Action récursoire : entre tendance unilatéraliste et CVIM
Si la recevabilité de l’action récursoire portée à l’encontre du fabricant italien par le vendeur final français, condamné à réparer les préjudices de consommateurs français en raison du défaut de conformité du carrelage vendu, relève de la directive n° 1999/44/CE, son bien-fondé dépend de la convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises.
Cass. com., 3 févr. 2021, no 19-13260, F–D.
1. Les faits à l’origine de l’arrêt sont classiques : en 2003, la société italienne CMC (le fabricant), a vendu du carrelage à la société française Bois et matériaux (le vendeur), qui l’a revendu à des particuliers français (acheteurs). Soutenant que le carrelage présente des fissures, les acheteurs assignent en réparation de leur préjudice le vendeur, qui appelle le fabricant en garantie par le biais d’une action récursoire.
La cour d’appel (Poitiers, 13 mars 2018) condamne, sur renvoi après cassation1, le fabricant italien à garantir le vendeur français de toutes les condamnations prononcées à son encontre en faveur des acheteurs.
Le fabricant se pourvoit en cassation et produit deux moyens : le premier conteste la recevabilité de l’action récursoire sur le fondement de la directive n° 1999/44/CE du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation (ci-après, la directive2) ; le second conteste le rejet par la cour d’appel de l’application à l’action récursoire de la convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980 (ci-après, la CVIM) qui, en vertu de son article 39, aurait déchu le vendeur français du droit de se prévaloir d’un défaut de conformité à l’encontre du fabricant, faisant échec à l’action récursoire.
Si la Cour de cassation rejette le premier moyen concernant la recevabilité de l’action récursoire (I), elle accueille le second concernant le fondement de cette action (II). Ces deux aspects méritent des observations indépendantes, que nous présenterons en suivant l’ordre d’examen des moyens par la Cour de cassation.
I – La recevabilité de l’action récursoire
2. Le premier moyen de cassation, rejeté, concerne la recevabilité de l’action récursoire.
Dans sa première branche, le fabricant italien reproche à la cour d’appel d’avoir déclaré l’action récursoire recevable sur le fondement de la directive, alors que cette dernière ne permet de protéger que les personnes ayant la qualité de consommateur et non un professionnel comme le vendeur français. La Cour de cassation écarte l’argument en rappelant que l’article 4 de la directive permet au vendeur final dont la responsabilité a été engagée à l’encontre du consommateur en vertu d’un défaut de conformité de se retourner contre le membre de la même chaîne contractuelle à qui ce défaut est prétendument imputable. Il revient au droit national de déterminer les personnes contre qui le vendeur peut se retourner, les actions et les conditions d’exercices pertinentes. Or la cour d’appel a non seulement constaté que, par jugement, le vendeur français a été condamné à indemniser les acheteurs, mais a également retenu que le fabricant italien était un vendeur antérieur de la même chaîne contractuelle. Selon la Cour de cassation, donc, la cour d’appel « en a exactement déduit » que l’action récursoire du vendeur français était recevable.
Dans sa troisième branche, le demandeur affirme que l’article 4 de la directive ne fait que renvoyer au droit national, notamment pour apprécier la recevabilité de l’action récursoire. Or la cour d’appel a déduit de l’article 4 de la directive que la seule disposition du droit italien applicable pour apprécier la recevabilité de l’action récursoire est l’article 131 du Code de la consommation, venant transposer l’article 4 de la directive, sans rechercher dans l’ensemble du droit italien, comme l’exige la règle de conflit de lois, si cette disposition était bien applicable. La Cour de cassation rejette l’argument en constatant que la cour d’appel a effectué ladite recherche par la mise à l’écart, d’une part, des dispositions du Code civil non pertinentes et l’application motivée, d’autre part, des dispositions du Code de la consommation. En somme, la cour d’appel a suffisamment motivé sa solution.
Le raisonnement de la cour d’appel, approuvé par la Cour de cassation, étonne au regard des méthodes du conflit de lois en ne paraissant pas répondre aux canons du bilatéralisme. Pour le comprendre, repartons des deux théories de résolution du conflit de lois (A) avant d’en voir l’application dans l’arrêt (B).
