La présomption d’innocence, si connue, si maltraitée
Pas un jour ne se passe sans que le mot « présumé » ne fleurisse dans les articles de presse consacrés à des affaires judiciaires. Hélas, toujours à contresens. Dominique Coujard, magistrat honoraire, explique pourquoi on n’écrit pas « auteur présumé » et propose d’autres formules, juridiquement correctes.
Si chacun sait que la présomption d’innocence est le principe cardinal qui commande la procédure pénale française, moins nombreux sont ceux qui en connaissent les sources :
– Tout d’abord, l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 énonce que « tout homme [est] présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ».
– Il est repris par l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU (1948) : « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées. »
– Le principe figure à l’article préliminaire du code de procédure pénale qui dispose que « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie ».
– Le code civil, lui-même, rappelle en son article 9-1 : « Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence ».
– Et, indirectement, l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 met ainsi en garde : « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ».
Une présomption quotidiennement foulée aux pieds
Malgré ce bouclier législatif apparemment infranchissable, il ne se passe pas un jour sans que cette présomption ne soit foulée aux pieds dans l’indifférence générale, même par la presse spécialisée. On ne compte plus les formulations telles que : « l’auteur présumé », « le violeur présumé », « le terroriste présumé », « la fraude présumée » etc., alors qu’aucune décision de justice n’a été rendue. Comment expliquer cette manie invraisemblable et pourtant si répandue ?
Il est à peu près certain que ces énormités sont, le plus souvent, utilisées sans trop réfléchir, comme une précaution de style, par des rédacteurs qui croient bien faire en utilisant le mot « présumé » pour exprimer le fait que la personne concernée par la dépêche, en général identifiée ou arrêtée, n’est pas encore déclarée coupable par une décision judiciaire définitive.
Ce faisant, ce qu’ils écrivent produit l’effet radicalement inverse de celui qu’ils escomptent. En effet, si l’auteur est présumé ( coupable ?), il n’y a plus de présomption d’innocence. Si l’affaire de fraude est présumée, toute personne interpellée voit sa présomption d’innocence pour le moins mise à mal etc…
Ni « auteur présumé », ni « victime présumée »
Et ce n’est pas tout. Les plus méfiants qui ont rayé de leur vocabulaire ces notions d’auteur présumé, se croient parfois autorisés à évoquer des « victimes présumées ». Et bien non, pas davantage ! Car si la victime est présumée, cela insinue bien souvent que la personne mise en cause est présumée coupable.
Il existait, jadis, une expression, révolue, celle de « témoin numéro un » qui équivalait à la notion plus actuelle de « principal suspect ». Pourquoi l’a-t-on supprimée du vocabulaire ? Mystère.
Il est d’ailleurs piquant de noter qu’une personne définitivement condamnée n’est pas davantage présumée coupable : elle est coupable, tout simplement.
La bonne formule est…
Alors s’il m’était permis de donner un conseil aux journalistes en matière d’affaires de police et de justice, je leur dirais : bannissez de vos écrits le mot présumé ! Il est utilisé à contresens dans 100 % des cas.
La langue française est suffisamment riche et ceux qui font profession d’écrire n’auront aucun mal à utiliser des formules adéquates.
Formules à bannir Formules correctes
Présumé violeur Principal suspect
Assassin présumé Auteur désigné/Personne soupçonnée
Victime présumée Victime alléguée/Plaignant
Meurtre présumé Affaire de meurtre
Rien n’est plus pénible qu’un pinaillage excessif sur les mots, mais ici, l’enjeu est de taille.
Alors que fleurissent des accusations trop souvent interprétées comme des preuves de culpabilité.
Alors que beaucoup ont du mal à distinguer la réalité d’un phénomène social comme la libération de la parole des femmes dénonçant les agressions sexuelles qu’elles subissent, de la culpabilité effective d’une personne dénoncée, l’exactitude des termes employés est un enjeu vital.
Il n’existe dans ce contexte qu’un seul usage de présumé qui soit juridiquement exact : présumé innocent.
Référence : AJU64905