarer à Tracfin les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction possible d’une peine privative de liberté supérieure à 1 an ou participant au financement du terrorisme.

Un investissement massif des professionnels

Alors que la participation des professions déclarantes au dispositif LAB/FT est cette année encore en forte augmentation, l’efficacité des dispositifs d’analyse de risque de certains professionnels assujettis doit rester au cœur de leurs préoccupations. L’établissement des scénarii de fraudes, de détection, de gestion des alertes et l’amélioration de la qualité des déclarations de soupçon nécessitent la poursuite de l’engagement de l’ensemble des professions. En 2016, près de 96 % des informations reçues par Tracfin émanent des professionnels déclarants, soit 62 259 déclarations de soupçon, une augmentation sans précédent (+ 44 % par rapport à 2015). Parmi les professions financières, les banques et établissements de crédit ont vu leur activité déclarative croître de 50 % (soit 15 625 déclarations de soupçon supplémentaires). Les établissements de paiement passent de 4 535 déclarations de soupçon transmises en 2015 contre 5 110 déclarations de soupçon en 2016 (+ 12,7 %).Les professions non financières marquent également une tendance haussière (+ 32,8 %) en raison notamment d’une appropriation forte du dispositif par les administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires et d’une amélioration de la pratique déclarative des professionnels du chiffre. Le secteur bancaire a conforté, en 2016, sa position de principal émetteur de déclarations de soupçon reçues par le service. Sa part a représenté 80 % du total des déclarations du secteur financier (contre 77,4 % en 2015) et 75 % de l’ensemble des déclarations reçues (contre 72,3 % en 2015). Analyse volumétrique avec 46 901 déclarations, la part des établissements de crédit a connu, en 2016, une croissance sans précédent puisque cette augmentation a représenté une progression de 50 %. La montée en puissance de l’activité « banque en ligne » s’est poursuivie en 2016. Son activité déclarative est en hausse (+ 70 %) mais d’un établissement à l’autre la mobilisation est inégale. 1 124 déclarations de soupçon ont été reçues, en 2016, sous le label « banques privées ». Cette croissance résulte, en grande partie, de la démarche de certains établissements généralistes qui ont commencé à préciser le caractère « banque privée » sur leurs déclarations. Alors même que ce secteur est supposé avoir une connaissance très approfondie et actualisée de ses clients, de leur patrimoine et de leurs pratiques financières, qui devrait conduire à des analyses pertinentes des faits générateurs de soupçon, son implication est très inégale. Les déclarations portent sur des enjeux financiers limités avec 71,5 % des signalements effectués sur des enjeux inférieurs à 100 K€ contre 67,1 % en 2015. L’abaissement du niveau des montants déclarés s’est fait au détriment des déclarations portant sur les tranches les plus élevées dont les taux sont à la baisse : 21 % des enjeux sont compris entre 100 et 500 k€ (23,4 % en 2015), 3 % entre 500 k€ et 1 M€ (3,9 % en 2015), 3 % entre 1 et 10 M€ (4,2 % en 2015) et 0,3 % > 10 M€. Le nombre de déclarations portant sur des personnes politiquement exposées (PPE) s’établit à 475 et progresse ainsi de 71 % par rapport à 2015. Le décret définissant les PPE « nationales » débouchera sur un accroissement significatif de ces signalements et facilitera l’harmonisation des pratiques déclaratives des établissements sur ce sujet. La croissance déclarative des banques, en 2016, s’est paradoxalement traduite par une diminution globale et individuelle du taux de transmission de leurs informations. Cela pose la question de la qualité des signalements reçus.

