Le barreau de Paris met l’accent sur la médiation

Publié le 19/09/2019

Le 3 juin 2019, le barreau de Paris a inauguré une nouvelle plate-forme dédiée aux modes alternatifs de résolution des différends (MARD). Par cette initiative, l’Ordre souhaite continuer la promotion de ces nouveaux outils tant auprès des avocats que du grand public.

Avec la promulgation de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, le 18 novembre 2016, l’État a accéléré un mouvement entamé depuis maintenant deux décennies, à savoir les alternatives à la saisine du juge. L’engorgement des tribunaux et les réductions du budget de la justice n’y sont évidemment pas étrangers, mais on peut aussi voir cette impulsion comme une opportunité pour le justiciable de profiter potentiellement de délais réduits et d’une gestion plus apaisée des litiges entre les parties. Le lancement d’une plateforme consacrée à la médiation au cours de l’été 2019 permet au Barreau de Paris de s’inscrire lui aussi dans la promotion des modes alternatifs de résolution des conflits (et de suivre le sillage du CNB qui avait lancé une initiative similaire en 2018) : médiation bien sûr, mais aussi arbitrage, conciliation ou négociation.

À travers cette plate-forme, l’objectif de l’Ordre est en premier lieu de s’adresser aux avocats parisiens pour leur faire prendre conscience de l’enjeu d’un nouveau marché qui s’ouvre à eux et qui va prendre de l’ampleur dans le futur. Il s’agit d’un espace gratuit qui offre la possibilité de créer des dossiers, de collaborer avec d’autres avocats et d’accéder au service « e-MARD » avec des outils de gestion de médiation ainsi qu’un « greffe » de la médiation en ligne. Le tout de manière complètement sécurisé. En parallèle, le barreau a aussi lancé un site pour le grand public qui présente le déroulement d’une médiation, ses avantages et le rôle qu’y joue un avocat (qu’il soit médiateur ou accompagnant). Le site propose aussi un annuaire des avocats médiateurs et un accès à la médiation de la consommation en cas de litiges d’honoraires avec un avocat. Entretien avec Hirbod Dehghani-Azar, membre du Conseil de l’ordre.

Les Petites Affiches

Le barreau de Paris a lancé un espace dédié à la médiation début juin, quel est l’objectif de cette plate-forme ?

Hirbod Dehghani-Azar

Avant tout, je souhaite rappeler que le barreau de Paris a investi le sujet depuis maintenant deux décennies : en 1999 déjà l’Association de médiateur du barreau de Paris (aujourd’hui devenue Association des médiateurs européens) voyait le jour sous l’impulsion du bâtonnier Dominique de la Garanderie. Cette œuvre a été poursuivie par les bâtonniers qui ont créé divers outils et organisations visant à promouvoir l’usage de la médiation. Aujourd’hui nous ajoutons une nouvelle pierre à l’édifice avec cette plateforme sur laquelle Catherine Leclerc, les services du barreau et moi-même avons travaillé depuis un an. Les nouveaux élus du Conseil de l’ordre tel que Laurence Krief nous apportent aussi un soutien fort avec cette idée d’assurer une continuité entre les multiples mandatures. Pour en revenir à la plate-forme, l’idée était de proposer une vraie offre globale de l’avocat en matière de MARD (et pas qu’en termes de la médiation), car l’avocat a une vraie place à faire valoir dans ce marché, que ce soit en tant que médiateur ou accompagnant, et présente des garanties solides au justiciable. La plateforme référence les 200 avocats inscrits comme médiateur et permet d’en choisir un en fonction de sa langue, de son domaine de compétence… Et donc de trouver le bon médiateur selon les spécificités de votre litige. Les clients peuvent aussi voir plus facilement l’avancement du dossier et comprendre le travail de l’avocat médiateur.

Sur son versant professionnel, la plateforme MARD permet aux avocats d’inviter leurs clients à rédiger une procédure participative à 4 voix, de signer et de pré-organiser des pièces dans un espace sécurisé, ou encore de mettre en place des réunions physiques ou par visioconférence. Bref de mener une gestion de dossier de A à Z dans le cadre d’une convention de procédure participative. L’avocat a à sa disposition les outils les plus efficaces possible qui vont continuer à évoluer pour lui faciliter les tâches. Enfin, nous nous inscrivons aussi dans « Paris place de droit », car si Paris est déjà l’une des principales places d’arbitrage international, elle a tout à gagner à promouvoir les modes amiables de règlements des litiges.

LPA

Que pensez-vous de la loi de réforme pour la justice de mars 2019 qui permet aux juges d’imposer la médiation ?

H. D.-A.

Le fait que le législateur souhaite promouvoir toujours plus les MARD ne peut que nous conforter dans notre démarche. Concernant ladite réforme le juge peut en effet enjoindre à aller rencontrer un médiateur, à défaut de prouver que l’on a fait les diligences nécessaires. Je ne suis pas un grand partisan du caractère obligatoire, mais proposer aux parties d’assister à une réunion d’information sur la procédure ne me paraît pas non plus disproportionné par rapport à l’objectif recherché. Tout cela fait partie d’un changement du regard que l’on porte sur la médiation. On parle de modifier quelque chose qui est ancré dans notre culture juridique. Le législateur nous emmène à évoluer à pas forcés, cela peut sembler brutal, mais sur le long terme cela fait partie d’un mouvement inéluctable.

