Visites domiciliaires : quels recours pour les tiers

Publié le 17/09/2018

La chambre commerciale de la Cour de cassation apporte de nouvelles précisions en matière de recours contre les perquisitions fiscales.

La Cour de cassation vient de juger que la voie de l’appel est ouverte à toutes personnes concernées par les perquisitions fiscales, et notamment aux occupants des lieux dont la visite a été autorisée ainsi qu’aux personnes sur lesquelles pèsent des soupçons de fraude fiscale. Les visites domiciliaires constituent un des moyens du contrôle fiscal (Cass. com., 27 juin 2018, n° 16-27561). Cette procédure d’exception compte parmi les instruments dont dispose l’administration pour lutter contre la fraude fiscale en matière de taxes sur le chiffre d’affaires, d’impôt sur les sociétés et d’impôt sur le revenu. Ces dernières années, le nombre de perquisitions fiscales a diminué, passant de 240 en 2010 à 204 en 2016. Toutefois, cette évolution numérique masque une montée en gamme des contribuables ciblés, la DGFiP n’hésitant pas à utiliser cette procédure à l’égard de grands groupes internationaux, ce qui demeurait rare il y a encore quelques années (EY Société d’avocats, 37 propositions pour une modernisation du contrôle fiscal, juillet 2018).

Une procédure modernisée

Les services fiscaux pour effectuer une perquisition fiscale doivent préalablement obtenir une ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD) les autorisant à effectuer cet acte. Munis de ce document, les agents des impôts accompagnés d’un officier de police judiciaire (OPJ), peuvent perquisitionner les locaux de la société comme le siège social mais aussi les entrepôts, les établissements secondaires, etc. afin de saisir les pièces et documents attestant la réalité des infractions fiscales présumées. Depuis la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l’économie (LME), qui a réformé la procédure de visite et de saisie domiciliaire, à la suite de l’arrêt Ravon (CEDH, 21 févr. 2008, n° 18497/03, Ravon c/ France), rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), les facultés de recours effectif du contribuable, en appel et en cassation ont été étendues. L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme a jugé la procédure des perquisitions fiscales contraire à l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. En effet, l’ordonnance autorisant les visites domiciliaires n’était susceptible que d’un pourvoi en cassation non suspensif. Pour la CEDH, la Cour de cassation, juge du droit, ne permettait pas un examen des éléments de fait fondant les autorisations litigieuses. Dès lors, le contrôle juridictionnel de la régularité des mesures d’exécution prises sur le fondement de l’ordonnance n’est ni équitable ni suffisant et l’accès des personnes concernées au juge apparaissait plus théorique qu’effectif. La CEDH a également constaté que les contribuables étaient privés d’un recours effectif lorsque la visite n’aboutissait pas à un redressement. Les intéressés n’avaient pas la faculté de saisir le juge ayant autorisé les opérations après l’achèvement de celles-ci. À la suite de cet arrêt le législateur a substantiellement modifié l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, relatif aux perquisitions fiscales, une innovation majeure, étendant de ce fait les droits du contribuable. Ce dernier dispose de deux nouveaux recours devant le premier président de la cour d’appel : un recours dirigé contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD) ayant autorisé la visite domiciliaire et un recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie elles-mêmes. Il dispose donc d’une double voie de recours, consistant en un appel non suspensif puis un pourvoi en cassation, dans un délai de 15 jours et selon les règles prévues par le Code de procédure civile. Il n’en reste pas moins que des progrès sont encore à réaliser pour assurer l’effectivité de ses recours. Le cabinet EY Société d’Avocats, qui vient de publier 37 propositions pour une modernisation du contrôle fiscal en juillet dernier, relève ainsi que conformément au 12e alinéa de l’article L. 16 B du LPF un officier de police judiciaire (OPJ) est chargé par le juge des libertés et de la détention qui a autorisé la visite et la saisie d’assister aux opérations et de le tenir informé de leur déroulement. L’OPJ est ainsi le représentant sur place du juge des libertés et de la détention et est le point de saisine obligé de ce dernier pendant le déroulement de la visite et de la saisie. Or, souligne le cabinet d’avocat, force est de constater que l’OPJ ne s’assure jamais que les opérations se déroulent régulièrement et surtout refuse systématiquement d’accéder à une demande de saisine du juge des libertés et de la détention en cours de procédure. Afin que les procédures de visite et de saisie se déroulent désormais dans des conditions conformes à l’article L. 16 B du LPF, le cabinet d’avocat propose donc que les OPJ qui sont désignés par le juge des libertés et de la détention reçoivent une formation spécifique, portant en particulier sur leur rôle actif de garant vis-à-vis du juge des libertés et de la détention du bon déroulement de la procédure.