Quatre grandes orientations du renseignement

Ce rapport 2016 met en évidence quatre faits marquants pour la cellule de renseignement financier. Les acteurs de l’État se sont fortement mobilisés contre le terrorisme et la pertinence du renseignement financier au sein du dispositif national en matière de lutte contre le terrorisme : pour faire face à cette menace persistante, des partenariats bilatéraux et multilatéraux ont été instaurés. Fort de cette collaboration, Tracfin a notamment cartographié les réseaux internationaux de collecteurs financiers de Daech, fruit de la coopération entre services de renseignement et opérateurs du secteur privé. Autre point significatif, la persistance du développement des réseaux criminels spécialisés dans les escroqueries financières de grande envergure : le rapport alerte notamment sur le développement des fraudes au dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE), les fraudes aux prélèvements SEPA, et les escroqueries à l’investissement en diamants physiques. En matière de lutte contre la corruption, les fraudes fiscales et sociales : en matière de fraudes fiscales et sociales, Tracfin contribue largement à l’effort de redressement engagé depuis 2013, notamment par le renforcement des échanges avec l’administration fiscale. Depuis le 1er février 2009, l’article L. 561-29 du Code monétaire et financier (CMF) autorise l’administration fiscale à utiliser les informations reçues par Tracfin et ayant des incidences fiscales pour l’exercice de ses missions comme cela se pratiquait dans les États membres du GAFI. Les informations transmises à Tracfin concernent soit les faits susceptibles de relever de l’infraction de fraude fiscale définie à l’article 1741 du Code général des impôts (CGI) soit ceux susceptibles de relever du blanchiment de fraude fiscale. Tracfin suit également les nouvelles formes de fraudes aux cotisations sociales induites par le développement de l’économie collaborative, en particulier dans le secteur des voitures de transport avec chauffeur (VTC). L’année 2016 a permis à Tracfin de confirmer son action dans tous ses domaines de compétences en matière de lutte contre la fraude fiscale, douanière, sociale, la lutte contre la criminalité financière ainsi que les atteintes à la probité. Le nombre de notes de transmission réalisées par le service à l’autorité judiciaire et aux administrations partenaires a ainsi augmenté de 16 % en 2016. Enfin, le rapport pointe l’accroissement des nouveaux risques issus de la révolution technologique en cours dans les services financiers. Tracfin appelle ainsi à l’adaptation de la réglementation de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme pour favoriser l’intégration des opérateurs de monnaies virtuelles telle que les plates-formes de change, les grands acteurs du web que sont les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et les opérateurs de téléphonie mobile.

Un engagement croissant de Tracfin dans la lutte contre le financement du terrorisme

L’année 2016 et le premier semestre 2017 ont marqué une constance de l’engagement de Tracfin dans la lutte contre les fraudes aux finances publiques et le financement du terrorisme.

Tracfin a transmis 443 dossiers d’investigation « Financement du terrorisme » aux différents services de renseignement, à l’autorité judiciaire ou aux services de police judiciaire en charge de la lutte contre le terrorisme, entre le 1er janvier et le 31 août 2017, soit une hausse de 78 % par rapport à la même période 2016. Dans ce domaine, l’année 2016 a permis à la division spécialisée dans la lutte contre le financement du terrorisme de Tracfin, créée en 2015, d’atteindre sa vitesse de croisière, le service a ainsi sensiblement accru le nombre de notes transmises en matière de « lutte contre le financement du terrorisme » (+ 121 % avec 396 notes). Parallèlement, Tracfin a consolidé sa participation à la cellule inter-agences de la DGSI et a mis en place une permanence opérationnelle afin d’organiser la mobilisation de ses effectifs en cas de crise, d’attentat ou d’activation urgente. Dans cette dynamique, Tracfin a pris l’initiative d’adapter ses modes de transmission aux besoins des services partenaires par la rédaction de rapports Flash afin de partager, au sein de la communauté du renseignement, avec célérité les signaux faibles mais fiables constitués d’indices financiers de radicalisation. L’année 2016 a été marquée par la transposition accélérée de la 4e directive anti-blanchiment et l’anticipation des risques déjà identifiés de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme publié par Tracfin le 8 décembre 2016 (monnaie électronique, monnaie virtuelle, meilleur encadrement juridique des plates-formes de financement participatif, etc.). Des harmonisations européennes sont engagées dans le processus de la 4e directive bis à la suite du plan de l’Union européenne du 2 février 2016 de lutte contre le terrorisme, fortement inspiré par les propositions de Tracfin (élimination des entraves juridiques et pratiques aux échanges entre CRF, création de fichiers nationaux centralisateurs de comptes bancaires, contrôle des nouveaux moyens de paiement, etc.). Tracfin, dont la feuille de route vise à favoriser la préparation de l’évaluation de la France parle GAFI à l’horizon 2019-2020, participera activement à cette démarche.

Répondre au défi du Big Data

Le développement de la coopération internationale bilatérale ou multilatérale reste un défi et un enjeu stratégique. Tracfin engage des rapprochements auprès de nouveaux partenaires, comme Europol qui héberge depuis janvier 2016 le dispositif d’échanges sécurisé entre CRF européennes FIU Net. De nombreux enjeux stratégiques et tactiques subsistent pour veiller à rester performant, pour anticiper et détecter les nouveaux risques, pour consolider les partenariats existants et pour imaginer de nouvelles formes de coopération entre les acteurs engagés dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. La mutation de Tracfin comme service de renseignements spécialisé dans le domaine financier se poursuit à un rythme accéléré, le défi du Big Data est engagé avec le projet structurant de construction et de déploiement du nouveau système d’information. La plate-forme sécurisée ERMES, que Tracfin fait évoluer, doit devenir pour chacun l’outil de référence des échanges opérationnels.

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