A – Les théories de résolution du conflit de lois
3. Il existe classiquement deux théories relatives à la résolution du conflit de lois : le bilatéralisme et l’unilatéralisme. Le bilatéralisme part du postulat selon lequel chaque règle de droit matériel a une portée universelle3. Il revient à la règle de conflit de lois – règle extérieure – de déterminer la portée spatiale de ces règles matérielles dans les rapports privés internationaux. La règle de conflit, qui n’a donc vocation qu’à désigner le droit applicable sans égard à son contenu, peut indifféremment désigner la loi de l’État du for ou la loi étrangère, tous les droits étant tenus pour équivalents. L’unilatéralisme se fonde sur l’idée qu’une règle matérielle n’a pas une portée universelle mais des destinataires précis. Dans ce système unilatéral, chaque règle de droit matériel contient donc un champ d’application dans l’espace, précisé soit par la règle matérielle elle-même, soit par une règle de conflit extérieure. Dans ce cas, la règle de conflit ne délimite le champ d’application que de la seule règle de droit de l’État du for, sans indiquer les hypothèses d’application des dispositions étrangères4.
Si les deux théories s’opposent, il est acquis qu’elles coexistent selon un rapport « principe/exception ». En matières civile et commerciale, le bilatéralisme est le principe, comme en témoignent les règles de conflit de lois à expression bilatérale des règlements Rome I5 et Rome II6. Mais, dans ces matières, l’unilatéralisme peut retrouver à s’exprimer exceptionnellement par l’application de certaines dispositions au titre de loi de police.
4. Cela dit, la prévalence du bilatéralisme dans l’Union européenne a été contestée par Stéphanie Francq dans sa thèse publiée en 2005. L’auteur constate que les règlements et directives de l’Union européenne délimitent eux-mêmes, implicitement ou explicitement, leur champ d’application matériel, temporel et spatial7. À la suite de Rolando Quadri, l’auteur explique ce phénomène par le fait que le législateur ne légifère que pour des destinataires déterminés8. Il en découle que la portée (spatiale) d’une norme dépend du projet de société qu’elle renferme9. Or les actes de droit dérivé, ayant pour objectif de réaliser le marché intérieur10, ont donc un champ d’application dans l’espace prévu à cet effet.
Dans notre arrêt, on peut en déduire que la directive n° 1999/44/CE s’appliquerait dès lors que le consommateur réside dans l’Union européenne et que la marchandise provient d’un autre État membre. En effet, le deuxième considérant de la directive précise que la liberté de circulation des marchandises, fondamentale à la réalisation du marché intérieur, « implique que les consommateurs résidant dans un État membre puissent s’approvisionner librement sur le territoire d’un autre État membre sur la base d’un socle minimal commun de règles équitables régissant la vente de biens de consommation ».
Partant de ce constat, l’auteur poursuit en affirmant que le droit de l’Union européenne tendrait à épouser l’unilatéralisme11 : dans un litige présentant un élément d’extranéité, tel qu’en l’espèce, il conviendrait donc de vérifier si la situation de fait entre dans le champ d’application matériel, temporel et spatial de l’acte de droit dérivé et l’appliquer le cas échéant. L’auteur concède néanmoins que les directives ne peuvent pas s’appliquer directement dans des litiges entre particuliers, seules les dispositions de transposition de la directive le peuvent. C’est pourquoi Stéphanie Francq propose de laisser aux règles de conflit de lois bilatérales le soin de déterminer, « une fois que le litige entre bien dans le champ d’application de la directive », les dispositions de transposition pertinentes, « sans pour autant que cette règle de conflit de lois puisse désigner l’ordre juridique en son entier »12.
En somme, pour ce qui est de l’ordre juridique de l’Union européenne, le rapport de force entre unilatéralisme et bilatéralisme serait inversé, au profit du premier sur le second13. La thèse de Stéphanie Francq a été particulièrement critiquée14 et semble aujourd’hui abandonnée en matière civile et commerciale par l’adoption des règlements Rome I et Rome II. L’Union européenne a ainsi épousé le bilatéralisme, considéré comme la destinée des règles de conflit de lois15. Pourtant, et même si nous l’affirmons avec prudence, l’arrêt en cause se rapproche de la théorie unilatéraliste de Stéphanie Francq.
