La partie et le tout : l’Amazonie relève de quoi ? Pour le Brésil et les États-Unis, de la « partie » ; pour la France, du « Tout ». Tout l’enjeu est là
En août 2019, à propos de l’incendie ravageant l’Amazonie, la ministre française de l’Écologie affirme que ce fait « n’est pas que l’affaire d’un État ». Cette affirmation dénie les postulats du droit international public. Cela suppose un nouveau système, reposant sur l’idée que le pouvoir de l’État sur son territoire s’efface lorsque l’objet qui s’y trouve n’est plus rattachable à cette « partie » mais au Tout qu’est l’Univers. Acceptons l’augure. Première question : si cela n’est pas que l’affaire d’un État, de qui est-ce donc l’affaire ? Seconde question : pour anticiper les autres cas qui relève d’un tel régime, quels doivent être les critères au nom desquels le Tout devra prévaloir sur la partie et qui devra alors se charger du cas dont l’État « local » est dessaisi ? Car la perspective va au-delà de l’environnement, au-delà du Brésil, au-delà des États. Elle mène vers un droit de la Compliance animé par un « but monumental » qu’est le souci de l’Univers et l’humanisme. Allons-y.
Le 27 août 2019, sur la radio France Inter, la ministre de la Transition écologique Élisabeth Borne l’exprime nettement : « Quand on est sur un enjeu tel que l’Amazonie, ça n’est pas que l’affaire d’un État ».
À partir d’un cas, « l’Amazonie », la ministre, reprenant ainsi la position du chef de l’État français, y associe une conséquence générale : « Ce n’est pas que l’affaire d’un État ».
Ce n’est pas un propos banal. Il dénie tout le système du droit international public (I). Par un nouveau raisonnement qui repose sur l’idée que le Tout prévaut, comme par un effet de nature, sur la Partie (II).
En admettant cela, cela conduit à ouvrir deux séries de question. La première se rattache à l’interrogation principale suivante : si cela n’est pas que l’affaire d’un État, de qui est-ce donc l’affaire (III) ? La seconde série de questions s’articule autour de l’interrogation portant sur les critères au nom desquels d’autres cas doivent être saisis au nom du Tout et comment le faire (IV).
I. La remise en cause du système classique du droit international public
Depuis toujours, mais cela ne vaut pas raison, le monde est juridiquement organisé autour de la notion de territoire, laquelle a pour corollaire la notion – déjà plus juridique – de frontière. Sur cette base repose le postulat du droit international : des parties, prenant la forme juridique d’États, qui, s’ils ont des intérêts communs, entrent en contact (A). Certes, la notion de « droit d’ingérence » a remis en cause cela (B), mais au nom d’un altruisme qui ne détruit pas le territoire. L’idée nouvelle qui apparaît ici est que le territoire ne serait plus qu’une partie d’un Tout, au nom duquel l’on serait légitime à parler, voire à décider à la place de l’État sur le territoire duquel un événement se déroule (C).
A. Le postulat du droit international public (et privé) : des parties (États) qui, en raison d’intérêts communs, sont en contact
La notion d’État comprend dans sa définition même la notion de territoire (un territoire, une population, des institutions).
Ainsi, l’État régit à travers ses institutions ce qui se passe sur son territoire. Par exemple, s’il y a un incendie, ou un risque d’incendie, l’État prend des dispositions à travers tous les instruments juridiques, financiers, techniques et humains dont il dispose. Il rend des comptes de ce qu’il fait à travers sa responsabilité politique et juridique.
Lorsque ce qui se passe sur son territoire excède celui-ci (épidémie, catastrophe aux conséquences dépassant les frontières, migrations, etc.), de fait soit selon sa propre opinion, soit selon celle des autres États, les États, étant des sujets de droit souverains dans le système international, agissent ensemble sur une base juridique préalablement construite : traités, bilatéraux, multilatéraux, ayant éventuellement créé des zones intégrées (comme l’Union européenne ou les États-Unis) ou des institutions internationales (comme le FMI).
