Justice : « Après les belles paroles, des actes ! »

Publié le 14/12/2021

A la veille de la grande journée de mobilisation des professionnels de justice pour défendre l’institution et réclamer qu’on lui donne les moyens de fonctionner, Me Matthieu Boissavy, vice-président de la Commission Libertés et droits de l’homme du CNB, réclame que les belles paroles prononcées par le garde des Sceaux débouchent sur des actes. Il souligne l’importance de l’union de tous les professionnels de justice sur ce sujet. 

Justice : "Après les belles paroles, des actes !"
Photo : ©beatrix kido/AdobeStock

Tribunes dans la presse, motions des assemblées générales de magistrats, lettres ouvertes des conférences des chefs de juridictions au ministre de la justice, communiqué historique de la cour de cassation, résolutions du conseil national des barreaux, de l’ordre des avocats de Paris, de la conférence des bâtonniers, des barreaux dans toute la France, communiqués des syndicats d’avocats, de magistrats, de greffiers et personnels de justice, appel à la grève de deux syndicats de magistrats, refus des magistrats de siéger en audience au-delà de 21 heures, rassemblements le 15 décembre… un tel mouvement unitaire de protestations de tous les professionnels de la justice est inédit dans notre histoire judiciaire, à tout le moins depuis le 18ème siècle.

Nous savons que l’organisation pyramidale du corps des magistrats mise en place par Napoléon à partir du modèle militaire a fortement imprégné les réformes successives de la magistrature de telle sorte que même les juges, pourtant indépendants par rapport aux procureurs, n’avaient jamais exprimé publiquement, en dehors de leurs syndicats, leurs revendications pour obtenir des conditions de travail dignes et respectueuses de leur mission. La magistrature n’a jamais jusqu’alors osé exprimer aussi ouvertement qu’aujourd’hui sa souffrance et son exaspération auprès des gouvernements successifs qui ont toujours refusé d’allouer aux juridictions les moyens pourtant nécessaires pour répondre aux besoins des justiciables.

La communication contre la réalité

Dans sa conférence de presse du lundi 13 décembre, le ministre de la Justice a pu donner l’impression d’avoir compris que ce mouvement de protestations était profond et qu’il veut y répondre de manière adéquate. D’une communication d’autosatisfaction décorrélée de la réalité, il est passé à une communication de crise laquelle a pour première étape l’expression de la compréhension du problème et de la souffrance de ceux à qui elle est destinée. Toutefois, nous restons encore dans la communication … et les graphiques de chiffres présentés à la presse par le ministre comportaient des erreurs si grossières, notamment en ce qui concerne les rapports de proportionnalité ou le nombre exact de juge professionnels et non professionnels, qu’on comprend que certains à la Chancellerie sont encore tentés de continuer à ne pas admettre la réalité.

Le Conseil national des barreaux a appelé dans sa motion de soutien du vendredi 10 décembre à ce que les chefs de juridictions, les syndicats de magistrats et de greffiers ainsi que les bâtonniers fassent un inventaire précis et chiffré, dans chaque juridiction, des ressources humaines et matérielles manquantes dont les magistrats et greffiers ont besoin pour remplir leur mission.

Le ministre semble avoir entendu partiellement cette demande puisqu’il a déclaré dans son discours du 13 décembre qu’il avait demandé au directeur des services judiciaires « d’interroger les chefs de cours pour qu’ils lui indiquent les besoins en magistrats, précis et documentés par fonction, qu’ils estiment nécessaires… ».  Notons qu’il a omis de demander aussi les besoins en greffiers et personnels de justice nécessaires, il faudra donc les lui rappeler de nouveau. Il est important que l’identification de ces besoins en ressources humaines, de même que l’inventaire des moyens matériels et informatiques manquants, ou encore des lieux de justice à rénover ou à construire, soient réalisés en collaboration avec tous les professionnels de la justice puis soit rendus publique. Le comité indépendant des États Généraux de la Justice, présidé par Jean-Marc Sauvé, devrait être également associé à ce travail d’inventaire.

Les lois de procédure dans les années à venir seront directement corrélées aux ressources qui seront affectées aux juridictions. Si elles sont insuffisantes par rapport aux besoins, nous aurons des lois de procédure qui continueront de restreindre l’accès au juge, sa disponibilité et son écoute, de supprimer la collégialité, de n’avoir que pour seul objectif un traitement quantitatif des dossiers à juger. En revanche, si les ressources sont proportionnelles aux besoins, alors les lois de procédure seront beaucoup plus respectueuses des principes du procès équitable et de l’attention que le juge doit porter à chaque justiciable.

L’union, par delà les divergences

Les avocats participeront aux rassemblements du 15 décembre avec les magistrats et les greffiers et ils sont solidaires des revendications pour l’augmentation du budget alloué aux juridictions. A vrai dire, les avocats sont heureux de voir enfin les magistrats et les greffiers, au-delà de leurs syndicats, les rejoindre dans ce combat qu’ils mènent depuis des années.

Les relations entre les avocats et les magistrats sont parfois difficiles mais nous savons qu’une des causes de ces difficultés réside dans le manque moyens alloués aux juridictions et qui a pour effet de réduire le temps des audiences et de disponibilité des magistrats. Comme le dit fort justement Jérôme Gavaudan, président du conseil national des barreaux, les avocats sont trop souvent la variable d’ajustement des magistrats dans la gestion de leurs audiences et des dossiers.

Même si nous sommes mobilisés ensemble sur la question des moyens pour la justice, il reste que nous avons des points de divergence importants, comme par exemple sur le secret professionnel qui couvre les confidences entre l’avocat et son client ainsi que les consultations juridiques de l’avocat. Certaines argumentations contre la protection de ce secret trouvent malheureusement leur source dans un courant de défiance d’une certaine magistrature à l’égard des avocats, défiance qui n’est pas justifiée ni acceptable. Nous la combattons, avec fermeté et dans un dialogue franc et constructif avec les magistrats. Nous espérons que ce dialogue portera ses fruits et que la défiance refluera.

Nous avons bien vu au Barreau de Paris que les assises des relations entre avocats, magistrats, greffiers et personnels de justice, qui se sont tenues en 2019 et en 2021, ont été utiles et ont apporté des améliorations concrètes dans nos relations interprofessionnelles à Paris. Je suis convaincu que les travaux que nous réalisons dans le cadre du Comité consultatif conjoint sur les relations entre magistrats et avocats apporteront également des propositions constructives dont on peut espérer qu’il sortira des résultats positifs.

L’union de tous les professionnels de justice pour revendiquer et voir enfin obtenir de la part de l’État les ressources humaines et matérielles nécessaires aux juridictions pour répondre aux besoins des justiciables est prioritaire et doit aussi permettre une amélioration des relations entre magistrats et avocats et du respect mutuel de nos fonctions respectives.

En tout état de cause, pour ce qui est des moyens accordés à la justice, nous attendons tous, après les belles paroles, comme en amour, des actes !

Retrouvons-nous tous ensemble le 15 décembre dans les rassemblements organisés dans les juridictions par les magistrats, les greffiers et les avocats.

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