B – Application
5. Dans l’arrêt, la Cour de cassation approuve, sur la question de la recevabilité, un raisonnement de cour d’appel se rapprochant de la thèse de Stéphanie Francq. Plusieurs indices vont en ce sens.
Tout d’abord, dans son arrêt cité dans le premier moyen annexé, la cour d’appel indique vouloir « déterminer la norme italienne applicable en considération de la directive européenne susvisée » (nous soulignons). Pour ce faire, elle commence par apprécier si la situation d’espèce s’intègre dans le champ d’application matériel de la directive. Ce n’est que dans un second temps, et en application de l’article 4 de la directive selon lequel « le droit national détermine le ou les responsable(s) contre qui le vendeur final peut se retourner, ainsi que les actions et les conditions d’exercice pertinentes » que la cour recherche, au sein du droit italien, les dispositions pertinentes en la matière. Elle suit donc le cheminement intellectuel préconisé par Stéphanie Francq, sans être censurée par la Cour de cassation.
Ensuite, observons en effet que la Cour de cassation considère que la cour d’appel a « exactement déduit » que, au regard des faits, l’action récursoire est recevable sur le fondement de l’article 4 de la directive. L’existence d’un contrôle lourd de l’opération de qualification16 démontre implicitement que la première étape du raisonnement à tenir pour déterminer la disposition italienne applicable est la vérification que le litige entre bien dans le champ d’application de la disposition de la directive invoquée, et donc, de la directive elle-même, visée d’ailleurs par la Cour de cassation. En somme, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir mis en œuvre la directive elle-même – et non la loi italienne de transposition – pour vérifier si les faits entrent dans son champ d’application.
Enfin, en signe de confirmation, remarquons que si la cour d’appel avait tenu un raisonnement bilatéraliste, elle aurait, une fois seulement le droit italien désigné par la règle de conflit de lois bilatérale, appliqué les dispositions italiennes de transposition de la directive – et non la directive elle-même – pour vérifier si le litige entrait dans son champ d’application. Et une telle application n’aurait pas été contrôlée par la Cour de cassation, cette dernière ne contrôlant, lors de l’application de la loi étrangère, que sa dénaturation et l’insuffisance de motifs17.
6. Cela dit, deux éléments pourraient venir contredire notre lecture de l’arrêt.
D’une part, il est vrai que la cour d’appel n’a vérifié que les conditions matérielles – et non spatiales – d’application de la directive. Cependant, cela ne vient pas remettre en cause notre analyse, selon nous : comme le souligne Stéphanie Francq, la distinction de ces aspects du champ d’application est artificielle18. Surtout, il est certain que les conditions spatiales d’application de la directive sont remplies : un litige entre des consommateurs français, un fournisseur français et un fabricant italien concerne bien la réalisation du marché intérieur, au sens du deuxième considérant de la directive.
D’autre part, il est vrai que la Cour de cassation a affirmé que la cour d’appel a bien recherché dans le droit italien en son ensemble la disposition permettant d’apprécier la recevabilité du recours. Or, selon Stéphanie Francq, une fois vérifié que le litige entre effectivement dans le champ d’application de la directive, la règle de conflit de lois bilatérales ne peut désigner que les seules dispositions de la loi de transposition pertinente – concrètement, les articles 131 et suivants du Code de la consommation italien – et non l’intégralité du droit de l’État membre. Néanmoins, cela peut s’expliquer, pensons-nous, par la particularité de l’article 4 de la directive en cause. Celui-ci laisse le soin au droit national de déterminer le régime de l’action récursoire : rien n’interdit donc à un État de soumettre ces actions à un régime de droit commun préexistant, comme le fait d’ailleurs l’article L. 217-14 du Code de la consommation (français), ce qui suppose d’aller au-delà des seules dispositions de transposition de la directive.
7. À l’issue de ces développements, il nous semble donc possible d’affirmer (avec prudence) que, dans cette affaire, la Cour de cassation validerait un raisonnement à tendance unilatéraliste, tel que décrit par Stéphanie Francq dans sa thèse, et ce à rebours de la tendance bilatéraliste en matière civile et commerciale. La Cour de cassation censure cependant la cour d’appel au regard du fondement de l’action récursoire.
