Transmission d’entreprise : les sénateurs proposent une réforme de la fiscalité

Publié le 06/07/2018

Réforme des pactes Dutreil, assouplissement du cadre de l’apport-cession, réduction d’impôt au titre des intérêts d’emprunt contractés pour acquérir une entreprise, harmonisation des droits d’enregistrements sur les cessions des titres, mesures fiscales, les sénateurs ont adopté en première lecture une proposition de loi visant à moderniser la transmission d’entreprise.

Le 7 juin dernier, le Sénat a adopté en première lecture une proposition de loi visant à moderniser la transmission d’entreprise (texte n° 343). Au menu : des mesures principalement fiscales, largement inspirées des préconisations contenues dans le rapport d’information : « Moderniser la transmission d’entreprise en France : une urgence pour l’emploi dans nos territoires », présenté en février 2017 par Claude Nougein et Michel Vaspart, deux sénateurs Les Républicains, respectivement de Corrèze et des Côtes-d’Armor. Le point sur ces mesures adoptées en première lecture et transmises à l’Assemblée nationale le 8 juin. La réforme des pactes Dutreil fera l’objet d’un second volet.

Droits d’enregistrement : un taux unique pour toutes les cessions de titres

L’article 11 adopté en première lecture réforme l’article 726 du CGI en ce qu’il instaure un taux unique de 0,1 % de droits de mutation à titre onéreux applicables à toutes cessions de parts sociales et d’actions. Actuellement, les cessions de parts sociales (SARL, EURL, SNC) sont soumises au droits d’enregistrement au taux de 3 %. Les cessions d’actions (SA, SAS) au taux de 0,1 %, et les cessions de participations dans des personnes morales à prépondérance immobilière au taux de 5 %. Par souci de neutralité fiscale, et pour éviter des transformation artificielle des statuts des entreprises au moment de la cession pour bénéficier du taux le plus bas, le taux de 0,1 % s’appliquerait à toutes les cessions. En contrepartie, l’abattement de 23 000 euros sur les parts sociales serait supprimé.

Donation d’entreprise : anticiper la transmission à titre gratuit

Le projet de loi propose d’aménager la réduction pour âge du donateur prévue en cas de transmission d’entreprise qui figure sous l’article 790 du CGI. Le texte initial portait de 50 à 60 % la réduction d’impôt pour âge du donateur lorsque les parts d’entreprises ont été transmises entre 60 et 65 ans, tout en ramenant à 40 % cette dernière lorsque la donation a été effectuée entre 65 et 70 ans. Finalement, le texte adopté en première lecture augmente le taux de la réduction de 50 à 60 ans pour les donateurs âgés de moins de 70 ans.

Apport-cession : de nombreux assouplissements

L’article 12, adopté en première lecture assouplit les conditions d’application du régime de l’apport-cession (CGI, art. 150-0 B ter) qui permet à des entrepreneurs qui cèdent les titres d’une société qu’ils contrôlent pour en réinvestir le produit dans des activités économiques, de bénéficier d’un report d’imposition. En cas de cession des titres apportés, un maintien du report est possible mais strictement encadré. La proposition de loi élargit le spectre des dérogations. Tout d’abord, elle prolonge d’un an le délai actuel de deux ans de réinvestissement lorsque ce réinvestissement est réalisé au bénéfice d’une PME.

Ensuite, la condition de contrôle des sociétés dans lesquelles le capital est acquis ne s’appliquerait pas dans le cas des PME : le report d’imposition serait maintenu en l’absence de prise de contrôle, de façon à ce que les business angels qui prennent des participations dans des PME sans le contrôle, en bénéficient.

En outre, le maintien du report d’imposition serait maintenu au-delà du seul réinvestissement du produit de cessions à titre onéreux ; elle l’élargit au produit des autres opérations permettant un réinvestissement dans une activité opérationnelle : rachat, remboursement ou annulation, dès lors que ces opérations permettent un remploi dans les conditions prévues, elles doivent permettre un maintien du report. Enfin, elle rend éligible à ce dispositif aux réinvestissements du produit de cession dans une holding animatrice.