Une technique particulière s’est élaborée depuis plusieurs millénaires – mais là encore l’ancienneté ne vaut pas raison : la diplomatie, ancrée dans chaque État dans un ministère particulier, le ministère des Affaires étrangères, dont chaque gouvernement national dispose. Si un État exclut totalement un phénomène sur le territoire d’un autre, s’enclenche la procédure progressive de cessation des liens diplomatiques. Il peut en résulter des guerres.
Dans le « cas de l’Amazonie », aussi bien le président du Brésil que le président des États-Unis s’en tiennent à la construction classique du droit.
En effet, le premier a affirmé que l’Amazonie est sur le territoire du Brésil, et relève à ce titre de la juridiction (au sens anglais du terme) du pouvoir de l’État et du droit brésiliens, d’où il résulte qu’un autre État n’a pas à venir s’en mêler. Or le chef de l’État français prend la parole non pas en tant que cette forêt s’étend aussi sur un territoire français mais en tant qu’elle est l’affaire du Monde. Au contraire, le chef de l’État brésilien revendique l’effet de clôture qui exclut qu’un État tiers vienne prendre en charge directement quelque chose – même une difficulté – qui se déroule sur le territoire d’un autre.
Le chef de l’État fédéral américain a affirmé que ce sont des décisions conjointes entre le président du Brésil et d’autres chefs d’État, deux sujets de droit souverain, qui doivent s’accorder pour organiser une solution pour résoudre un problème local. Car de la même façon que des États peuvent se déclarer la guerre, ils peuvent s’entraider.
Tout le droit international public (et privé) repose donc sur ce postulat : des « parties » du monde, sur lesquelles ont prise des parties souveraines (États) entrent en relation car des circonstances font que quelque chose qui relève de l’un concerne un ou plusieurs autres.
C’est justement cela qui est remis en cause. La notion de « droit d’ingérence », dont on n’entend étrangement plus guère l’évocation, l’avait déjà fait, mais sur un autre fondement.
B. Le « droit d’ingérence » : idée qu’un État peut se mêler directement de ce qui se passe dans un autre État, idée qui ne remet pas en cause le postulat du DIP, idée qui repose sur autre chose : un « droit pour autrui »
Le « droit d’ingérence », c’est l’idée que sur certains territoires, il se passe des choses inadmissibles.
Dans un souvenir du jus cogens, sorte de « droit naturel » du droit international public, autrui, c’est-à-dire un autre État, peut venir se mêler de ce qui se passe sur un territoire pourtant fermé, sans déclarer la guerre à l’État qui garde celui-ci.
C’est le besoin d’autrui, par exemple ceux qui meurent en masse sur ce territoire, ou bien la nature qui est dévastée dans l’indifférence de l’État sur le sol duquel la catastrophe se passe, qui fonde ce « droit » d’un autre État de venir prendre les choses en main.
Le fondement de ce « droit » est donc un « devoir ».
C. L’idée nouvelle : un territoire n’est qu’une partie d’un globe, dont le destin est l’affaire de tous
L’idée est nouvelle car elle n’est pas fondée sur l’altruisme. Et pas plus sur l’intérêt propre. Pourtant, de fait et de droit, l’Amazonie n’est pas sur le seul territoire du Brésil.
La France est particulièrement bien placée pour dire quelque chose à son propos puisqu’une partie de l’Amazonie est sur un territoire français.
Ainsi l’inaction du principal concerné qu’est le Brésil affecte directement l’intérêt de la France, une « forêt » étant un bloc qui ne peut être divisé. Si nous étions en droit des biens, nous dirions que nous sommes en indivision avec le Brésil et qu’à ce titre, avec les autres États sur les territoires desquels cette forêt s’étend, une solution doit être trouvée.
En raison de l’indivisibilité de cet objet particulier qu’est la forêt, il faut que les États dont le territoire est concerné aient voix au chapitre.