II – Le fondement de l’action récursoire
8. Dans le second moyen de cassation, il est question du fondement de l’action récursoire du vendeur à l’encontre du fabricant.
Selon le fabricant italien, demandeur au pourvoi, l’article 39 de la CVIM, consacrant la déchéance des droits de l’acheteur de se prévaloir d’un défaut de conformité en cas de dénonciation tardive, est applicable à l’action récursoire. La cour d’appel affirme au contraire que l’action du vendeur français ne trouve pas sa cause dans le défaut de conformité des marchandises que lui a vendues le fabricant italien, mais dans l’action engagée contre ce vendeur français par le consommateur. Par suite, la CVIM n’a pas vocation à s’appliquer. La Cour de cassation censure le refus par la cour d’appel d’appliquer la CVIM à l’action récursoire du vendeur français. Le motif de cassation, le refus d’application19, laisse entendre que l’action récursoire du vendeur doit être soumise à la CVIM, qui, au-delà de la question de son applicabilité à cette action récursoire, est bien applicable aux relations contractuelles entre le vendeur français et le fabricant italien (on est en effet en présence d’une vente internationale de marchandises entre deux parties, dont l’établissement respectif est situé dans un État partie à la CVIM20).
Mais, à supposer la CVIM applicable à l’action récursoire, de quel type d’action récursoire parle-t-on ici ?
9. Au regard de l’article 4 de la directive, évoqué ci-dessus, nous pensons – et nous aurons l’occasion d’y revenir – qu’il revient ici au droit italien de déterminer le type et les conditions des actions récursoires ouvertes au solvens. Cela dit, pour notre analyse, nous partirons du droit français, qui nous servira de référentiel : l’on sait que, en matières contractuelle et délictuelle, chaque codébiteur est tenu d’une obligation in solidum de réparation du dommage causé au créancier21. Celui des codébiteurs qui a indemnisé la victime peut se retourner contre les autres codébiteurs si son paiement excède sa part contributive : c’est le recours en contribution, sorte d’action récursoire22, qui se décline en recours subrogatoire et recours personnel23. Bien discutés, ces recours sont cumulables, car leurs assiettes respectives ne sont pas tout à fait identiques24.
La subrogation du solvens dans les droits de la victime est prévue, en droit français, à l’article 1346 du Code civil. Elle se définit, au sens large, comme la « substitution d’une personne à une autre dans un rapport de droit en vue de permettre à la première d’exercer tout ou partie des droits qui appartiennent à la seconde25 » et opère un transfert de la créance et de ses accessoires au solvens26. Le recours personnel permet au solvens d’exercer, à l’encontre des coresponsables, un recours « [fondé] sur les seules relations existantes entre les coresponsables27 ». La question du fondement de ce recours s’est néanmoins posée : si certains le fondent sur l’enrichissement sans cause28, ou encore la gestion d’affaires29, le fondement de la responsabilité délictuelle ou contractuelle est parfois retenu par les juridictions, selon l’existence d’un contrat liant les codébiteurs, notamment pour les recours entre constructeurs condamnés in solidum envers le maître de l’ouvrage30.
Pour répondre à la question posée, nous partirons donc de notre référentiel français : selon la Cour de cassation, la CVIM ne fonde que le recours personnel (A), et non le recours subrogatoire dont la possibilité sera appréciée ensuite (B). Dans chacun de nos développements, nous préciserons aussi ce qu’il en est en considération du droit italien, normalement applicable ici.
A – La CVIM, fondement du recours personnel
10. À se fonder sur notre référentiel français, deux indices nous amènent à penser que, selon la Cour de cassation, la CVIM ne fonde que le seul recours personnel.
D’une part, s’il est vrai que, selon les concepts français du for, l’action directe du sous-acquéreur à l’encontre du fabricant est de nature contractuelle31, la Cour de cassation a plusieurs fois affirmé que « l’action directe du sous-acquéreur à l’encontre du vendeur initial dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, où le contrat initial est une vente, n’est pas régie par la CVIM »32. Il revient ainsi au droit interne de la loi applicable au contrat initial entre le vendeur intermédiaire et le fabricant, de régir l’action du sous-acquéreur contre ce fabricant33. Or c’est justement cette action qui pourrait être ici recueillie par le vendeur français, à la suite du transfert de la créance des acheteurs par subrogation. Cela implique que l’éventuel recours subrogatoire du vendeur français ne saurait être fondé sur la CVIM. Dans la mesure où la cassation intervient pour « refus d’application » de la CVIM à l’action récursoire, le recours en cause ne peut être, par élimination, que le recours personnel.
