Les délais de jugement insupportables du tribunal de Soissons
Alors que le garde des sceaux a annoncé cette semaine le recrutement de 1000 personnes pour accélérer les délais de jugement, l’état du tribunal de Soissons illustre les difficultés auxquelles sont confrontés les juridictions faute de moyens .
Rien ne va plus au Tribunal de Soissons ! Le poste de vice-président est vacant depuis septembre 2017. Mais le problème majeur se trouve aux affaires familiales. La juge, dont c’est le premier poste à la sortie de l’ENM, a prononcé 238 décisions depuis le 1er janvier, ce qui est tout à fait honorable ; le problème c’est que 188 de ces décisions sont encore bloquées au greffe en attente de frappe. Explication ? Il manque 8 greffiers sur un effectif total de 16. Trois postes sont non pourvus, deux greffiers sont en congés maternité, un greffier est en congés avant de partir en retraite et deux autres en arrêts maladie. Le nouveau chef de greffe a par ailleurs décidé de réorganiser les services, ce qui ralentit provisoirement leur fonctionnement. Comme si ça ne suffisait pas, la juge aux affaires familiales doit gérer une incompatibilité entre le logiciel dont elle a besoin pour rédiger ses jugements et le système informatique du tribunal de Soissons. Les informaticiens, appelés à la rescousse, ne sont pas parvenus à régler le problème, ce qui engendre beaucoup de temps perdu à la relecture pour corriger les décalages et inversions de paragraphe. C’est aussi cette magistrate qui doit compléter les formations correctionnelles et traiter également la moitié des dossiers de son collègue de la protection, absent depuis plusieurs mois.
Des décisions anti-datées
Du fait du retard lié à la frappe, les décisions sont « anti-datées ». Le greffe inscrit la date du prononcé, laquelle est antérieure de deux mois à celle de la notification. « Cela nous pose des problèmes avec nos clients qui nous demandent pourquoi on leur communique en avril une décision datée de février, confie le bâtonnier. D’un point de vue procédural, ça pose une difficulté de point de départ du délai de recours dans les matières où ce délai part du jour du prononcé. Et c’est compliqué aussi quand le jugement accorde une pension alimentaire ». Mais il y a pire. Que ce soit devant le JAF ou dans les autres contentieux civils, les délais à Soissons explosent toutes les statistiques. « Entre le moment où l’on plaide et celui où l’on obtient le jugement, il faut compter 24 mois » confie le bâtonnier. Le référé n’est plus une procédure d’urgence depuis longtemps. Il faut trois mois à partir de la plaidoirie pour obtenir une décision sur l’extension d’une expertise judiciaire à une nouvelle partie et deux mois pour une simple requête en rectification d’erreur matérielle !
Un juge et un greffier placés appelés à la rescousse
Heureusement, le coup de gueule du bâtonnier qui a alerté la presse sur la situation de son tribunal mi-avril, n’a pas été totalement inutile. Un juge placé arrivera le 10 mai pour faire la jonction entre la JAF qui part rejoindre sa nouvelle affectation et son successeur qui la remplacera en septembre. L’autre « bonne nouvelle » c’est l’arrivée d’un greffier placé et sans doute de quelques contractuels sur les mille embauches annoncées récemment par le garde des sceaux pour réduire les délais de jugement. « Les assistants temporaires seraient vraiment intéressants si on leur offrait ensuite une possibilité d’intégration, mais en l’état, on a juste le temps de les former et leur contrat se termine » regrette le bâtonnier. « Enfin, c’est mieux que rien, soupire-t-il. Nous n’avons plus personne affecté au SAUJ (NDLR : service d’accueil unique du justiciable), ce qui oblige les greffiers à assurer l’accueil des justiciables à tour de rôle et les empêche de faire leur travail. Si on peut y affecter un vacataire ça les soulagera ». Au passage Xavier Lefevre s’irrite. « On nous dit que tous ces retards sont consécutifs à la grève des avocats, mais nous à cette époque là, on faisait avancer nos dossiers. En revanche, on n’a pas vu beaucoup de jugements sortir ». Pour l’heure, avocats et magistrats se concentrent sur le futur grand événement : début juillet, une cérémonie aura lieu à la sous-préfecture de Château-Thierry pour valoriser les audiences foraines initiées depuis janvier 2021 dans cette ville. Une manière de trouver un regain d’énergie.
Il faut arrêter de dire que la justice est un coût !
« Magistrats et greffiers ne sont pas en cause, c’est le manque de moyens qui nous met en difficultés. Il faut arrêter de dire que la justice est un coût. Elle est au contraire une richesse pour l’économie. Quand un salarié attend deux ans que les prud’hommes reconnaissent qu’il a fait l’objet d’un licenciement abusif, il vit mal, il est privé de ses indemnités et donc de son pouvoir d’achat et quand il obtient enfin justice, la société souvent a fait faillite et c’est l’état qui paie en application de la garantie des salaires ». Cette richesse, souligne Xavier Lefevre, il y a un acteur qui en a pris toute la mesure, c’est le secteur de l’assurance avec le développement des contrats de protection juridique. «Alors arrêtons de dire qu’il faut réduire les coûts de la justice, une juridiction, des avocats, ce sont des créateurs de richesse ». A bon entendeur…
Référence : AJU215579