Mais ce n’est pas cet argument qui est avancé par la France, notamment par le président de la République.
Il est affirmé que le monde entier est concerné par le sort de l’Amazonie. L’on pourrait dire qu’à ce titre, lorsque ce que l’on pourrait désigner comme une « forêt globale » est bien traitée, sa gestion relève effectivement du pouvoir du Brésil, des entreprises brésiliennes et de l’État brésilien, mais lorsqu’elle est maltraitée au point de voir son avenir compromis, lorsque des feux risquent de la faire disparaître, alors elle apparaît comme n’étant pas localisée au Brésil mais étant localisée dans le Monde, dont le Brésil n’est qu’une partie…
Ce raisonnement, qui donne alors voix au chapitre à tous, car dans le Monde chaque État y figure, est un raisonnement nouveau.
La théorie économicopolitique des « biens communs » n’en rend pas compte, car celle-ci est peu juridique.
II. Le nouveau raisonnement qui affronte le raisonnement classique du droit international public
Le nouveau raisonnement repris aujourd’hui par la ministre consiste à dire que l’Amazonie ne concerne pas que le Brésil. Cette forêt-là devrait donc être directement rattachée au Monde (A). Il s’agit d’un changement bienvenu du système, mais qui repose sur un paradoxe (B).
A. Lorsque l’Amazonie est en danger de mort, alors elle ne devrait plus être rattachée à la partie du Monde qu’est le Brésil, mais directement au Monde
C’est le « poumon » de la planète, c’est « l’avenir » de l’Humanité. En cela, cela ne peut concerner qu’un seul État, pas même celui sur le territoire duquel est situé ce « bien d’humanité ».
À ce titre, sans qu’il soit besoin de déclarer la guerre au Brésil, un autre État peut prendre la parole, par exemple l’État français à travers celui qui le représente dans l’ordre international, c’est-à-dire son Président, pour dire ce qu’il faut faire, puisque selon lui, le président du Brésil ne dit ni ne fait ce qu’il est absolument besoin de faire pour l’ensemble de la planète et pour l’avenir de l’Humanité.
Cela induit un renouvellement complet des institutions internationales.
En effet un rattachement direct au Monde et non plus au Brésil donne à l’objet forestier un statut particulier en raison d’un objectif qui dépasse le Brésil : sauver l’Amazone s’imposerait car il s’agirait de sauver le Monde. Dès lors, cela ne peut plus être l’affaire du Brésil, qui en serait comme « dépossédé » par un objectif qui s’impose à lui : sauver la forêt amazonienne, alors même qu’elle est principalement sur son territoire, tandis que d’autres États deviennent légitimes à disposer de cet objet, quand bien même la forêt ne serait en rien en partie sur leur territoire, quand bien même ils n’en seraient pas affectés dans leurs intérêts propres.
Cela contredit tout le Droit international public ; car l’accord des représentants politiques du Brésil n’est plus requis et personne n’évoque pourtant la nécessité de faire la guerre au Brésil, et heureusement !
Un tel bouleversement justifie qu’une telle affirmation ne soit acceptée qu’avec difficulté. L’on comprend mieux qu’en première conséquence, qui n’est pas si anodine, l’une des premières règles de la diplomatie qui est la politesse, entre les chefs d’État, à l’égard des conjoints de ceux-ci, ait volé en éclat, que les propos aient dérapé sur des questions personnelles, etc.
B. Un changement bienvenu mais paradoxal de système
Pourquoi ne pas changer de système ?
Cela est difficile à admettre, non seulement parce que c’est brutal, mais aussi parce que cela est paradoxal.
Le paradoxe est le suivant. L’on reconnaît que le thème de la disparition des frontières par la « globalisation » ne restituait plus aujourd’hui les faits, notamment pas la réalité chinoise, la digitalisation ayant tout au contraire permis la construction de frontières plus solides encore. Il s’agirait donc aujourd’hui de reconnaître d’un côté la réalité des frontières – qui n’avaient pas disparu ou qui renaissent – , mais ce n’est que pour mieux les enjamber, puisque du Monde les États, pourtant chacun dans leurs frontières, seraient légitimes à se soucier en aller se mêler directement des affaires des autres.
