Vers une normalisation de la fiscalité des non-résidents
La loi de finances pour 2019 a opéré un alignement de la fiscalité des expatriés sur celle des contribuables ayant leur domicile fiscal en France : fiscalité immobilière, prélèvement à la source, prise en compte des pensions alimentaires versées, le droit commun s’étend aux non-résidents. Quant à la suppression des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine, elle a été entérinée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. Enfin, Bruxelles demande à la France d’étendre le crédit d’impôt pour emploi à domicile aux non-résidents.
Fin 2018, le législateur a adopté plusieurs mesures fiscales visant à rapprocher la fiscalité des non-résidents vers celle des personnes ayant leur domicile fiscal en France. Parmi ces mesures significatives, la loi de Finances pour 2019 est intervenue en matière de fiscalité immobilière. La loi de finances pour la sécurité sociale pour 2019 a entériné la suppression des prélèvements sociaux sur le patrimoine. Enfin, une évolution pourrait venir de la Commission européenne qui attaque la France sur l’exclusion des non-résidents du bénéfice du crédit d’impôt pour l’emploi d’aides à domicile. Le point sur ces principales évolutions.
Exonération de l’ancienne résidence principale
La loi de finances pour 2019 (L. n° 2018-1317 28 déc. 2018 de finances pour 2019, JORF n° 0302 30 déc. 2018) a assouplit considérablement les conditions d’exonération des plus-values immobilières réalisées par les non-résidents. L’évolution la plus notable porte sur la cession de la résidence principale : les non-résidents bénéficient désormais des mêmes conditions d’exonération de la résidence principale de l’article 150 U II-1° du Code général des impôts (CGI).
Avant cette réforme, les propriétaires qui cédaient leur résidence principale, après leur transfert de domicile hors de France, avaient seulement droit à l’exonération partielle, à hauteur de 150 000 euros de l’article 244 bis A II-1° du CGI.
À compter des cessions intervenues en 2019, l’exonération intégrale est étendue aux contribuables qui mettent en vente leur résidence principale après leur départ de France. Ils bénéficient d’une exonération du prélèvement libératoire. Sont concernés les personnes qui s’installent dans un autre État de l’Union européenne, ou dans un État ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales et une convention d’assistance mutuelle en matière de recouvrement de l’impôt.
Plusieurs conditions doivent être réunies. Tout d’abord, la vente doit intervenir au plus tard à la fin de l’année qui suit l’année du départ à l’étranger. Concrètement, si le départ intervient en début d’année n, le délai s’écoulant jusqu’à la fin de l’année n+1, le contribuable peut disposer de presque deux années pour céder son bien et bénéficier de l’exonération intégrale. Ce délai maximal semble s’apprécier strictement, contrairement au délai prévu pour les résidents. En effet, pour ces derniers, l’exonération repose sur la condition que le logement ne doit pas être vacant au moment de sa vente, mais la jurisprudence et la doctrine tiennent compte des difficultés que peut rencontrer le cédant (marché difficile, bien atypique, etc.). Elles s’accordent ainsi sur un délai d’un an, qui peut, selon les cas, être supérieur à condition que le cédant justifie avoir rencontré des difficultés bien qu’il ait multiplié les démarches et accompli toutes les diligences en ce sens.
Ensuite, le non-résident ne doit pas avoir mis son ancien logement « à disposition d’un tiers, à titre gratuit ou à titre onéreux, entre ce transfert et la cession ». L’immeuble doit rester inoccupé pendant ce délai. Enfin, le non-résident ne doit pas avoir bénéficié, antérieurement, du dispositif d’exonération partielle qui était prévu pour les non-résidents (CGI, art. 150 U II-2°).
Exonération partielle : le délai de cession porté de 5 à 10 ans
En vertu de ce dernier dispositif, le non-résident peut bénéficier d’une exonération de la plus-value à hauteur de 150 000 euros sur la cession d’un logement situé en France. Il peut s’agir de la résidence principale comme d’une résidence secondaire. Pour en bénéficier, le cédant doit avoir été fiscalement domicilié en France pendant au moins deux ans, de manière continue à un moment quelconque avant la cession. En outre, la cession doit être réalisée au plus tard 5 ans après le départ hors de France. La loi de finances pour 2019 vient de porter ce délai à 10 ans. Ce dispositif continue d’être réservé aux résidents de l’Espace économique européen (Union européenne, Islande, Lichtenstein, Norvège).