D’autre part, on a rappelé que la Cour de cassation considère que le recours personnel est fondé sur les seules relations entre codébiteurs. Or selon la cour d’appel, la CVIM est inapplicable à l’action récursoire car « elle ne régit [que] les relations contractuelles entre vendeur et acheteur ». On peut déduire de la cassation pour « refus d’application » que la CVIM – qui régit donc les relations entre le vendeur français et le fabricant italien, codébiteurs – s’applique au recours personnel.
De ce qui précède, nous en déduisons que c’est le seul recours personnel qui est soumis à la CVIM. Le vendeur français est donc amené à exercer son recours personnel sur le fondement de la CVIM, aux termes de laquelle le défaut de conformité peut être sanctionné par des dommages et intérêts34. En quelque sorte, la responsabilité contractuelle fonde le recours personnel.
11. Quelle pertinence du fondement de la responsabilité contractuelle ?
Sous-jacente serait l’idée selon laquelle le solvens, en payant au-delà de sa part contributive, aurait subi un dommage dont les codébiteurs seraient responsables. Cette idée a été contestée : étant tenu in solidum, et donc au tout, le solvens ne fait que payer sa dette en s’acquittant de sa totalité35. Il a par ailleurs été ajouté que la chaîne causale entre les faits générateurs, dont les codébiteurs seraient à l’origine, et le prétendu dommage du solvens serait rompue par l’indemnisation au profit de la victime36.
Selon certains auteurs, le « fondement [du recours personnel] réside dans les effets attachés par le droit à l’obligation in solidum37 ». De même que le débiteur solidaire « qui a payé au-delà de sa part dispose d’un recours contre les autres à proportion de leur propre part38 », le solvens tenu in solidum devrait bénéficier d’un recours, qui n’est qu’un simple effet de l’obligation in solidum39. En ce sens, l’affirmation de la cour d’appel, selon laquelle l’application de la CVIM est « inopérante », ne serait pas totalement dénuée de fondement.
Rappelons par ailleurs que, aux termes de l’article 4 de la directive – utilisée selon nous comme règle de conflit unilatérale dans le présent arrêt – il revient « au droit national de déterminer les actions [récursoires] et les conditions d’exercice pertinentes ». Par suite, il appartient au droit italien – dont l’applicabilité n’est pas contestée – et non au droit français de déterminer si l’action récursoire peut être exercée via un recours personnel fondé sur la responsabilité contractuelle. Ce n’est que dans ces conditions que la CVIM aura vocation, ensuite, à s’appliquer. Or si l’article 131 du Code de la consommation italien autorise le recours personnel (azione di regresso) du solvens en tant qu’action récursoire, la CVIM ne fondera, semble-t-il, pas ce recours. Une partie de la doctrine italienne considère en effet qu’un tel recours n’est qu’un effet de l’obligation de réparation du dommage du créancier à laquelle le solvens et les autres codébiteurs sont tenus solidairement, selon l’article 2055 du Code civil italien40.
S’il est ici question du recours personnel, le vendeur français peut-il aussi être subrogé dans les droits des acheteurs français ?
B – Le recours subrogatoire ?
12. À l’aune de notre référentiel français, la Cour de cassation exclut-elle, ici, le recours subrogatoire, comme action récursoire ? Il ne nous semble pas que l’on puisse déduire de la cassation pour refus d’application de la CVIM au recours personnel, l’exclusion par ailleurs du recours subrogatoire. L’on ne pourrait (éventuellement) déduire une telle exclusion que si la cour d’appel a, dans ses motifs censurés, elle-même écarté le recours personnel au profit du seul recours subrogatoire. Or il n’est nullement fait mention de ce dernier recours dans l’arrêt.