Une visite domiciliaire dans des lieux avec plusieurs occupants

La jurisprudence précise peu à peu le cadre des recours en cas de visite domiciliaire. En l’espèce, elle vient dans un revirement de jurisprudence de préciser que l’occupant des lieux dans lesquels l’administration fiscale a été autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention à procéder à une visite domiciliaire est en droit de contester l’ensemble des motifs fondant cette autorisation, même en l’absence de présomption de fraude invoquée contre lui. Dans cette affaire, le juge des libertés et de la détention de Metz a, sur le fondement de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, autorisé les agents de l’administration fiscale à procéder à une visite et des saisies dans des locaux et dépendances situés 7 rue des Piques à Metz, susceptibles d’être occupés par les sociétés Centre privé de radiothérapie de Metz, pôle de cancérologie et de radiodiagnostic, les SCI de la Grange des Antonistes, Immobilière du Nivernais, la société Les Jardins de l’abbaye, Monsieur G., la société Unité de radiothérapie République et les sociétés de droit luxembourgeois Untec et Deuxtec, afin de rechercher la preuve de la fraude commise par les deux dernières sociétés au titre de l’impôt sur les bénéfices et des taxes sur le chiffre d’affaires. Monsieur G. et la société Centre privé de radiothérapie de Metz ont relevé appel de cette ordonnance. Par une ordonnance du même jour, le juge des libertés et de la détention a, sur le fondement de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, autorisé les agents de l’administration fiscale à procéder à une visite et des saisies dans des locaux et dépendances, susceptibles d’être occupés notamment, par Monsieur H, afin de rechercher la même preuve. Monsieur H a relevé appel de cette ordonnance du juge des libertés et de la détention. Après avoir joint ces recours, le premier président les a rejetés. L’ordonnance attaquée a déclaré l’appel non fondé et a confirmé l’ordonnance rendue le 10 mai 2016 par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Metz. L’administration fiscale a fait valoir que les appelants ne sont pas fondés à invoquer une insuffisance des présomptions à l’encontre des sociétés Untec et Deuxtec, dès lors que l’ordonnance querellée ne vise comme auteurs présumés des agissements de fraude que les seules sociétés de droit luxembourgeois Untec et Deuxtec et alors que celles-ci, seules concernées par les présomptions de fraude, n’ont pas interjeté appel de l’ordonnance rendue le 10 mai 2016. Or il ressort effectivement des mentions de l’ordonnance dont appel et de la procédure de première instance que seules sont suspectées de fraude les sociétés Untec et Deuxtec, et non pas Monsieur G. ni la SELARL Centre privé de radiothérapie de Metz et pas davantage Monsieur H., qui se présente dans sa déclaration d’appel et ses conclusions justificatives d’appel comme agissant en son nom propre et non pas en sa qualité de gérant de la SARL Untec avec cette conséquence que ces personnes privées et cette personne morale ne peuvent effectivement pas être admises à se prévaloir de l’absence ou de l’insuffisance des présomptions de fraude retenues par le premier juge à l’égard des sociétés Untec et Deuxtec.

