Justice : « Dis-moi qui te défend, je te dirai si tu es innocent ou coupable » ?

Publié le 06/04/2022

Prendre un avocat célèbre est-il le signe qu’on est coupable ? Cela prouve-t-il qu’on est riche ? Pour avoir sous-entendu de telles choses lors d’un procès d’assises, un avocat général a mis en colère notre chroniqueuse Me Julia Courvoisier. C’est l’occasion pour elle de rappeler certaines règles fondamentales. 

Justice : "Dis-moi qui te défend, je te dirai si tu es innocent ou coupable" ?
Photo : ©AdobeSTock/Lusyaya

Notre ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, ancien avocat pénaliste de renom, vient d’annoncer que les audiences du quotidien pourraient désormais être filmées.

Les français, confortablement installés dans leur canapé après une rude journée de travail, vont enfin découvrir les ordinateurs qui ne fonctionnent pas, les dossiers perdus, les contrôles judiciaires maintenus pendant des mois, les retards d’audience, les délais de renvois honteux, les condamnations nocturnes…(1)

Je crains que les « gaulois réfractaires » que nous sommes ne perdent encore plus confiance en une institution en voie de clochardisation.

***

D’ailleurs, si la justice avait été filmée la semaine dernière, les Français auraient pu assister à une scène particulièrement détestable. Elle s’est déroulée dans une cour d’assises chargée de juger un jeune chilien suspecté du meurtre de sa petite amie japonaise, dont le corps n’a jamais été retrouvé. Alors que cet accusé était assisté par une avocate du Barreau de Paris, Maître Jacqueline Laffont, dont le talent est envié et admiré par beaucoup de mes confrères, l’avocat général a interpellé son client en ces termes : « dites donc Monsieur Z., vous avez les moyens de vous payer les meilleurs cabinets d’avocats, au Chili comme ici ? ».

Des propos indignes

On aurait pu s’attendre à mieux de la part d’un magistrat de ce niveau-là, mais grâce à la Justice-Réalité bientôt en prime time sur TF1, vous allez comprendre que, bien souvent, les avocats font avec ce qu’ils entendent ! Et ils entendent parfois des propos indignes.

Il est d’abord essentiel de rappeler que l’article 11-2 du règlement intérieur national de la profession d’avocat prévoit que :

« Les honoraires sont fixés selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci.

La rémunération de l’avocat est fonction, notamment, de chacun des éléments suivants conformément aux usages :

*le temps consacré à l’affaire,

*le travail de recherche,

*la nature et la difficulté de l’affaire,

*l’importance des intérêts en cause,

*l’incidence des frais et charges du cabinet auquel il appartient,

*sa notoriété, ses titres, son ancienneté, son expérience et la spécialisation dont il est titulaire,

*les avantages et le résultat obtenus au profit du client par son travail, ainsi que le service rendu à celui-ci,

*la situation de fortune du client ».

Les avocats ne font pas ce qu’ils veulent en matière de fixation des honoraires. Et les juges le savent parfaitement.

Nul besoin de préciser aussi qu’un avocat peut être cher et mauvais.

Pas cher et excellent.

Des ténors pour les coupables ?

Mais je m’interroge… Comment se fait-il qu’à l’heure actuelle, des magistrats puissent encore sous-entendre que l’identité de l’avocat de l’accusé aurait un lien avec sa culpabilité ? Parce que c’est de cela dont il s’agit.

Pourquoi croire une seule seconde que celui qui choisit un ténor du barreau est nécessairement un coupable qui veut être innocenté ?

Pourquoi ne pas penser que celui qui prend un avocat de cette trempe est au contraire innocent et ne veut pas être condamné à tort ?

Que feriez-vous, si vous étiez suspecté d’un atroce meurtre et que vous plaidiez votre innocence ? Ne feriez-vous pas tout pour essayer d’être défendu par celui qui vous pensez être le meilleur ? Ne demanderiez-vous pas à votre famille, vos amis, vos proches, de vous aider à le payer, comme c’est le cas dans l’immense majorité des cas ?

Et puis pourquoi croire nécessairement que les grands avocats n’acceptent pas d’être indemnisés par l’aide juridictionnelle si leurs clients sont sans le sou ? Cela arrive tous les jours. Et une fois encore, les magistrats le savent parfaitement.

Cette référence aux honoraires d’un avocat de la défense est indécente. Qu’elle sorte de la bouche de commentateurs de comptoir, passons. Mais qu’elle vienne d’un avocat général de cour d’assises n’est pas acceptable.

C’est d’autant plus inacceptable qu’elle ne vise jamais les avocats des parties civiles, comme si ceux-ci faisaient du bénévolat et payaient leurs charges avec de l’argent qui tombe du ciel.

Des honoraires, des charges et des impôts

Il y a quelques années, un juge des enfants m’avait fait une réflexion, au détour d’une audience : « dites donc, ça ne vous dérange pas d’être payée avec l’argent du trafic du drogue ». A ce stade-là, ma cliente était encore censée bénéficier de la présomption d’innocence, de sorte que je n’avais pas apprécié cette petite réflexion déplacée.

Sachant que lorsqu’un avocat encaisse 120 euros, il reverse :

*20 euros de TVA,

*environ 60 euros de charges et cotisations (cela dépend des barreaux) : URSSAF, cotisations ordinales, assurances obligatoires, retraite.

Sur les 40 euros qui reste, et comme tous les contribuables, il paye son impôt sur le revenu, sa taxe d’habitation (qui n’a pas été supprimée totalement) et sa taxe foncière s’il a eu la chance de pouvoir acheter son logement. L’ensemble de ces taxes, impôts et cotisations sert, notamment, à payer les rémunérations de nos magistrats.

C’est donc ce que j’avais indiqué à ce juge des enfants qui s’en était excusé.

Et c’était bien le minimum.

Espérons que ce genre d’indignité cesse.

 

(1) Actu-Juridique rend compte régulièrement des difficultés de moyens auxquelles est confrontée la justice au quotidien. Pour consulter nos articles, c’est par ici.

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