Le paradoxe est donc constitué par, d’un côté, la récusation de l’allégation d’une disparition de fait des frontières par une interdépendance économique, la technologique ayant dénié la « globalisation » comme fait, et la résurgence des frontières permettant aux États d’affirmer plus que jamais qu’ils seraient « maîtres souverains chez eux », ce qui devrait logiquement aboutir à laisser le Brésil décider pour l’Amazonie, tandis que pourtant de l’autre côté on assiste à la remise en cause du postulat du Droit international public comme reconnaissance des souverainetés et construction à partir des accords entre États, requérant l’accord de l’État dont le territoire est concerné (sauf guerre), remise en cause qui conduit à permettre à tous de se mêler du sort de l’Amazonie, comme s’il n’y avait pas de frontière.
Ce paradoxe conduit à se poser deux questions.
La première question est : si « ce n’est pas que l’affaire d’un État », de qui est-ce l’affaire ?
La seconde question est : après le « cas de l’Amazonie », quels sont les autres cas ? Et comment va-t-on leur apporter des solutions, si l’on ne dispose plus des solutions du Droit international public, c’est-à-dire l’accord du pays dont le territoire est concerné et auquel l’on ne veut pas faire la guerre ?
Si l’on a les idées claires sur les réponses à apporter à ces deux séries de questions, parce qu’effectivement, lorsque l’avenir de tous est en cours cela ne peut être l’affaire d’un seul État, il est nécessaire de remettre en cause le Droit international public. Mais a-t-on les idées claires sur ces deux questions ? Et a-t-on des pistes quant aux solutions envisageables ?
III. Première série de questions : si ce n’est pas que l’affaire d’un État, de qui est-ce l’affaire ?
Si l’on admet le changement de système, la première série de questions qui s’ouvre tient de savoir de qui l’Amazonie est-elle l’affaire si elle n’est pas celle du Brésil seul ? Si l’on décompose cette question, elle conduit à désigner celui que l’on pourrait appeler celui qui est « apte juridiquement » à s’en soucier », et dès lors à décider quelque chose à son propos. Par exemple qui peut donner de l’argent ? Les autres États, et seulement eux (A) ? Si l’on trouve ceux qui sont juridiquement aptes à agir, l’action ne consiste-t-il qu’à donner de l’argent (B) ?
A. Qui peut donner de l’argent ? Que les autres sujets du Droit international public ?
Leonardo Di Caprio a estimé que c’était son affaire, puisqu’il a dit qu’il versait de l’argent, présupposant donc que quelqu’un allait le recevoir. Puis, il s’est « allié » à Will Smith pour vendre des chaussures au profit de la forêt. Juridiquement, ils ont en outre et plus précisément facilité la vente de celles-ci par la notoriété de leurs noms, le profit de la vente allant au bénéfice de l’Amazonie. Will Smith a déclaré être « concerné » par l’Amazonie et désireux de la sauver. Ils supposent donc que l’argent qu’ils apportent ou font apporter va trouver un donataire. En droit, cela ne va pas de soi.
C’est sans doute pour cela que le président du Brésil a rappelé que pour qu’il y ait un don, il faut non seulement un donateur mais un donataire, car une donation n’est pas un acte unilatéral, mais un contrat. Dans la mesure où les forêts n’ont pas de personnalité juridique, pas plus qu’elles n’ont en conséquence de patrimoine dans lequel l’argent serait versé, c’est à l’État brésilien de recevoir ce don, acceptation que le chef de l’État brésilien s’est refusé à formuler dans un premier temps.