En particulier, lorsque la cour d’appel considère que l’action récursoire « trouve sa cause non dans le défaut de conformité lui-même mais dans l’action engagée contre ce vendeur final par le consommateur », elle ne nous semble pas opposer les recours subrogatoire et personnel. Cette action du consommateur ne renvoie pas à celle contre le fabricant, que recueillerait le vendeur solvens subrogé. Il ne s’agit pas de l’action comme accessoire de la créance transférée41, et il n’est donc pas ici question de subrogation. Au contraire, nous pensons que la cour d’appel confond la « cause » du recours (ce qui le déclenche, à savoir non pas, d’ailleurs, l’action de l’acheteur, mais plutôt le paiement42) et son « fondement » (ce qui en justifie le bien-fondé). C’est cette confusion que nous paraît censurer la Cour de cassation. Par suite, il ne nous semble pas que la cassation pour refus d’application implique l’exclusion du recours subrogatoire.
Précisons que, selon nous, il revient ici à la loi italienne, aux termes de l’article 4 de la directive, de préciser si la subrogation est ouverte en tant qu’action récursoire et, dans l’affirmative, de déterminer la nature des droits pouvant être transférés au solvens (et notamment la qualité de consommateur du créancier, intransmissible en droit français43). C’est en revanche à la loi du rapport entre les acheteurs français et le fabricant italien qu’il devrait appartenir de fixer la consistance des droits qui pourraient être transférés44.
Notes de bas de pages
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1.
Cass. com., 2 nov. 2016, n° 14-22114 : Rev. crit. DIP 2017, p. 404, note O. Boskovic.
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2.
Bientôt remplacée par la directive (UE) n° 2019/772 du 20 mai 2019 : JOUE L 136, 27 mai 2019.
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3.
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, 1956, Dalloz, n° 53.
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4.
M.-L. Niboyet, G. de Geouffre de la Pradelle, Droit international privé, 6e éd., 2017, LGDJ, n° 228.
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5.
PE et Cons. UE, règl. n° 593/2008, 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).
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6.
PE et Cons. UE, règl. n° 864/2007, 11 juill. 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II).
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7.
S. Francq, L'applicabilité du droit communautaire dérivé au regard des méthodes du droit international privé, thèse, 2005, Bruylant/LGDJ, p. 277 et s.
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8.
S. Francq, L'applicabilité du droit communautaire dérivé au regard des méthodes du droit international privé, thèse, 2005, Bruylant/LGDJ, p. 581.
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9.
S. Francq, L'applicabilité du droit communautaire dérivé au regard des méthodes du droit international privé, thèse, 2005, Bruylant/LGDJ, p. 584.
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10.
S. Francq, L'applicabilité du droit communautaire dérivé au regard des méthodes du droit international privé, thèse, 2005, Bruylant/LGDJ, p. 589-590.
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11.
S. Francq, L'applicabilité du droit communautaire dérivé au regard des méthodes du droit international privé, thèse, 2005, Bruylant/LGDJ, p. 588 et s.
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12.
S. Francq, L'applicabilité du droit communautaire dérivé au regard des méthodes du droit international privé, thèse, 2005, Bruylant/LGDJ, p. 470-471.
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13.
S. Francq, L'applicabilité du droit communautaire dérivé au regard des méthodes du droit international privé, thèse, 2005, Bruylant/LGDJ, p. 472.
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14.
B. Mathieu, Directives européennes et conflits de lois, thèse, 2015, LGDJ.
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15.
D. Archer, Impérativité ́et ordre public en droit communautaire et droit international privé des contrats (étude de conflits de lois), thèse, 2006, Cergy-Pontoise, nos 311 et s.
-
16.
J.-F. Weber, « Comprendre un arrêt de la Cour de cassation rendu en matière civile », BICC n° 702, 15 mai 2009, p. 6.
-
17.
Sur la question, H. Muir Watt et P. Rabourdin, « Loi étrangère : établissement du contenu de la loi étrangère », Rép. internat. Dalloz, 2018, spéc. n° 30 et nos 81 et s.
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18.
S. Francq, L'applicabilité du droit communautaire dérivé au regard des méthodes du droit international privé, thèse, 2005, Bruylant/LGDJ, p. 7-9.
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19.
J. Boré et L. Boré, La cassation en matière civile, 5e éd., 2015, Dalloz, n° 72.11.
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20.
JCP E, 1261, obs. Y. Heyraud.
