Zoom sur les résultats du parquet financier

Publié le 11/06/2019

Lutte contre la grande délinquance financière et économique et les formes les plus complexes de fraude fiscale : retour de bilan quantitatif et qualitatif.

Le parquet national financier (PAF), créé par la loi du 6 décembre 2013 et mis en place le 1er février 2014, est entré en fonction le 3 mars de la même année. Il a pour but de lutter plus efficacement contre la fraude fiscale, le blanchiment, mais aussi contre un champ très large d’infractions incluant la corruption, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts, les délits boursiers, etc. « Son action est soutenue par la volonté de donner toute leur portée aux dernières réformes législatives qui ont modifié les conditions d’exercice de l’action publique : utilisation de nouvelles méthodes de renseignement, d’investigation et de traitement de l’enquête économique et financière, mise en œuvre des réponses pénales variées et adaptées à la spécificité des dossiers », analyse Éliane Houlette, procureur de la République financier. Sa spécificité : une compétence territoriale nationale et une compétence matérielle réduite à trois types d’infraction : les délits boursiers, les atteintes à la probité et la fraude fiscale complexe. Pour le premier type d’infraction, sa compétence est exclusive, tandis que pour les deux derniers, il intervient en concurrence avec les autres parquets, et notamment ceux des juridictions interrégionales spécialisées.

Un travail en binôme

« L’exercice de la mission du parquet national financier exige diversification et mélange des compétences techniques, expérience dans la conduite de l’action publique, connaissance du monde économique comme de l’administration publique », précise Éliane Houlette. L’équipe du parquet financier compte 18 magistrats, 5 assistants spécialisés (droit boursier, fiscalité internationale, analyse financière, informatique, marchés publics), 1 juriste assistant, 1 fonctionnaire de greffe, 1 responsable communication et 3 adjoints techniques. À l’exception de la PROF et du secrétaire général, les magistrats travaillent en binôme sur chaque procédure. Un procureur adjoint et un premier vice-procureur assistent le procureur financier dans le contrôle de l’unité et de la cohérence de l’action publique. Un autre procureur adjoint est chargé de la fixation des dossiers aux audiences et de l’exécution des peines. Chaque greffier est affecté à un ou deux binômes de magistrats et assure la gestion des procédures, de la saisine jusqu’à l’exécution des sanctions. Le greffe assure également la bonne exécution de l’envoi et du traitement des demandes d’entraide pénale internationale. Les assistants spécialisés étudient les plaintes et les signalements, exploitent les éléments de preuve recueillis et apportent leur expertise technique dans l’accomplissement de certains actes d’enquête. Une responsable communication assure une veille médiatique et assiste le chef de parquet dans ses relations avec la presse.

Des partenaires de travail

Le parquet national financier confie ses enquêtes à six services principaux : l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) créé le 25 octobre 2013, l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), la police judiciaire de la préfecture de police (brigade financière, brigade de répression de la délinquance économique), le Service national de douane judiciaire (SNDJ), la Gendarmerie nationale, les services régionaux de police judiciaire. À l’exception des abus de marché, pour lesquels il dispose d’une compétence exclusive, le parquet national financier partage l’exercice de l’action publique en matière économique et financière avec les parquets territoriaux et les parquets des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). Les échanges avec ses partenaires sont consacrés au partage de l’information, à la restitution des résultats de l’activité du PNF et à l’évaluation de la pertinence des critères de saisine. Le contexte d’accroissement des atteintes à la probité relatives à la gestion financière de certaines collectivités locales dans les départements d’outre-mer, en particulier de l’Océan indien, ont justifié le déplacement de la PRF et l’instauration d’un plan d’action en lien avec le procureur général et les procureurs du ressort. La procédure d’aiguillage des poursuites entre l’Autorité des marchés financiers (AMF) et le parquet national financier, instaurée par la loi du 21 juin 2016, a été mise en œuvre à 39 reprises. 9 ont donné lieu à une orientation pénale, dont 4 au cours de l’année 2018. Aucun arbitrage du procureur général près de la cour d’appel de Paris n’a encore été sollicité. Le parquet national financier a traité 43 procédures portant sur des abus de marché, dont 12 ouvertes en 2018. Les deux institutions échangent régulièrement des informations, dès la phase d’enquête, et coordonnent leurs investigations. Les enquêteurs de l’AMF sont parfois requis en qualité de sachant dans les enquêtes pénales. Enfin, la plupart des dossiers présentent une dimension internationale et nécessitent une coopération soutenue avec les autorités judiciaires étrangères : échanges d’informations, déplacements de magistrats, cellules de coordination sous l’égide d’Eurojust, équipes communes d’enquête dont le financement est assuré par des fonds européens.