Dans la théorie du « droit d’ingérence », parce qu’il s’agit de l’expression d’un « devoir pour autrui », devoir dont il n’est pas besoin qu’un État soit particulièrement le porteur. C’est pourquoi, non seulement une célébrité mais encore une personne fortunée, un anonyme, un collectif, une association (on se souvient de Médecins sans Frontières, justement « sans frontières »), avaient agi sur le fondement de ce droit-là.
Il n’existe alors aucune structure juridique, ni nationale (en l’espèce, brésilienne), ni internationale (laquelle, l’ONU ?), pour valider une sorte de recevabilité des dons.
B. Ne peut-on que donner de l’argent pour l’Amazonie ?
Les manifestations de protestation, ce qui est un autre acte juridique, se sont organisées.
Dire que l’on n’est pas d’accord contre le comportement (l’inertie est une action) d’un gouvernement, même si l’on est un national d’un autre pays, est une action.
Les manifestations de ce type se sont multipliées, ayant souvent pour source une initiative locale.
Mais peut-on aller plus loin, sans que désormais le gouvernement brésilien ne puisse rien dire ?
Par exemple en apportant de l’eau, du matériel ? des personnes, expérimentées ou non ? contrôlées ou non ? à leur entrée et pendant leur présence, ou non ?
IV. Seconde série de questions : après le « cas Amazonie », quels sont les critères pour saisir d’autres cas pour lesquels le « Tout » doit prévaloir sur les « parties » ?
Si l’on admet le changement de système, la seconde série de questions qui s’ouvrent repose la encore sur la solidité des analogies. De la même façon que l’on pourrait passer donc d’un État à un autre, peut-on passer d’un cas à un autre, parce que des drames comme l’actuel incendie ont vocation à s’offrir à nos yeux épouvantés et désolés (A)… Parce qu’on ne convient pas de se contenter d’aller de drame en drame, de cas en cas, sauf à abandonner le droit à la seule émotion, il faut trouver des critères généraux et abstrait pour quitter la partie pour remonter au Tout, détecter dans le cas présent ce qui justifie dans le cas particulier de cette forêt-là son attachement à la Globalité : le fait qu’il s’agit d’un objet systémique (B). L’Amazonie, « forêt globale », montre alors à travers son seul exemple ce qui devrait être dégagé comme critère abstrait d’un rattachement au Tout : une nature systémique. Cela justifie non seulement que ce souci systémique soit porté par un autre État, mais encore, voire surtout, qu’il soit internalisé par des entreprises en position d’apporter des solutions, par la technique du droit de la Compliance (C).
A. Le drame de l’Amazonie n’est pas un drame unique : tant d’autres « incendies »
Les réseaux sociaux ont été envahis d’images d’incendies gigantesques se déroulant dans des pays du continent africain.
Le discours sous-jacent en est double.
Tout d’abord, il s’agit de demander que la manne mondiale tombe également sur ces pays, présentés comme étant tout autant en détresse que l’Amazonie (ce que nous ne savons pas, notamment en raison des photomontages à propos de l’Amazonie).
Ensuite, il s’agit de montrer que si l’on fait cela pour l’Amazonie, en ôtant au gouvernement brésilien son pouvoir d’exclure, pouvoir auquel on associe pourtant souvent la souveraineté, alors il faut aussi le faire pour une série d’autres pays, ravagés par des drames écologiques. Si nous ne voulons pas prendre en charge « toute la misère du Monde », parce que nous ne prétendons pas être les Maîtres du Monde, alors que faire puisque des drames identiques se déroulent ailleurs et surtout se dérouleront dans le futur.
Faudra-t-il alors se substituer aux gouvernements, les contredire, les contrecarrer, sans pour autant leur faire la guerre ? Alors que, de cas en cas, l’on passera de cas identique (forêts qui brûlent) à des cas analogues (fleuves qui débordent, enfants qui meurent).
Pourquoi pas.
La difficulté est alors conceptuelle et de méthode : car l’incendie n’est pas le seul drame de l’Humanité.