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21.
M. Bacache-Gibeili, Les obligations. La responsabilité civile extracontractuelle, t. 5, 3e éd., 2016, Economica, nos 540 et s.
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22.
M. Ranouil, Les recours entre coobligés, thèse, 2014, IRJS, n° 2.
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23.
M. Ranouil, Les recours entre coobligés, thèse, 2014, IRJS, n° 171.
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24.
M. Ranouil, Les recours entre coobligés, thèse, 2014, IRJS, n° 176.
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25.
G. Cornu, Vocabulaire juridique, 12e éd., 2018, PUF, v° Subrogation personnelle.
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26.
M. Ranouil, Les recours entre coobligés, thèse, 2014, IRJS, n° 189.
-
27.
M. Bacache-Gibeili, Les obligations. La responsabilité civile extracontractuelle, t. 5, 3e éd., 2016, Economica, n° 549.
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28.
M. Ranouil, Les recours entre coobligés, thèse, 2014, IRJS, n° 233 (rejetant ce fondement).
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29.
M. Ranouil, Les recours entre coobligés, thèse, 2014, IRJS, n° 229-230 (rejetant ce fondement).
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30.
M. Ranouil, Les recours entre coobligés, thèse, 2014, IRJS, n° 232 – Cass. 3e civ., 8 juin 2011, n° 09-69894.
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31.
Cass. 1re civ., 18 déc. 1990, n° 89-12177 ; Cass. 1re civ., 10 oct. 1995, n° 93-17359 : D. 1996, p. 171, obs. B. Audit ; Rev. crit. DIP 1996, p. 332, obs. V. Heuzé – Cass. 3e civ., 16 janv. 2013, n° 11-13509 : Rev. crit. DIP 2013, p. 620, obs. D. Bureau.
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32.
Cass. 1re civ., 3 oct. 2018, n° 17-10090 ; Cass. com., 16 janv. 2019, n° 17-21477. Comp. V. Heuzé, La vente internationale de marchandises – Droit uniforme, 2000, LGDJ, p. 31-33, n° 29 ; É. Farnoux, « La convention de Vienne et l'action directe : retour sur des liaisons dangereuses ? », AJ Contrat 2020, p. 521.
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33.
Cass. 1re civ., 10 oct. 1995, n° 93-17359. Le sous-acquéreur ne peut néanmoins pas disposer de plus de droits que l’acheteur initial lui-même : si ce dernier est, aux termes de l’article 39 de la CVIM, « déchu de son action pour dénonciation tardive du défaut de conformité », l’action du sous-acquéreur, bien que fondée sur le droit interne, est « irrecevable » (Cass. 3e civ., 18 avr. 2019, n° 17-26674).
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34.
CVIM, art. 74 à 77, auxquels renvoie CVIM, art. 45, 1), b).
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35.
M. Ranouil, Les recours entre coobligés, thèse, 2014, IRJS, n° 232.
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36.
C. Quézel-Ambrunaz, Essai sur la causalité en droit de la responsabilité civile, thèse, 2010, Dalloz, n° 627.
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37.
C. Quézel-Ambrunaz, Essai sur la causalité en droit de la responsabilité civile, thèse, 2010, Dalloz, n° 628.
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38.
C. civ., art. 1317, al. 2.
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39.
M. Ranouil, Les recours entre coobligés, thèse, 2014, IRJS, n° 236-239 (sur le fondement de C. civ., art. 1214 anc.)
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40.
M. Ticozzi, Studio sulle obbligazioni solidali, 2012, CEDAM, p. 179 et s.
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41.
M. Bacache-Gibeili, Les obligations. La responsabilité civile extracontractuelle, t. 5, 3e éd., 2016, Economica, n° 547.
-
42.
C. Quézel-Ambrunaz, Essai sur la causalité en droit de la responsabilité civile, thèse, 2010, Dalloz, n° 615.
-
43.
JCP E, 1261, obs. Y. Heyraud ; Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J.-D. Pellier ; Gaz. Pal. 30 mars 2021, n° 401k1, p. 32, obs. S. Piédelièvre.
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44.
Rappr. Rev. crit. DIP. 1998, p. 300, obs. P. Lagarde.
Référence : AJU001u6