Bruno Blanquer : « Plus aucun procès ne doit se terminer dans une chausse-trappe procédurale »

Publié le 27/01/2023

L’assemblée générale de la Conférence des bâtonniers s’est déroulée ce vendredi 27 janvier à Paris, en présence du garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti. Ce fut l’occasion pour son président,  Bruno Blanquer, de faire passer plusieurs messages importants au ministre.

Bruno Blanquer : "Plus aucun procès ne doit se terminer dans une chausse-trappe procédurale"
Assemblée générale de la Conférence des bâtonniers, 27 janvier 2023 (Photo : ©P. Cabaret)

Difficile pour les avocats de ne pas accorder un satisfecit, au moins de principe, au garde Sceaux après les promesses faites par ce dernier le 5 janvier de porter le budget de la justice à 11 milliards d’euros et de procéder à 10 000 embauches d’ici 2027. Il aura fallu tout un quinquennat, des manifestations, pétitions et autres tribunes pour que la majorité actuelle consente enfin à prendre au sérieux les appels au secours du monde judiciaire ! Celui-ci depuis quelques jours en donne acte au garde des Sceaux.

Pour autant, les avocats, comme les magistrats d’ailleurs, ne sont pas prêts à tomber dans les bras de leur ministre. Il faudra du temps au politique pour regagner la confiance du judiciaire. Par ailleurs, les promesses du 5 janvier, quoique répondant en partie aux attentes des professionnels, suscitent encore certaines interrogations et inquiétudes. Bruno Blanquer a évoqué les principales lors de son allocution à l’assemblée générale de la Conférence des bâtonniers ce 27 janvier :

*L’Unité de valeur servant de base à l’indemnisation de l’aide juridictionnelle a vu son pouvoir d’achat baisser de 10 % environ en raison de l’inflation, « ce qui peut difficilement être accepté dans un contexte d’annonce de réévaluation généralisée, et par ailleurs justifiée, des rémunérations des personnels de Justice » a déclaré Bruno Blanquer.

*La simplification de la passerelle du métier d’avocat à celui de magistrat : « Nous sommes donc particulièrement intéressés et serons très attentifs aux conditions de recrutement des 300 magistrats annuels supplémentaires, qui pourraient être très majoritairement des avocats, ce qui pourrait, à terme donner des idées dans les années à venir pour l’ensemble des nouveaux juges. Cela aurait au surplus l’immense avantage de rapprocher significativement les professions de magistrats et d’avocats et ne pourrait qu’avoir un impact positif sur la relation magistrats-avocats ».

*La question de la « structuration des écritures » : alors que le groupe de travail « Présentation des écritures » doit clôturer ses travaux par la signature d’une charte lundi prochain, le ministère a utilisé le terme de « structuration » en lieu et place des termes « Présentation des écritures » sur lesquels un consensus avait été trouvé. « Devons-nous nous attendre à de nouvelles chausse-trappes procédurales ? » s’est interrogé Bruno Blanquer. Le ministre a apporté une réponse rassurante quelques minutes plus tard (lire notre article ici)

Bruno Blanquer : "Plus aucun procès ne doit se terminer dans une chausse-trappe procédurale"
Bruno Blanquer, président de la Conférence des bâtonniers.  (Photo : P. Cabaret)

*Simplification procédurale : c’est la « révolution culturelle » que le président de la Conférence appelle de ses vœux. « Plus aucun procès ne doit se terminer dans une chausse-trappe procédurale. Il faut sortir de la logique kafkaïenne qui génère du contentieux et de la frustration sur le non-traitement des dossiers au fond. Aujourd’hui, plus de 700 déclarations de sinistres réalisées annuellement par des avocats trouvent leur origine dans la seule procédure d’appel ; pour information il n’y en avait qu’une centaine en 2010, avant qu’elle ne soit réformée. Il faut appliquer dans la procédure civile la recommandation de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice adoptée le 17 juin 2021 visant à« réduire les contraintes formelles au strict nécessaire » et, pour y parvenir, à « assurer un droit de régularisation des actes viciés en fixant aux parties un bref délai pour déposer un acte de procédure régularisé ou pour fournir les informations requises ou bien remplir les conditions manquantes »».

*Sur la réforme de la justice économique : la profession d’avocat souhaite continuer de relever des juridictions civiles en matière de procédures collectives. Là encore le ministre a été rassurant.

*Sur le guichet unique des formalités d’entreprise opéré par l’INPI en lieu et place des CFE, le président en a dénoncé les dysfonctionnements : « Il est incompréhensible que Bercy n’ait toujours pas entendu les avocats qui les avaient prédits et qui continuent quotidiennement de les signaler sans que tout ne soit réglé à ce jour ».

*Sur les perquisitions de nuit en matière de crime de droit commun. « Cette extension contestable sur le plan des principes, si elle se concrétisait ne pourrait se faire sans octroi de droits nouveaux à la défense » a précisé Bruno Blanquer. « Le moment est venu de permettre à l’avocat du perquisitionné d’être présent et de rendre cette présence obligatoire si des documents couverts par le secret professionnel de l’avocat, doivent être saisis dans un lieu autre que ceux mentionnés à l’article 56-1 du CPP, c’est-à-dire chez le justiciable. Ainsi, le droit d’opposition à la saisie du document que détient le perquisitionné, à l’instar du bâtonnier pour une saisie chez un avocat, pourrait réellement être exercé ».