B. Le drame de l’Amazonie n’est pas un drame unique : tant d’autres drames de l’Humanité et la nécessité de préciser les critères abstraits dans lesquels l’intervention extérieure nécessaire est en outre possible
L’incendie est terrible. Mort massive des animaux. Perte de la rivière. Déséquilibre écologique durable.
Mais qu’en est-il de la sécheresse, qui provoque in situ des morts et des migrations qui provoque à leur tour des morts et des déséquilibres dans les autres États ? Et qu’en est-il des maladies massives et contagieuses, à une époque où les maladies anciennes éradiquées réapparaissent ? Maladies qui par nature se propagent.
Certes, pour l’instant, le droit international public a fonctionné, parce que le gouvernement du pays concerné par le drame a accepté l’aide offerte par les autres pays en bilatéral ou les organisations internationales en multilatéral. Sauf à ce que le pays concerné soit en état de guerre, comme la Syrie, mais cela aussi est un cas prévu par le Droit international public.
Pour l’instant des pays qui ne sont pas en guerre et qui participent, selon la règle de droit, à l’ordre international, continuent d’accepter les mécanismes d’aide. Le bénéfice qu’ils en ont de conserver les postulats de ce droit. La dégradation du droit international public pourrait faire craindre une rétractation de certains États, préférant leur isolement à leur intérêt et à celui de leur population, dans une incompréhension de ce qu’est la souveraineté. Nous n’en sommes pas encore là.
Mais des analogies conduisant à sortir du droit international public, comme on se propose de le faire pour l’Amazonie, peuvent être construites par exemple pour la vente des êtres humains, contre laquelle, malgré l’existence de quelques traités, le droit international public est faible.
La destruction du droit international public pourrait alors se faire, soit pour avoir moins que lui (action des gouvernements illibéraux), soit pour avoir plus que lui (action des gouvernements libéraux soucieux de l’Humanité, dont le premier exemple vient d’être donné à propos de l’Amazonie).
La seconde perspective est audacieuse, mais n’est-elle pas induite par la première, catastrophique ?
La question est alors de savoir pour combien de situations non plus identiques mais pour laquelle l’analogie est aisée à établir, le même raisonnement pourra être construit : le territoire en question n’est qu’une partie ce Tout que sont le Globe et l’Humanité.
Ainsi, de cas en cas, le raisonnement exceptionnel « partie/Tout », qui inverse les bases du Droit international public pourra devenir le principe.
Il est donc nécessaire de définir les conditions abstraites dans lesquelles il peut entrer en vigueur.
Un chef indien de l’Amazonie, le chef Roani a insisté le 6 septembre 2019 sur le fait qu’il fallait « faire quelque chose » non seulement indépendamment du pouvoir politique brésilien mais encore « contre » celui-ci parce que la forêt amazonienne est « cruciale ».
Cela rejoint des affirmations des scientifiques sur la « crucialité » de cet objet particulier qu’est l’Amazonie.
Or la notion de crucialité est une notion juridique connue et maîtrisée en droit de la régulation et droit de la compliance, notion-clé qu’il convient de reprendre et de développer.
C. Les critères abstraits pour faire prévaloir le Tout sur la partie
Les critères abstraits pour faire prévaloir le Tout sur la Partie supposent que l’on pense la situation envisagée en termes systémiques (1). Cela conduit à superposer au droit international public un droit de la compliance dont la finalité est le souci de l’Humanité, qu’il convient aussi de développer (2).
Penser en termes systémiques. Quand on reprend le droit de la régulation dans son rapport non pas au principe de concurrence mais son rapport au risque systémique, l’on observe que des opérateurs (comme les « banques systémiques » ou les « opérateurs cruciaux ») sont visés par des règles qui dépassent les frontières parce que ce qui peut leur arriver de négatif ferait s’écrouler les systèmes si l’évènement négatif considéré advenait.