Un revirement de jurisprudence

La chambre commerciale de la Cour de cassation commence par rappeler qu’en application de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, les ordonnances rendues par le juge des libertés et de la détention autorisant les agents de l’administration fiscale à procéder à des visites domiciliaires et à des saisies peuvent faire l’objet d’un recours devant le premier président de la cour d’appel. Le Conseil d’État a affirmé la compétence exclusive du juge judiciaire en matière de perquisitions fiscales. Pour le juge administratif, l’appréciation de la régularité d’une visite domiciliaire et d’une saisie faite au cours de cette visite relève de la compétence exclusive du juge judiciaire y compris pour les tiers à l’objet de la visite. La contestation de la régularité des opérations de visite et de saisie effectuées sur le fondement de l’article L. 16 B du LPF peut également être formée par des tiers à l’objet de la visite, dès lors que des impositions ont été établies, ou des rectifications effectuées, à leur encontre, à partir d’éléments obtenus par l’administration dans le cadre d’une telle opération. « La jurisprudence de la Cour de cassation est bien établie sur ce sujet. Dans la mesure où le tiers n’a pas été informé par l’administration fiscale de cette visite domiciliaire et de l’existence de voies de recours, il peut saisir le premier président de la cour d’appel, pour contester la régularité de cette visite sans condition de délai. Son intérêt à agir est évident et ne saurait être contesté. Un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 6 déc. 2016, n° 15-14554) a ainsi précisé que la personne destinataire d’une correspondance saisie en vertu de l’article L. 16 B du LPF, fût-ce dans les locaux d’un tiers, a qualité et intérêt pour contester la régularité de cette saisie et peut donc introduire un recours devant le premier président de la cour d’appel territorialement compétente. La Cour de cassation a jugé néanmoins, dans un arrêt du 25 septembre 2012 (Cass. com., 25 sept. 2012, n° 11-24526), que la personne contre laquelle n’est invoquée aucune présomption de fraude ne peut se prévaloir de l’absence ou de l’insuffisance des présomptions fondant l’ordonnance d’autorisation de visite. Pour la Cour de cassation, « cette dernière solution est source pour les personnes concernées d’incertitude juridique quant à la portée du recours qui leur est ouvert, dès lors que la Cour européenne des droits de l’Homme, par un arrêt du 21 février 2008 (Ravon/France, req. no 18497/03) a jugé, en matière de visite domiciliaire, que les personnes concernées sont en droit d’obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ainsi que, le cas échéant, des mesures prises sur son fondement ; qu’il apparaît ainsi nécessaire d’amender la jurisprudence de cette chambre en ce qu’elle ne permet pas un contrôle effectif de l’ordonnance d’autorisation de visite et de saisie ».

Cassation partielle

Pour motiver son rejet du recours de M. G et de la société Centre privé de radiothérapie de Metz, l’ordonnance rendue retient que ces derniers, faute d’intérêt, ne peuvent être admis à se prévaloir de l’absence ou de l’insuffisance des présomptions de fraude retenues par le premier juge à l’égard des sociétés Untec et Deuxtec. En statuant ainsi, alors que l’occupant des lieux dans lesquels l’administration fiscale a été autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention à procéder à une visite domiciliaire est en droit de contester l’ensemble des motifs fondant cette autorisation, même en l’absence de présomption de fraude invoquée contre lui, le premier président a violé les textes susvisés. La Cour de cassation rend donc un arrêt de cassation partielle, annulant l’ordonnance d’appel en ce qu’elle confirme l’ordonnance rendue le 10 mai 2016 par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Metz et condamne M. G et la société Centre privé de radiothérapie de Metz aux dépens et à verser une indemnité de procédure au directeur général des finances publiques, l’ordonnance rendue le 25 novembre 2016, entre les parties par le premier président de la cour d’appel de Metz, remet en conséquence la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et pour être fait droit, les renvoie devant le premier président de la cour d’appel de Nancy.

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