La seule mesure écartée par la commission des finances est la proposition des sénateurs de redéfinir l’assiette du réinvestissement à 50 % du produit de la cession, net des frais, taxes et impositions supportés par la société cédante. L’assiette actuelle, qui correspond au produit brut de la cession, est donc inchangée.

Prise en compte des intérêts d’acquisition

L’article 7 de la proposition de loi rétablit jusqu’en 2022 la réduction d’IR au titre des intérêts d’emprunt pour acquérir le capital d’une PME, sous l’article 199 terdecies-0 B du CGI. La réduction d’IR s’élèverait à 25 % du montant des intérêts et concernerait les emprunts contractés après l’entrée en vigueur de la loi.

Une telle mesure a déjà existé. Elle avait été instaurée en 2003 par la loi pour l’initiative économique. Les intérêts ouvrant droit à réduction d’impôt étaient retenus dans la limite annuelle de 10 000 euros pour les contribuables célibataires, veufs ou divorcés et de 20 000 euros pour les contribuables mariés soumis à imposition commune. En 2008, le plafond avait été doublé, passant à 20 000 et 40 000 euros et le dispositif condamné à disparaître en 2012. Aujourd’hui seuls les emprunts contractés avant le 31 décembre 2011 bénéficient de cette réduction d’IR. Le dispositif proposé reprend les mêmes conditions relatives à la nature de l’opération, et à la durée de conservation des titres (5 ans). L’acquéreur doit détenir 25 % des droits de vote et des droits au dividende (il est tenu compte des parts des membres de sa famille et, en cas de reprise interne, des autres salariés). Enfin, le bénéficiaire du crédit d’impôt doit exercer une fonction de direction dans la société qui donne droit à une rémunération normale (c’est-à-dire plus de la moitié des revenus à raison desquels l’intéressé est soumis à l’impôt sur le revenu dans les mêmes catégories d’imposition à l’impôt sur le revenu, à l’exclusion des revenus non professionnels).

Quant à la société reprise, il doit s’agir d’une PME, soumise à l’impôt sur les sociétés, ayant son siège social dans l’Union européenne ou dans un autre pays de l’espace économique européen ayant conclu avec la France une convention de lutte contre la fraude. Son activité doit être commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, à l’exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier. La réduction d’impôt n’est pas cumulable avec l’exonération au titre de la souscription d’un plan d’épargne en actions (PEA), ni avec les réductions d’impôt attachées à un plan d’épargne salariale ou au dispositif Madelin. Enfin, ces intérêts d’emprunt ne peuvent pas être déduits du revenu imposable.

Les sénateurs l’ont adopté en première lecture malgré l’avis défavorable du gouvernement, qui juge l’ancien dispositif « peu efficient ».

Crédit-vendeur : mieux échelonner l’impôt sur les plus-values de cession

L’article 6 de la proposition de loi, tel qu’adopté en première lecture par les sénateurs, prévoit de rendre plus efficace le mécanisme existant d’échelonnement de l’impôt sur les plus-values de cession en cas de crédit-vendeur aux entreprises, jusqu’à présent quasiment pas appliqué.

Rappelons que le crédit-vendeur permet au cédant d’une entreprise individuelle d’accepter un paiement différé ou échelonné du prix par le repreneur. Jusqu’en 2003, l’impôt sur les plus-values devait être acquitté en totalité à l’occasion de la cession, quand bien même le cédant ne percevait sa plus-value que de façon échelonnée ou différée. Pour remédier à ce problème qui constituait un frein au développement du dispositif, l’administration fiscale admettait que le cédant sollicite un étalement de son imposition au titre des plus-values à long terme, dans la limite de deux ans, sous condition que l’entreprise n’emploie pas plus de dix salariés et que son chiffre d’affaires n’excède pas deux millions d’euros (Instr. fisc. n° 03-056-A1, 28 oct. 2003).

La proposition de loi envisage d’assouplir le régime fiscal actuel qui figure à l’article 1681 F du CGI sur trois points. Son bénéfice ne serait plus réservé aux entreprises individuelles, la condition relative au nombre maximal de salariés de l’entreprise serait supprimée et enfin, le chiffre d’affaires maximal de l’entreprise serait relevé de 2 à 10 millions d’euros.

