« On respecte toutes les règles de la médiation et de l’arbitrage »

Publié le 04/06/2019

L’association de professionnels du droit Eurojuris France, associée à la strat-up Ejust, acteur de la legaltech, lançait le 26 mars dernier leur plate-forme « madecision.com ». Animée par son réseau national d’arbitres et de médiateurs, ses fondateurs espèrent qu’elle permettra de mieux répondre aux besoins des entreprises et des particuliers, en résolvant les litiges de manière souple et rapide. Benjamin English, responsable du lab Eurojuris France, est revenu pour les Petites Affiches sur le fonctionnement de ce nouvel outil.

Les Petites Affiches

Pouvez-vous nous présenter la plate-forme « madécision.com » ?

Benjamin English

C’est une plate-forme qui a été mise en place par l’intermédiaire du réseau Eurojuris France et qui fonctionne avec la technologie développée par la start-up Ejust. Elle propose la résolution de litiges en ligne par deux moyens : la médiation et l’arbitrage. Eurojuris est une association d’avocats et d’huissiers de justice qui compte plus de 1 000 professionnels du droit, pas un syndicat, pas un organisme représentatif de la profession. La plate-forme est une initiative de professionnels du droit et se veut apolitique et asyndicale.

LPA

Qui sont les médiateurs et les arbitres ?

B. E.

Les médiateurs et les arbitres sont des membres de notre réseau, qui est très sélectif. On a 55 profils de médiateurs et d’arbitres, qui se sont proposés sur la base du volontariat. On a plus d’arbitres que de médiateurs car pour les médiateurs on a voulu avoir ceux qui sont déjà inscrits sur la liste des médiateurs de leur cour d’appel. On offre la garantie d’avoir derrière l’outil des professionnels du droit sélectionnés pour leurs compétences. L’idée, c’est de proposer pour chaque médiation et arbitrage, le meilleur profil pour la résolution en ligne des litiges au moyen d’un algorithme qui intègre plusieurs critères, notamment le domaine de droit et le secteur d’activité concerné.

LPA

Comment Ejust et Eurojruris se sont-ils associés ?

B. E.

Notre association est quasiment historique à l’échelle de la légaltech ! Eurojuris avait repéré cette start-up dès son apparition il y a 4 ans. Eurojuris est assez identifié comme étant pro start-up depuis le début. Notre curiosité naturelle nous a poussés à essayer de dialoguer avec ces nouveaux acteurs du marché en se disant qu’on pouvait avoir mutuellement des choses à s’apporter. On avait formé nos avocats pour qu’ils puissent faire partie des ressources d’arbitres d’Ejust. On avait donc forcément testé l’outil et nous avons été conquis.

LPA

Pourquoi misez-vous sur le numérique ?

B. E.

On s’intéresse à l’évolution de l’écosystème du droit. Plusieurs signaux forts nous montrent que l’on va naturellement vers la résolution des litiges en ligne. On voit ce qui se passe aux États-Unis, on écoute des gens comme Thomas Clay qui vient de dire que c’est quelque chose qui va exploser dans les prochains mois. On voit aussi le projet de loi justice qui envisage la réglementation des plates-formes de résolutions de la justice en ligne. Ce contexte nous a poussés à nous lancer. D’autant plus qu’on voulait être les premiers à le faire !

LPA

Comment est-ce que cela fonctionne ?

B. E.

C’est très simple techniquement. Les parties vont sur la plate-forme, se créent un compte et choisissent un des deux modes de résolution. Elles décrivent un peu le litige et identifient la partie adverse. Celle-ci reçoit une notification par email qui l’invite à aller sur la plate-forme et lui indique le fonctionnement de la plate-forme et l’invite à accepter la proposition de règlement en ligne. Si la partie adverse accepte, tout le parcours est digitalisé. Les parties signent alors une convention de médiation ou d’arbitrage en ligne et se mettent d’accord sur un profil d’arbitre ou de médiateur et le processus commence, avec une salle de médiation ou d’audience virtuelle. Pour la médiation, cela se fait essentiellement en visioconférence pour les parties où les médiés sont avec les médiateurs, car cela reste un domaine avec des interactions humaines très fortes. Pour l’arbitrage, la visioconférence est possible mais on est plus sur un syllogisme judiciaire. Les parties déposent leurs arguments et leurs pièces, un peu à la manière de conclusions. Cela se fait sous forme de bulles, et sous chaque argumentaire, on retrouve des pièces. En face, la partie adverse peut répondre à chacun des arguments. Les parties peuvent aussi s’inscrire sur la plate-forme par l’intermédiaire de leurs conseils.