À ce titre, la faillite d’une banque systémique et l’incident qui fait disparaît une forêt sur l’équilibre duquel le climat et la pluie reposent sont de même nature. L’un et l’autre sont des événements futures constitutifs de catastrophes futurs exclues, pour laquelle la prévention globale des risques doit être établie. S’ils adviennent, parce que la supervision a failli, la gestion de la crise ne concerne pas que le pays dans laquelle l’objet systémique est placé.
La forêt amazonienne est systémique.
Comme cela est en train de se faire en matière numérique, comme cela est fait depuis longtemps en matière bancaire, il faut établir des listes supranationales d’objets systémiques et supersystémiques. Avec, comme en matière bancaire, des objets visés par les États sur le territoire desquels ils sont situés et un critère substantiel général déterminant les objets dont le Monde ne peut pas se passer, sauf catastrophe générale (ce qui est la définition générale « négative » de l’objet systémique).
Ces mécanismes fonctionnent bien en matière bancaire, financière, audiovisuelle, que parce qu’il existe des autorités de supervision. Cela permet d’organiser l’Ex Ante, qui permet d’éviter la catastrophe, ce qui distingue la Supervision de la Régulation et plus encore du Droit de la concurrence.
Or pour l’instant de telles Autorités de supervision n’existent pas.
Mais comme la finance se verdit de plus en plus, que le droit de la Compliance lui-même prend en charge le souci environnemental et l’introduit dans les « opérateurs mondiaux cruciaux », ce qui est contrôlé par les superviseurs de ceux-ci dans leurs structures Ex Ante, il est possible que par le Droit de la Supervision et de la Compliance bancaire et financière, puis de la Compliance dans le droit du commerce international, l’on obtienne un résultat dans l’efficacité ex ante. Puisqu’il s’agit de prévenir et non de sanctionner. Sans qu’il soit besoin de construire une autorité supranationale spécifique. Non qu’on ne puisse y rêver, mais l’on dira que les circonstances politiques n’y sont pas de fait très propices.
Superposer au droit international public un Droit de la Compliance ayant pour but le souci de l’Humanité. Si l’on accorde encore de l’importance au droit international public et au multilatéralisme (accords entre les parties souveraines que sont les États dans l’ordre international), notamment à la diplomatie (relations continues entre ces parties souveraines, se superposant aux relations continues avec les entités ordinaires), il faut que cette façon de faire, à base de régulation, supervision et compliance s’ajoute aux États et leurs relations multilatérales.
Plus encore, les juridictions doivent donner plein effet à la volonté des États, en articulant ces actions des opérateurs privés avec les actions politiques à long terme.
De la même façon que le droit de la Compliance permet aux États d’internaliser leurs « buts monumentaux » dans les entreprises cruciales (et sauver la planète en permettant de concrétiser le souci de l’Amazonie correspond à ce cas de figure), il faut que les juridictions internationales puissent intervenir.
Car il n’y a pas de systèmes juridiques efficaces et légitimes sans Juge. Faute de cela, la doctrine en conclut qu’il n’existe toujours pas un « ordre juridique mondial ». Les États s’en réjouissent lorsque cela leur permet d’échapper de fait à leurs obligations internationales, l’OMC n’ayant trouvé une effectivité qu’en mettant en place un système régressif et archaïque de justice privée au bénéfice de l’État dont la prétention est reconnue comme légitime par le panel de l’organe de règlement des différends de cet organisme.
Mais dans les cas qui nous occupent, il ne s’agit pas de sanctions ex post, prenant de nombreuses années. Ce qui serait requis serait non seulement des décisions mises en œuvre par l’État concerné mais encore des décisions juridictionnelles adoptées rapidement, par un mécanisme proche de celui des référés, selon un triple critère de l’urgence, l’évidence et l’irréparable perspective d’un dommage imminent.
Ce juge des référés mondial n’existe pas.
C’est donc bien vers une internationalisation dans les « entreprises cruciales » par un « droit de la Compliance » dont le souci de l’Humanité qui anime certains États peut être internalisé, qu’il faut aller, méthode juridique efficace, se superposant sur un Droit international public légitime dont on ne peut complètement désespérer.
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