Des résultats significatifs

Au regard des affaires terminé en 2018, le rapport du parquet financier recense 69 personnes physiques condamnées, 3 personnes morales condamnées, 43 personnes condamnées à une interdiction d’activité professionnelle et 13 mandats d’arrêt. Des chiffres relativement comparables à ceux de 2017, où on dénombrait 57 personnes physiques condamnées, 6 personnes morales condamnées et 12 mandats d’arrêt. Le nombre de personnes condamnées à une interdiction d’activité professionnelle a en revanche beaucoup augmenté en 2018, car en 2017, seules 12 peines de ce type ont été prononcées. Le total des amendes pénales prononcées s’élève à 296,4 millions d’euros (CJIP de 250 millions d’euros), somme à laquelle s’ajoute le montant des confiscations (comptes bancaires, titres financiers, véhicules, immeubles), soit 116,4 millions d’euros. Le montant des dommages et intérêts accordés à l’État, lorsque l’administration fiscale se constitue partie civile à l’audience, atteint 408,8 millions d’euros. L’administration fiscale a par ailleurs recouvré 7,2 millions d’euros dans le cadre des contrôles fiscaux effectués sur la base d’éléments issus de dossiers pénaux. Les sommes prononcées en faveur du Trésor public dans les procédures terminées en 2018 s’élèvent ainsi à 829 millions d’euros (dont 296, 4 millions d’euros d’amendes, 116,4 millions d’euros de confiscation, 408,8 de millions d’euros de dommages et intérêts pour l’État, 7,2 de millions d’euros de sommes issues des contrôles fiscaux).

La lutte contre les atteintes aux finances publiques

Au 15 décembre 2018, le PNF a traité 227 procédures relatives à des atteintes aux finances publiques, dont 54 concernent des faits d’escroquerie à la TVA, 104 des présomptions de fraude fiscale et 69 des faits de blanchiment aggravé de fraude fiscale. Sur ces procédures, 46 % correspondent à des plaintes pour fraude fiscale, 30 % à des blanchiments de fraude fiscale, 24 % à des escroqueries à la TVA. 51 personnes ont été condamnées en 2018 pour des faits d’atteintes aux finances publiques dont 38 à une peine d’emprisonnement ferme (soit 75 % des personnes condamnées). 8 condamnations portent sur des peines d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans. 13 mandats d’arrêt ont été délivrés par le tribunal. 32 personnes ont été soumises à une interdiction d’activité professionnelle. Depuis 2010, les services fiscaux peuvent déposer plainte sur la base de présomptions caractérisées de fraude fiscale, sans information préalable du contribuable. 95 des 104 dossiers ouverts à la suite d’une plainte de l’administration fiscale l’ont été sur le fondement de cette nouvelle procédure. 26 dossiers (11 %) ont été initiés par le PNF sur la base d’informations issues d’autres procédures, de données collectées en source ouverte (site internet, bases de données publiques, etc.), ou d’articles de presse lorsque les révélations étaient suffisamment circonstanciées. Deux dossiers sur trois concernent la fiscalité des particuliers (impôt sur le revenu, impôt de solidarité sur la fortune et droits de succession) pour un montant de droits éludés supérieur à 500 000 euros. Ils visent surtout des faits de fausse domiciliation fiscale et de dissimulation à l’étranger de revenus et d’éléments du patrimoine par le recours à des trusts ou des structures offshore. Les autres dossiers portent sur la fiscalité des entreprises (impôt sur les sociétés, TVA), en lien avec des problématiques de prix de transfert, d’établissement stable et de fausse facturation via des sociétés écrans. Les dossiers de fraude fiscale et de blanchiment sont confiés à la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (OCLCIFF), qui regroupe des officiers fiscaux judiciaires et des fonctionnaires de police. Le Service national de douane judiciaire est saisi des enquêtes d’escroqueries à la TVA et de quelques dossiers de blanchiment de fraude fiscale.