Suppression des prélèvements sociaux
Le législateur a mis la loi en conformité avec le droit européen en matière de prélèvements sociaux supportés par les non-résidents à raison des revenus de leur patrimoine. L’article 26 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 (L. n° 2018-1203 22 déc. 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019, JORF n° 0297 23 déc. 2018) met fin à l’assujettissement aux prélèvements sociaux (CSG et CRDS) des revenus du capital de source française perçus par des contribuables affiliés à un régime de sécurité social au sein de l’Espace économique européen (Union européenne, Islande, Lichtenstein, Norvège) et de la Suisse.
Cette réforme vient clore des contestations depuis plusieurs décennies. Dès 2000, une première décision de justice a donné raison aux contestations. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 15 fév. 2000 n° 169/98, Commission c/ France et CJUE, 15 févr. 2000, n° 34/98, Commission c/ France) avait déjà pris position à propos de la CSG et de la CRDS lorsqu’elles sont assises sur les revenus d’activité et de remplacement. Elle avait estimé que ces prélèvements étaient soumis au règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, duquel découle notamment le fait que chacun ne doit contribuer qu’à un régime de sécurité sociale, et par conséquent, ne pouvaient être appliqués aux travailleurs frontaliers.
En 2015, la CJUE (CJUE, 26 févr. 2015, n° 623/13), dans son fameux arrêt « De Ruyter » avait jugé que le fait d’assujettir une personne physique à des prélèvements sur les revenus du patrimoine finançant des organismes de sécurité sociale français, alors même que l’intéressé, au demeurant résident fiscal en France, n’était pas affilié à la sécurité sociale française, mais à celle d’un autre État membre, est contraire au principe d’unicité de législation en matière d’affiliation à un régime de sécurité sociale défini par le règlement (du 14 juin 1971) duquel découle notamment le fait que chacun ne doit contribuer qu’à un régime de sécurité sociale.
Le Conseil d’État avait suivi cette position dans sa décision du 27 juillet 2015 (CE, 27 juill. 2015, n°s 334551 et 342944), en jugeant qu’un contribuable résident de France, affilié exclusivement à un régime de sécurité sociale étranger relevant du règlement européen sur la sécurité sociale, ne pouvait pas être soumis en France aux contributions sociales sur les revenus du patrimoine.
Par la suite, l’article 24 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 avait procédé à une vaste réaffectation de ces prélèvements pour les rendre euro-compatibles. Il s’agissait de cantonner les prélèvements frappant l’ensemble des revenus du capital soit vers l’État, soit vers des organismes « non assurantiels », qu’il s’agisse d’organismes de financement de prestations de solidarité ou d’une caisse dédiée au remboursement de la dette sociale.
Or cette nouvelle organisation de l’affectation des prélèvements sociaux restait contestable. Selon la CJUE, le fait qu’un prélèvement soit en partie destiné à apurer une dette du régime de sécurité sociale occasionnée par le financement de prestations servies dans le passé ne saurait le soustraire au principe d’unicité de législation de sécurité sociale, ce qui semble exclure toute affectation à la Cades.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 opère la mise en conformité qui était nécessaire. Toutefois, le législateur n’a pas donné de suite favorable aux demandes des expatriés dans leur ensemble. Il a réservé cette évolution aux seuls résidents de l’Espace économique européen.
Retenue à la source : un taux neutre à partir de 2020
La loi de finances pour 2019 aménage la retenue à la source sur les salaires, pensions et rentes viagères qui sont versées depuis la France aux non-résidents (CGI, art. 182 A), pour la rapprocher du prélèvement à la source sur l’impôt sur le revenu (PAS). Ces évolutions entreront en vigueur aux revenus perçus à compter du 1er janvier 2020.
À partir de cette date, la base de la retenue sera constituée des traitements et salaires, pensions et rentes viagères à titre gratuit pour leur montant net avant déduction des frais professionnels (et autres abattements spécifiques) de 10 % ainsi que des autres déductions forfaitaires.
En outre, le barème à trois tranches laissera place à une retenue à la source calculée en appliquant le barème de taux neutre du PAS applicable aux résidents en France. Ce taux neutre correspond à un taux par défaut qui ne prend pas en compte la situation globale et familiale du contribuable.
Par ailleurs, pour la retenue à la source sur certains revenus non salariaux, la loi étend la possibilité pour les contribuables de demander la restitution des excédents de retenue. Elle se conforme à la jurisprudence du Conseil d’État (CE, 17 févr. 2015, n° 373230) qui avait reconnu cette possibilité.
D’autre part, les expatriés qui versent des pensions alimentaires peuvent désormais déduire ces montants, pour le calcul du taux moyen d’imposition sur l’ensemble des revenus mondiaux. Ces pensions doivent être imposables entre les mains de leur bénéficiaire en France et ne doivent pas avoir déjà donné lieu, pour le contribuable, à un avantage fiscal dans son État de résidence.
