Incident d’Aix-en-Provence : Le barreau de Paris soutient Maître Sollacaro
De nombreux barreaux de France ont investi ce mercredi les marches des palais de justice pour protester contre l’expulsion manu militari de Me Paul Sollacaro jeudi dernier d’une audience correctionnelle. Paris s’est joint au mouvement. Réactions.
C’est sous une petite pluie fine et glacée que les avocats du barreau de Paris se sont rassemblés mercredi 17 mars sur les marches du palais de justice à 14 heures, en soutien à leur confrère Paul Sollacaro. Ce-dernier a été en effet expulsé d’une salle d’audience du tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence jeudi dernier. Il y défendait un homme poursuivi pour trafic de stupéfiants et association de malfaiteur, empêché de comparaitre en raison du fait qu’il était atteint de la Covid, ainsi qu’en attestaient les documents de l’assurance maladie. L’avocat protestait contre le refus du président de disjoindre, mais également, à défaut de disjonction, de laisser venir l’intéressé comparaitre à son procès. Le prévenu, qui encourait jusqu’à 20 ans de prison, allait donc être jugé sans qu’il soit présent au seul motif qu’il était malade. Le bras de fer qui s’en est suivi entre ce président et les avocats du dossier (11 prévenus), ainsi qu’avec le bâtonnier d’Aix-en-Provence lui-même, a duré jusqu’au lendemain soir. L’homme à l’origine des événements a été condamné à quatre ans de prison assortis d’un mandat d’arrêt (récit complet ici).
Pour les avocats, en l’état de ce que l’on sait du dossier (le Premier Ministre a ordonné une enquête de l’inspection générale de la justice), les droits de la défense ont été bafoués à de multiples reprises. En particulier, ils jugent inacceptable qu’un des leurs ait été sorti de force de la salle d’audience par une demi-douzaine de policiers alors qu’il était dans l’exercice de sa fonction. Plusieurs barreaux se sont mobilisés dans toute la France.
« Au niveau local, on s’entend bien »
« Les représentants de la profession, Jérôme Gavaudan, Hélène Fontaine, et moi-même avons rendez-vous vendredi avec le bâtonnier d’Aix-en-Provence et le Premier président de la cour pour essayer de trouver une solution » confie le bâtonnier de Paris Olivier Cousi sur les marches du palais. Il faut dire que Paris a une expertise en la matière. En mai 2019 en effet, une avocate a été expulsée elle aussi par des policiers du cabinet d’un juge. L’affaire avait suscité une telle émotion à l’époque que le président du TGI de Paris (aujourd’hui devenu le TJ de Paris) Jean-Michel Hayat et le bâtonnier Marie-Aimée Peyron avaient décidé d’organiser des assises entre avocats et magistrats pour dialoguer sur les moyens d’améliorer leurs relations. « Les assises ont été utiles, au niveau local, on s’entend bien avec le président du tribunal Stéphane Noël et le premier président de la Cour, Jean-Michel Hayat. Cela nous permet notamment d’organiser en bonne intelligence des procès aussi importants que celui des attentats du 13 novembre. Le problème se situe au niveau plus global, les magistrats ont pris les avocats en grippe, au point que certains déclarent dans la presse par exemple qu’avec le nouveau texte de Dupond-Moretti, Al Capone n’a plus qu’à prendre l’avocature » déplore le bâtonnier de Paris.
« Les magistrats sont épuisés, nous aussi »
Ce que révèle cette fameuse audience d’Aix, c’est un problème de fond dans les relations entre avocats et magistrats au sein d’une institution que le manque de moyens ancien et chronique achève d’épuiser. « N’oublions pas que beaucoup de magistrats en veulent aux avocats, les tenant pour responsables du retard pris en début d’année avec la grève contre la réforme des retraites, alors qu’en réalité la justice souffre d’un grave problème de moyens. La crise sanitaire a aggravé la situation. Les magistrats sont épuisés, nous aussi, cela crée forcément des tensions », analyse David Lévy qui est venu lui aussi soutenir son confrère.« Pourtant les magistrats sont formés à la gestion de ce type de crise, on leur explique bien qu’en cas de difficulté avec un avocat ils doivent suspendre l’audience, appeler le bâtonnier et discuter avec lui, puis reprendre les débats. Or, cela fait deux fois en deux ans qu’un magistrat s’exonère de cette règle et fait usage de son pouvoir de police sans considération de la qualité de l’avocat ».
Le pouvoir de police du président en question
Un pouvoir de police qu’il tient des articles 400 à 405 du code de procédure pénale, mais que nul jusqu’aux événements récents, n’aurait imaginé voir appliqué aux avocats. « L’article 404 du CPP confère au titre des pouvoirs de police au président des pouvoirs exorbitants du droit commun qui consistent à pouvoir expulser un « assistant » qui trouble « l’ordre » sans qu’il soit dit qu’il s’agit de l’ordre public. Il peut ordonner son expulsion de la salle d’audience et sur le champ le placer sous mandat de dépôt, le juger et le punir à deux ans de prison ! Ce texte a été appliqué à un avocat dans l’exercice de sa mission de défense. Se pose dès lors la question de sa conformité à la Constitution » réagit le vice-bâtonnier élu Vincent Nioré qui précise « cet article me semble par ailleurs en contradiction avec l’article 434-8 du code pénal qui prévoit que toute menace ou tout acte d’intimidation commis notamment envers l’avocat d’une partie en vue d’influencer son comportement dans l’exercice de ses fonctions est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. La défense d’un justiciable ne peut être assimilée à un trouble à l’ordre ou à une cause de tumulte. La parole d’audience de l’avocat est libre et immunisée erga omnes ».
Référence : AJU179368