Le traitement des escroqueries à la TVA

 La taxe sur la valeur ajoutée représente 51 % des recettes de l’État (157 milliards d’euros en 2018). La lutte contre toutes les formes de fraude à la TVA (dissimulation de chiffres d’affaires, utilisation de logiciels permissifs, fraude intracommunautaire en réseau) constitue une priorité. Le parquet national financier est saisi des cas les plus graves et les plus complexes pour lesquels la mise en œuvre de techniques spéciales d’enquête (interceptions de communications, perquisitions, géolocalisation, etc.) ou de mesures de contrainte (contrôle judiciaire, détention provisoire, mandat d’arrêt) s’avère nécessaire. Il traite actuellement 54 procédures faisant apparaître un manque à gagner moyen pour les finances publiques de 17 millions d’euros. Près de trois affaires sur quatre sont signalées par un service du ministère des Finances, en particulier par la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF, 35 %) et par Tracfin (26 %). Le quart restant est à l’initiative du parquet national financier, des autorités étrangères ou de particuliers. Le carrousel de TVA dans le commerce des produits informatiques et électroniques est le schéma de fraude le plus courant. 10 enquêtes concernent le régime de taxation sur la marge des véhicules d’occasion. Le parquet national financier participe à la mission de pilotage de Bercy, Task Force TVA, qui fait intervenir de nombreux acteurs (PNF, Tracfin, OCLCIFF, SNDJ, services de gendarmerie, DNEF) pour échanger sur les nouvelles techniques de fraude. Une cellule plus restreinte réunissant la DNEF et le parquet national financier permet d’intervenir le plus en amont possible dans le démantèlement des nouveaux réseaux. Apparue depuis la création du marché unique européen, la fraude de type carrousel est organisée entre plusieurs entreprises pour obtenir le remboursement par un État de l’Union d’une taxe qui n’a jamais été acquittée en amont. Une chaîne de sociétés implantées dans plusieurs États réalise entre elles des acquisitions et des livraisons intracommunautaires et constitue frauduleusement des droits à déduction par l’intermédiaire de sociétés éphémères ou « taxi » qui ont pour rôle de « créer » de la TVA grâce à un circuit de facturation. Souvent la marchandise n’existe pas ou ne circule pas vraiment, le but des participants n’étant pas de réaliser une opération économique et commerciale mais de partager une TVA ainsi éludée.

La lutte contre les atteintes à la probité

Le parquet national financier a traité 243 procédures relatives à des atteintes à la probité (corruption, détournement de fonds publics, favoritisme, etc.) dont 90 concernent des faits en lien avec un agent public dans un État étranger ou au sein d’une organisation internationale. 45 % de ces procédures ont été transmises par un parquet, dont 23 % par le parquet de Paris. 21 % des procédures ont pour origine une dénonciation ou un signalement direct d’une autorité publique : la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la Cour des comptes, les chambres régionales des comptes, Tracfin, les autorités étrangères. 21 % des procédures ont été ouvertes à la suite d’une plainte directe d’un particulier, d’une entreprise ou d’une association. 13 % des dossiers résultent d’une initiative du parquet national financier. 18 personnes physiques ont fait l’objet en 2018 d’une réponse pénale pour des faits d’atteintes à la probité et trois d’entre elles ont été soumises à une peine d’emprisonnement ferme. 11 personnes ont fait l’objet d’une interdiction d’activité professionnelle. Une part importante des dossiers porte sur les conditions d’attribution des marchés publics et de délégation des services publics faisant apparaître des soupçons d’actes de corruption. La technicité des règles applicables à cette matière a justifié le recrutement en 2018 d’une assistante spécialisée. Les échanges et les réunions de travail avec les autorités de contrôle à l’origine des signalements permettent d’améliorer la prise en charge des procédures. Au cours des deux dernières années, le parquet national financier a initié de nombreuses enquêtes du chef de détournement de fonds publics, visant à vérifier les conditions dans lesquelles des emplois publics contractuels sont pourvus et aussi l’affectation de certains postes de dépenses par des élus. 80 % des procédures font l’objet d’une enquête préliminaire. L’information judiciaire est réservée aux dossiers nécessitant la mise en œuvre de mesures coercitives (mandat de dépôt, mandat d’arrêt, contrôle judiciaire) ou nécessitant la prolongation de mesures d’investigation spéciales au-delà de la durée prévue pour les enquêtes préliminaires, ou encore lorsque les demandes d’entraide pénale internationale adressées à la France requièrent une exécution par un juge d’instruction. Depuis sa création, le parquet national financier a fait de la lutte contre la corruption internationale un axe prioritaire de sa politique pénale. En 2018, 90 procédures sont relatives à des faits en lien avec un agent public dans un État étranger ou au sein d’une organisation internationale. Les dispositions de la loi Sapin 2 ont favorisé les ouvertures d’enquêtes d’initiative et l’accroissement des plaintes déposées par les entreprises, les ONG et les associations anti-corruption.

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