Outre la réforme de mars 2019, on peut aussi évoquer l’arrivée de la procédure participative de mise en état, l’un des nouveaux modes amiables de résolution des différends qui repose sur un contrat : la convention de procédure participative. L’avocat joue ici un rôle primordial d’accompagnement des clients puisque son assistance est à la fois obligatoire et exclusive. Tous les avocats sont donc en théorie à même de pouvoir jouer ce rôle, raison pour laquelle nous mettons également en avant la formation sur notre plateforme. Les MARD sont déjà dans le droit positif et vont continuer à prendre de l’importance dans le futur.

LPA

Quels avantages à choisir un avocat médiateur et pas une personne issue de la société civile ?

H. D.-A.

Avec cette plate-forme, le barreau de Paris souhaite évidemment promouvoir les avocats médiateurs. Ce dernier apporte plusieurs avantages non négligeables au client : sa déontologie pour commencer, mais aussi sa connaissance du droit et son approche de la médiation qu’il exerce au quotidien dans sa pratique. Cependant, l’idée n’est pas de dire que les avocats sont meilleurs ou moins bons que les autres médiateurs. Notre plateforme est limitée aux avocats, car elle est financée par l’Ordre. Ce que nous voulons, c’est donner des outils aux avocats pour qu’ils aient les meilleures dispositions pour se développer sur ce marché.

LPA

Ces modes sont très présents en droit des affaires où ils ont rapidement été adoptés, mais semblent être moins utilisés dans les litiges entre particuliers. Comment l’expliquer ?

H. D.-A.

Le problème est que ce type de résolution des conflits n’est pas encore inscrit dans nos mentalités : on n’a pas appris aux gens à déverrouiller un conflit entre deux personnes par le biais d’un tiers. De manière traditionnelle, on s’attend à faire appel à un juge qui va, et le terme a son importance, « trancher le litige ». C’est un problème de paradigme, le président Delmas-Goyon disait dans son rapport qu’il fallait un changement de culture pour que le justiciable s’approprie la médiation. D’un côté on observe une baisse régulière du budget de la Justice et des tribunaux toujours plus débordés, en parallèle nous avons des avocats qui sont compétents et rompus à la médiation et de nombreux autres qui vont s’y former dans les années à venir. Sans parler évidemment des médiateurs non-avocat également disponibles pour le justiciable. Alors est-ce que demain il sera plus facile d’aller voir un médiateur qu’un juge ? Je le pense.

Deux arguments encore : cela a été démontré qu’il n’est pas plus cher de traiter son dossier en médiation que devant le juge ; mais surtout l’intérêt de la médiation est que l’on traite un conflit en créant potentiellement de nouvelles relations. C’est important lorsqu’on est voisins par exemple, un conflit de voisinage qui se règle devant le juge n’est pas nécessairement réglé une fois le jugement rendu. Celui qui perd en voudra encore plus à l’autre et on restera sur un terreau à même de créer de nouveaux conflits. La médiation a cet avantage de mettre les gens autour d’une table en présence d’un tiers et de les faire dialoguer ensemble pour qu’ils avancent vers une solution qu’ils trouvent eux-mêmes. C’est un processus sain qui permet qu’une décision s’exécute complètement.

LPA

Le regard des avocats sur les MARD a-t-il beaucoup évolué au cours des vingt dernières années ?

H. D.-A.

C’est peu de le dire, lorsque je parlais de médiation en 2006 et du rôle que pouvait jouer l’avocat en la matière, la plupart des personnes m’observaient comme si j’étais un OVNI. Désormais, on se rend compte que les compétences en médiation sont utiles au quotidien dans notre pratique. Lorsqu’on accompagne son client par exemple, et qu’il faut appréhender ses besoins et lui présenter la situation d’un point de vue juridique en lui expliquant ce qu’il est possible de demander au juge ou ce qui n’est pas envisageable.

LPA

Quelles sont vos priorités pour le futur ?

H. D.-A.

Un aspect très important pour nous est celui de la formation : la France est un des rares pays ou des juristes qui sortent d’université peuvent n’avoir jamais abordé la matière de la négociation. Et cela alors qu’ils seront avocats de parties qui auront peut-être eu une véritable expertise en la matière. Il faut généraliser la formation au plus jeune âge, c’est pourquoi Marie-Aimée Peyron a mis en place un module complet de négociation à l’EFB (École de formation du barreau). Cela fait partie du changement de paradigme, il faut expliquer que négocier ce n’est pas céder. C’est au contraire savoir sur quoi on discute, ce que l’on veut et ce que l’autre demande, et maîtriser les termes pour choisir de refuser ou d’accepter en toute confiance.

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