Chronique de la justice ordinaire : le jeune juge et les treize dossiers
Le 2 septembre dernier, notre chroniqueur judiciaire assistait à l’audience de la 13e chambre du tribunal correctionnel de Créteil. Pour les affaires simples, un seul juge est nécessaire. Ce jour-là, un jeune magistrat a examiné treize affaires depuis l’accident de la route jusqu’aux violences conjugales, en passant par une conduite sans permis et un harcèlement. Portrait de la justice du quotidien.
L’audience correctionnelle à juge unique débute en retard ce 2 septembre 2020 après-midi dans la chambre 13-2 du tribunal judiciaire de Créteil. Une dizaine de prévenus et d’avocats masqués s’engouffrent dans la salle. Le tout jeune magistrat Kévin Vezien appelle la première affaire.
Le château contre le repère
Une femme s’avance, elle représente la municipalité de Villecresnes, où se situe le domaine royal de Grosbois, son château de type Versailles première époque, sa déco Empire et son musée de la course au trot. Face au domaine, de l’autre côté de la route, se tient le restaurant-spectacle Le repère des pirates, dont l’enseigne figurant une tête de mort monumentale a été construite sans autorisation. La mairie entend retirer le panneau. Le juge marmonne derrière son masque : « J’envisage de renvoyer le dossier pour qu’il soit examiné par un magistrat spécialisé en urbanisme, ce qui n’est pas mon cas ; avez-vous des observations ? ». Les Pirates sont absents. Villecresnes réclame une action immédiate. « Vous solliciterez une action quand le dossier sera examiné le 7 octobre notez la date. »
Une autre affaire d’urbanisme est appelée. « Je propose le renvoi, une objection ? »
Oui, le commerçant incriminé objecte : « Je suis prêt, j’ai tous mes papiers là… »
Le juge s’impatiente : « C’est moi qui propose en fait… notez la date du renvoi : le 7 octobre. »
« Comme ma mère »
Une fois tous les dossiers d’urbanisme renvoyés, l’examen des affaires retenues commence. Un quinquagénaire apeuré s’avance à la barre. Il n’a pas d’avocat.
« — Vous êtes bien Monsieur D. ? Quelle est votre profession ?
— Pardon ? Je ne comprends pas…
— Votre profession Monsieur, répète le juge en retirant son masque.
— Chauffeur livreur. »
Le 13 juin 2019, le livreur effectue une marche arrière au volant de sa camionnette professionnelles dans une rue à sens unique. Au même instant, une dame de 79 ans quitte le trottoir encombré par un véhicule en stationnement. Dans sa manœuvre, le livreur n’aperçoit pas la femme et la percute…
Elle s’en sort mais avec 15 jours d’ITT. « Quand je l’ai vue, elle était par terre, raconte le chauffeur au juge. Je suis allé à l’hôpital pour savoir comment elle allait. Son fils m’a dit ‘ça va’. » Le magistrat le sermonne : « Vous auriez dû faire le tour au lieu de reculer. Vous avez fait une marche arrière rapide, non ? »
L’homme a deux enfants de 6 et 9 ans, un casier vierge.
L’avocate de la partie civile demande 35 000 € de dommages intérêts. Le procureur relativise : « Il n’était pas alcoolisé, ce n’était pas délibéré. Je ne vois pas l’utilité de suspendre son permis un an après les faits. C’est son outil de travail. Je requiers 4 mois avec sursis. » Le prévenu panique.
« — Je vais faire quatre mois ?
— Non je n’ai pas délibéré, rassure le juge. Sur l’indemnisation avez-vous quelque chose à dire ?
— C’est beaucoup quand même… La prochaine fois je ferai attention. Cette dame, je la considère comme ma mère. »
Il écopera finalement de deux mois avec sursis et 3 000 € d’indemnisation.
Affaire suivante.
« Fragile, jamais méchante »
Entre 2018 et 2019 une jeune femme bombarde son ex-petit ami de textos « malveillants ». Elle est étudiante en médecine et souffre de troubles bipolaires depuis des années. Il finit par porter plainte. En 2019, elle est condamnée à quatre mois sursis, mais le tribunal ajourne la peine, jusqu’à aujourd’hui.
« — Quelle relation avez-vous avec Monsieur G. depuis 2019 ?
— Je n’ai eu aucun contact, répond doucement la jeune femme. Je suis désolée de ce qu’il s’est passé. A cette époque, j’ai changé de traitement, beaucoup de choses ont pu contribuer… J’ai pu être fragile, mais jamais méchante. Aujourd’hui je passe en 6eannée de médecine. J’ai rencontré un garçon, on emménage ensemble. »
Le procureur suggère une dispense de peine. Après délibération, le juge le suivra.
Pour les affaires suivantes, la salle se vide. Aucun prévenu, aucune victime ne se présente. Le juge examine les dossiers à la chaîne. Un client alcoolisé qui a insulté un chauffeur de taxi et des policiers : quatre mois avec sursis et 600 € d’amende. Un homme qui conduisait un scooter sans casque, sans assurance, sans permis, avec une fausse plaque : trois mois avec sursis et 500 € d’amende. Un ex-conjoint qui ne paie pas la pension alimentaire : deux mois avec sursis.
Huit mois ferme requis pour sept jours d’ITT
Une affaire de violence conjugale est maintenant examinée. Pour ce délit, les magistrats du TJ de Créteil, établissement pilote en la matière, ont deux consignes : célérité et fermeté.
Le 29 juillet à 8 heures du matin, un couple séparé se retrouve à Joinville-le-Pont. Il a gardé les clefs de la voiture, elle en a besoin. Mais quand l’homme apprend qu’elle en fréquente un autre, une dispute éclate, dans la voiture justement. « Il m’a frappée à coups de poings », dit-elle aux policiers. « Elle m’a mordu », se défend-il. Le médecin légiste constate pour elle sept jours d’ITT.
Plus tard, elle retire sa plainte. Ils se sont rabibochés, ils revivent ensemble, paraît-il. Mais au parquet de Créteil l’action publique ne s’éteint pas. D’autant que l’homme a un casier : il a été condamné en 2017 à 4 mois avec sursis pour violences conjugales.
Il est technicien et gagne 1 500 € par mois. Son absence à la barre ne plaide pas en sa faveur. Le banc des avocats reste désert. Le procureur réclame quatre mois ferme et la révocation du sursis.
Le couperet tombe : deux mois ferme et la révocation du sursis, six mois en tout, sans aménagement de peine. C’est ça aussi l’audience à juge unique et à défense nulle.
Référence : AJU73476