LPA

Quels litiges sont concernés ?

B. E.

Notre plate-forme peut être compétente pour les litiges interentreprises, entre entreprises et particuliers pour des règlements de facture, pour des conflits de voisinage. Elle peut traiter une très grande partie des litiges : ruptures abusives de pourparlers, des contentieux post-contrat de travail. Nos services peuvent être utilisés par des entreprises pour l’arbitrage, et des entreprises ainsi que des particuliers pour la médiation. Pour le moment on ne souhaite pas étendre nos services aux médiations dans le domaine des affaires familiales et de la consommation, qui sont des domaines très particuliers, encore plus réglementés.

LPA

Quel est l’intérêt d’une telle plate-forme ?

B. E.

On respecte toutes les règles de la médiation et de l’arbitrage mais on le fait de manière dématérialisée, ce qui nous fait gagner en souplesse et en rapidité. On a moins de contingence logistique. On a la possibilité de rendre des décisions et trouver des solutions plus rapidement que sur un mode plus classique. On a la velléité de rendre des médiations en quelques semaines, des arbitrages entre 90 et 120 jours. L’expérience d’Ejust, qui a rodé son outil, nous permet d’avancer ces délais. On respecte la confidentialité : les données sont cryptées. On peut donc être beaucoup plus rapide que les juridictions civiles, sans sacrifier ni aux règles de procédure ni à la qualité de la décision.

LPA

Raccourcir des délais est donc le principal avantage ?

B. E.

C’est en effet une solution rapide qui va en plus vous permettre de préserver vos relations avec vos adversaires. Car si vous allez devant le tribunal de commerce, il va falloir attendre 18 mois avant d’avoir une décision. C’est un temps trop long pour pouvoir ensuite reprendre une relation normale avec ce partenaire. Il est par ailleurs possible qu’entre-temps il ait déposé le bilan et que vous ne puissiez pas exécuter la décision. Là, on vous propose une solution qui est le pari d’une intelligence commune. On mise sur le fait que les parties peuvent s’accorder malgré leurs différends. Elles peuvent au moins s’entendre sur la volonté de trouver une solution rapide, économique et pertinente. Ces solutions-là, on ne les a pas imaginées comme des futurs arbitres et médiateurs. On les a imaginées en tant qu’avocats et huissiers comme quelque chose qu’on serait fiers de proposer à nos clients.

LPA

C’est une plate-forme qui va dans le sens du projet de réforme de la justice ?

B. E.

Il me semble que oui, car ce projet de réforme envisage des plates-formes de résolution en ligne des litiges. On veut cependant lever toute ambiguïté. Dans les arguments qui ont été apportés pour critiquer ce projet de loi justice, beaucoup ont craint que les algorithmes prennent le pouvoir. Nous disons très clairement que nous utilisons l’outil digital qui permet d’être rapide, pédagogique, d’éviter les contraintes logistiques et les frontières territoriales, mais qu’à aucun moment ce n’est une intelligence artificielle qui rendra la décision. Elles seront rendues par des hommes et des femmes, des juristes identifiées. Vous avez leur CV sur la plate-forme, vous savez ce qu’ils ont fait, où ils exercent. On n’a aucune volonté de rentrer en concurrence avec la justice étatique. Le fait que la justice, notamment civile, est débordée, est un constat commun de tous les acteurs : huissiers, avocats, magistrats. Ce qu’on propose a vocation à essayer de répondre à ce problème.

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