Autre évolution favorable : le dispositif Pinel (CGI, art. 199 novovicies) n’est plus réservé aux seuls résidents. Les expatriés qui n’ont acquis un bien ouvrant droit à la réduction d’impôt Pinel avant leur départ hors de France conservent le bénéfice de l’avantage fiscal après leur expatriation. Enfin, la possibilité d’évaluer forfaitairement le montant exonéré de la prime d’impatriation est étendue à tous les types d’impatriation, y compris dans le cadre de mobilité intra-groupe.
Vers l’extension du crédit d’impôt emploi à domicile
Le 24 janvier, la Commission européenne a demandé à la France de mettre ses règles fiscales liées aux services de soins personnels et d’aide à domicile en conformité avec le droit de l’Union européenne.
La Commission a décidé d’envoyer un avis motivé à la France en raison des désavantages fiscaux liés aux services de soins personnels et d’aide ménagère subis par certains contribuables résidents et non-résidents. Actuellement, un crédit d’impôt pour les services de soins fournis à domicile aux contribuables ou, sous certaines conditions, à leurs ascendants, n’est accordé que si ces services sont fournis dans une résidence située en France (CGI, art. 199 sexdecies).
Pour Bruxelles, « cette condition est contraire aux principes du droit de l’Union, car elle pénalise les contribuables résidant en France qui sont domiciliés dans un autre État membre de l’UE ou dans un État de l’EEE. Elle pénalise également les contribuables non-résidents qui se trouvent dans une situation comparable à celle des résidents, car ceux-ci tirent la majeure partie de leurs revenus de leur activité en France ».
Si la France n’agit pas dans les deux prochains mois, la Commission pourrait décider de saisir la Cour de justice de l’Union européenne.
Pour mémoire, selon l’article 199 sexdecies du CGI, « ouvrent droit à un crédit d’impôt sur le revenu les sommes versées par un contribuable domicilié en France au sens de l’article 4 B pour, l’emploi d’un salarié (…) » à domicile. Il s’agit notamment des activités de garde d’enfants, soutien scolaire, assistance aux personnes âgées ou handicapées, entretien de la maison et travaux ménagers, petits travaux de jardinage, prestations de petit bricolage et des prestations d’assistance informatique et internet.
Le crédit d’impôt est égal à 50 % des dépenses effectivement supportées, retenues dans la limite annuelle de 12 000 euros majorée de 1 500 euros par enfant à charge (750 euros en cas de résidence alternée), par membre du foyer âgé de plus de 65 ans ou par ascendant âgé de plus de 65 ans, remplissant les conditions pour bénéficier de l’APA lorsque les dépenses sont engagées à son domicile.
À l’inverse, plusieurs mesures adoptées cet hiver ne sont pas favorables aux non-résidents.
Relèvement du taux minimal d’imposition
La loi de finances pour 2019 a relevé le taux d’imposition minimal d’imposition des non-résidents à la retenue à la source de l’article 197 A du CGI. Jusqu’à présent, l’impôt calculé ne pouvait être inférieur à 20 % du revenu net imposable (14,4 % pour les revenus ayant leur source dans les DOM). Ce taux minimum est porté à 30 % (20 % pour les DOM) à compter des revenus perçus en 2018.
Toutefois, ce taux minimum continue de ne pas êtres applicable si le contribuable justifie que le taux moyen qui résulterait de l’imposition en France de l’ensemble de ses revenus mondiaux serait inférieur à ce taux minimum. Dans pareille hypothèse, l’impôt sur les seuls revenus de source française est alors calculé sur la base de ce taux moyen.
Une retenue à la source pour lutter contre l’arbitrage abusif des dividendes
La loi de finances pour 2019 a introduit une mesure anti-abus pour répondre aux pratiques dénoncées par le scandale dit des « CumEx Files » en matière d’arbitrage de dividendes. À partir du 1er juillet 2019, tous les flux financiers qui correspondent indirectement à la rétrocession d’un dividende à un actionnaire non-résident sont soumis à une retenue à la source (CGI, nouvel art. 119 bis A). Le taux de cette retenue s’élève à 12,8 % si le bénéficiaire est une personne physique, 30 % s’il s’agit d’une personne morale. Dans tous les cas, le taux est porté à 75 % en cas de paiement dans un État ou territoire non coopératif.
Le bénéficiaire du versement peut toutefois demander le remboursement de cette retenue s’il justifie de la réalité l’opération : il doit apporter la preuve que « ce versement correspond à une opération qui a principalement un objet et un effet autres que d’éviter l’application d’une retenue à la source ou d’obtenir l’octroi d’un avantage fiscal ».