*Sur les prisons : le président a rappelé que lorsqu’il s’était inscrit au barreau en 1990, il y avait 36 615 places et un taux d’occupation de 124 %. Aujourd’hui, il y a 60 698 places opérationnelles et un taux d’occupation de 120 %. Il en déduit que la construction de nouvelles places n’est pas la solution. Aussi et surtout, Bruno Blanquer s’est appesanti sur l’état des prisons. « Si la France est incapable de ne pas avoir recours à l’incarcération elle se devrait, a minima, d’assurer la dignité des conditions de détention. Or, la lutte contre l’indignité des conditions de détention n’est pas mentionnée dans le plan d’action alors que le rapport du Comité des États généraux a relevé « que la responsabilité de l’État est de plus en plus engagée à raison… des conditions de détention indignes » et qu’il a prédit que « des condamnations nombreuses risquent d’être prononcées sur ce terrain par les juridictions nationales » ». Il a assuré à Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, présente dans la salle, que les bâtonniers seraient toujours à ses côtés pour mener ce combat.

Bruno Blanquer : "Plus aucun procès ne doit se terminer dans une chausse-trappe procédurale"
Éric Dupond-Moretti, ministre de la justice (Photo : ©P. Cabaret)

*Sur les Cours criminelles départementales, le président Blanquer a rappelé que l’expérience ne s’était pas révélée concluante. Sur ce point en revanche, le garde des Sceaux ne semble pas décidé à revenir sur ses positions (lire notre article ici et notre dossier ). Quelques heures plus tard, l’assemblée générale adoptait une motion exprimant son opposition radicale à la généralisation de ces cours et réclamant leur suppression (applicable au 1erjanvier dernier mais dont le déploiement va s’échelonner sur plusieurs mois).

*Sur la réforme de la police judiciaire, il a cité Camus dans « Les Justes : « On commence par vouloir la justice et on finit par organiser une police ». Et de prévenir : « Nous continuerons donc à être extrêmement vigilants sur les conséquences de la réforme de l’organisation de la police voulue par le ministère de l’Intérieur » a-t-il précisé.

 

L’avocat de la défense en perquisition judiciaire : « si une évolution de la profession doit se faire, c’est en ce sens-là » estime Vincent Nioré, vice-bâtonnier de Paris

Bruno Blanquer : "Plus aucun procès ne doit se terminer dans une chausse-trappe procédurale"
Vincent Nioré, vice-bâtonnier de Paris (Photo : ©P. Cabaret)

Invité à s’exprimer au nom du barreau de Paris à l’assemblée générale, le vice-bâtonnier Vincent Nioré a concentré son intervention sur « la défense de la défense ». Cette défense devra continuer de porter sur la préservation du secret professionnel, mais aussi s’attaquer à un nouveau combat, le projet de la Chancellerie d’autoriser les perquisitions de nuit pour les crimes de droit commun. À propos de la présence de l’avocat de la défense en perquisition judiciaire, Vincent Nioré estime que « si une évolution de la profession doit se faire, c’est en ce sens-là et je déplore que le garde des Sceaux n’en ait pas parlé tout à l’heure » ; et de poursuivre : « il faut que l’avocat de la défense soit présent en amont de la procédure pénale, sa place est en amont de la procédure pénale, tout se décide à mon avis en perquisition ».

Il a également abordé le procès en cours de deux avocats – Xavier Nogueras et Joseph Cohen-Sabban -, poursuivis pour tentative d’escroquerie au jugement parce que leur client, trafiquant de stupéfiants, leur a transmis un faux jugement pour sa défense. Cette affaire, Vincent Nioré la connaît bien car il était à l’époque délégué du bâtonnier aux perquisitions et c’est lui qui s’est occupé du dossier, ce qui lui a valu des démêlés avec quelques magistrats. Il témoignera le 1er février prochain au procès.

« N’essayez pas de mettre à notre charge une obligation qui n’existe ni dans le Code pénal ni dans le règlement intérieur national »

« Est-ce qu’un avocat peut encore communiquer aujourd’hui devant une juridiction des pièces sans que la magistrature dans son ensemble fasse peser sur lui une obligation qui n’existe pas de vérifier l’authenticité des pièces qui sont remises ? s’interroge le vice-bâtonnier de Paris.  J’insiste, le juge n’est pas la victime du procès, le juge a le privilège du discernement qui est intrinsèquement lié à la fonction de juger, alors pourquoi renverser les rôles ? Nous avons l’exemple en ce moment d’avocats renvoyés en correctionnelle alors que l’ordonnance de renvoi nous dit que les avocats qui ont remis les pièces arguées de faux ne pouvaient pas avoir conscience que les pièces qu’ils remettaient à la cour étaient des faux. Eh bien non-lieu alors ! Eh bien non. Il y a une deuxième argumentation qui consiste à dire qu’ils devaient vérifier l’authenticité des pièces. Nous allons poursuivre le dialogue avec la magistrature sur ce thème. N’essayez pas de mettre à notre charge une obligation qui n’existe ni dans le Code pénal ni dans le règlement intérieur national ni dans les règlements intérieurs particuliers, celui de Paris ».

Le président du Conseil national des barreaux (CNB), Jérôme Gavaudan, s’est lui aussi exprimé sur cette affaire lors de ses voeux le 24 janvier.

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