Le procès historique, la visio et l’accusé malade

Publié le 21/11/2020

La colère monte chez les professionnels de la justice suite à l’ordonnance du 18 novembre autorisant la visioconférence aux assises en raison de la crise sanitaire. Jeudi soir, le président de la Cour d’assises spéciale en charge du procès dit des  « attentats de janvier 2015 » a annoncé sa décision de reprendre les débats lundi 23 novembre malgré l’absence du principal accusé en application de la nouvelle ordonnance. La décision suscite un tollé chez les avocats. 

Le procès historique, la visio et l’accusé malade
Photo : AdobeStock/Mongkolchon

On dit que l’ordonnance du 18 novembre adaptant la procédure pénale à la crise sanitaire aurait été en partie inspirée par la volonté de trouver une solution dans le procès des attentats de janvier 2015.

Celui-ci est en effet paralysé depuis trois semaines en raison du fait que plusieurs accusés ont été testés positif au covid-19 et surtout que l’un d’entre eux, saisi notamment de vomissements, n’est pas en état d’assister à l’audience.

L’article 2 de l’ordonnance du 18 novembre prévoit justement l’extension du recours à la visioconférence aux procédures de jugement sans le consentement de la personne jugée (c’est la première nouveauté), y compris devant les assises (deuxième nouveauté) dès lors que la fin de l’instruction à l’audience est terminée. Ce qui est exactement le cas du procès des attentats de janvier 2015.

Certes,  les circonstances sont exceptionnelles et la mesure prendra fin à la date du 16 mars, soit un mois après l’expiration de l’état d’urgence. Mais à y regarder de plus près, force est de s’interroger.

Jusqu’ici le recours à la visioconférence visait à économiser des frais d’escortes ou encore à pallier l’insuffisance de celles-ci. En clair, on fait comparaitre les personnes depuis leur lieu de détention pour s’épargner des déplacements de personnel. Ce n’est pas satisfaisant, mais on peut comprendre, d’ailleurs certains prévenus en détention parfois préfèrent cette solution qui leurs épargne pour une simple audience de procédure devant un juge d’instruction une longue et contraignante procédure d’extraction. Avec la crise sanitaire, on a trouvé une seconde raison : éviter les contacts physiques.  C’est là encore compréhensible. Sans pour autant être admissible, tant il est vrai que le fait de rencontrer physiquement celui qui va vous juger et éventuellement vous maintenir en détention ou vous condamner semble relever tant de la garantie fondamentale dans un état qui se dit « de droit », que du minimum d’humanité que l’on doit attendre de la justice pénale. Seul le consentement de l’intéressé rend la mesure acceptable, soutiennent avec raison les avocats.

Mais ici le scénario est encore différent. Il s’agit de poursuivre un procès d’assises alors que l’un des accusés n’est pas dans un état de santé lui permettant d’y assister. Alors de deux choses l’une. Soit il peut venir, et dans ce cas il doit être présent. Soit son état de santé lui interdit de se déplacer – en l’espèce on parle de vomissements – et  on ne comprend pas comment un individu malade pourrait assister dans des conditions acceptables à son procès d’assises, fut-ce au travers d’un écran. La cour d’assises spéciale examinera cette question lundi. Sa réponse vaudra pour cet accusé dans ce procès. Et peut-être qu’un arrangement sera considéré comme possible au vu de l’état de l’intéressé. Mais cela ne résoudra pas la question nouvelle et vertigineuse  que soulève le texte : entend-on vraiment se réserver la possibilité de juger des malades derrière des écrans ? 

 

Texte du message adressé jeudi 19 novembre aux avocats des parties par le président de la cour d’assises spéciale et transmis officiellement à la presse

« Lundi 16 novembre, j’ai  porté à la connaissance des parties que le procès était suspendu jusqu’au vendredi 20 novembre inclus dans l’attente de nouveaux éléments médicaux concernant l’accusé Ali Reza  POLAT.

 Ce jour, ce dernier  a été examiné en exécution d’une ordonnance d’expertise en date du 17 novembre 2020.

 Il résulte des conclusions de ce rapport  que l’état de santé de l’intéressé n’est, à ce jour, pas compatible avec une comparution physique à l’audience mais que sa participation par visio-conférence est toutefois possible.

 Dans ces conditions, j’envisage  de  faire application de l’article 2 de l’Ordonnance n°2020-1401 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière pénale, autorisant le recours « à  un  moyen  de  télécommunication  audiovisuelle devant l’ensemble des juridictions pénales (…) sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord des parties », étant précisé que l’instruction à l’audience mentionnée à l’article 346 du code de procédure pénale est terminée.

 Cette modalité de comparution ne concerne que le seul accusé Ali Reza POLAT.

 En conséquence, les audiences reprendront lundi 23 novembre à 9h30. »