Reprises par les salariés

L’article 18 adopté en première lecture abaisse à 5 le nombre minimum de salariés-repreneurs requis, à la date du rachat, pour bénéficier du crédit d’impôt de l’article 220 nonies du CGI.

Il serait fixé à 5 salariés dans les entreprises dont l’effectif est supérieur à 15 salariés. En deçà, le mode de calcul actuel reste inchangé : soit 4 repreneurs nécessaires entre 12 et 15 salariés, 3 repreneurs entre 9 et 11 et 2 repreneurs en dessous de 11 salariés.

Pour mémoire, ce crédit d’impôt s’applique aux sociétés « constituées exclusivement pour le rachat de tout ou partie du capital d’une société ». Il est égal à celui de l’impôt sur les sociétés dû par la société rachetée au titre de l’exercice précédent : du montant de l’impôt sur les sociétés dû par la société nouvelle est déduite une partie du montant de l’impôt sur les sociétés dû par la société rachetée. De plus, la condition préalable d’accord d’entreprise sur un plan d’épargne entreprise (PEE) serait supprimée.

Autre mesure destiné à favoriser les reprises internes : l’article 17 de la proposition de loi qui relève de 300 000 à 500 000 euros, les abattements fiscaux prévus en cas de reprise par un ou plusieurs salariés. Il s’agit de l’abattement de l’article 732 ter du CGI applicable aux droits d’enregistrement sur les acquisitions de droits sociaux effectuées par une société créée en vue de racheter une autre société, et de celui de l’article 790 A du CGI, relatif aux donations d’entreprises au salariés.

Les mesures écartées

Plusieurs mesures présentes dans le texte initial n’ont pas été retenues par la commission des finances. Ainsi, l’article 2 proposait de modifier l’article 83 du CGI afin de rendre déductibles de l’impôt sur le revenu, au titre des frais professionnels, les frais d’étude ou de diagnostic de la transmission d’entreprise. La commission a rappelé que ces frais peuvent faire l’objet d’une comptabilisation en charges déductibles pour l’établissement du résultat de la société.

De même, la commission a écarté la proposition de modifier le régime fiscal de la location-gérance de l’article 238 quindecies du CGI. Il s’agit d’une exonération d’impôt sur le revenu (IR) et d’impôt sur les sociétés (IS), partielle ou totale, des plus-values réalisées lors de la transmission, à titre onéreux ou à titre gratuit, d’une entreprise. Entre autres conditions, l’activité doit avoir été exercée pendant au moins cinq ans. Les sénateurs proposaient de ramener ce délai à deux ans dans le cas où le propriétaire cède l’activité au locataire. La commission a écarté cette proposition au motif que cela conduirait à ce qu’un cédant puisse bénéficier d’un avantage fiscal sur la cession d’une société qu’il aurait très peu contribué à développer, alors même que le locataire-gérant supporterait le risque et assurerait la gestion effective et quotidienne de l’entreprise.

Deux autres mesures ont été écartées. L’article 9 prévoyait une mesure générale sur les exonérations ou réductions de droit (CGI, art. 1840 G ter). Aujourd’hui, en matière de droits d’enregistrement et de taxe de publicité foncière, le défaut d’une pièce justificative est sanctionné par la remise en cause pure et simple des avantages fiscaux concernés, sans mise en demeure préalable. Le Sénat prévoyait, dans une logique de « droit à l’erreur », de faire de la mise en demeure, assortie d’un délai d’un mois, une condition préalable à la remise en cause des avantages fiscaux. De même, l’article 10 n’a pas été retenu. Il proposait de créer dans le Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), au sein du chapitre dédié aux « diligences de l’administration », un mécanisme d’évaluation appelée à porter non seulement sur les services locaux de l’administration fiscale mais également sur les services des autres administrations dont l’action peut avoir un impact sur la vie des entreprises. La commission des finances a estimé que l’objectif poursuivi par cette mesure pourrait être satisfait par d’autres moyens que l’adoption d’une loi.

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