Procès Dupond-Moretti : La défense dénonce la volonté des magistrats de pousser le ministre à démissionner
Durant trois ans, Éric Dupond-Moretti « a laissé attaquer le justiciable qu’il était pour que le ministre puisse faire son travail ». Le jour des plaidoiries, la défense s’est enfin exprimée. Au terme de 4 h 30 de plaidoirie, il ne restait plus grand-chose de l’accusation de prise illégale d’intérêts.
Au dernier jour du procès, jeudi 16 novembre, dans une plaidoirie aussi dense qu’implacable, Me Rémi Lorrain a démonté pièce par pièce l’accusation de prise illégale d’intérêts à l’encontre du ministre Éric Dupond-Moretti en démontrant sa totale artificialité. De son côté, Me Jacqueline Laffont a dénoncé, derrière cette accusation, la volonté de pousser le ministre à la démission. Habituellement, et les avocats s’en plaignent assez, le jour où la défense s’exprime est déserté. Mais dans ce procès hors normes, on se bouscule. Peut-être dans l’espoir de saisir les derniers mots du ministre. Autant lever le suspense tout de suite, il ne se prêtera pas au spectacle. Avec raison : en tant qu’avocat, il sait mieux que personne qu’on ne parle pas après ses défenseurs. Surtout quand on est un prévenu au verbe haut que tout le monde attend au tournant pour lui reprocher une énième fois son caractère emporté.
La veille, le parquet a peint le portrait d’un ministre mal conseillé et mal protégé qui s’est laissé aller à la tentation de la vengeance à l’encontre de magistrats qui lui avaient déplu lorsqu’il était encore avocat (lire notre article ici). La prise illégale d’intérêt est constituée, expliquait-on, par le seul fait d’avoir décidé deux enquêtes administratives contre ces quatre magistrats avec lesquels il avait eu maille à partir dans sa précédente vie. Infraction quasiment automatique : il a pris une décision, contre des gens qu’il n’aimait pas, il est coupable. Mais ne condamnez pas trop, il a des circonstances atténuantes, avait ajouté le procureur général Rémy Heitz, à la surprise générale, pour finalement requérir un an de prison avec sursis (5 ans encourus). De ces peines qu’on prononce dans le doute au lieu de relaxer, comme si une petite peine contre un innocent était moins injuste qu’une grosse.
« Les journalistes étaient informés en direct »
Et si la vengeance n’était pas du côté qu’on croit ? Depuis trois ans, rappelle Me Rémi Lorrain qui s’est avancé à la barre pour plaider comme l’avait fait la veille Rémy Heitz pour requérir, « tout le monde a communiqué sauf la défense (…) contrairement aux avocats et syndicats nous avons toujours refusé de répondre à une quelconque interview. La justice ne se rend ni dans la rue, ni sur les réseaux sociaux, ni dans les médias ». Et l’avocat de rappeler le mot de son client qui « a laissé attaquer le justiciable qu’il était pour que le ministre puisse faire son travail ». Il cite la campagne de presse dont la fameuse tribune du procureur général François Molins et de la première présidente de la Cour de cassation Chantal Arens dans Le Monde le 29 septembre 2020 dénonçant la nomination d’une avocate à la tête de l’ENM et le conflit d’intérêts dans l’affaire du PNF, puis les nombreux communiqués sur lesquels reviendra Me Laffont. « Si à chaque communiqué c’était un immeuble, EDM serait enseveli sous un quartier entier ». Quelques jours auparavant, François Molins a donné un avis sur cette procédure à Véronique Malbec, la directrice de cabinet, en se gardant d’évoquer ses inquiétudes. Il y a eu aussi les multiples violations du secret de l’instruction qui, dans une cour où l’on ne peut pas être partie civile, ne peuvent venir que de l’accusation ou de la défense… Il cite encore la perquisition au ministère de la Justice annoncée la veille dans le Canard enchaîné, les dix journalistes présents le jour J, avant même que les avocats d’Éric Dupond-Moretti n’aient le temps d’arriver. La perquisition dure 14 heures, on passe deux heures à ouvrir à un coffre dont la clef était égarée depuis longtemps (sans rien trouver), mais on ne fouille pas le tiroir du bureau, on siphonne tous les mails et où on saisit même un billet pour un concert de Céline Dion, tant on ignore ce que l’on cherche. Rémi Lorrain pointe encore ces procès-verbaux d’audition communiqués à la presse en deux jours quand la défense attendra plus d’un mois (audition de Mme Davault). « Les journalistes étaient informés en direct des actes à venir et du contenu des actes réalisés » dénonce l’avocat. Les plaintes déposées à ce sujet resteront sans suite. Depuis le début du procès, on constate que la justice s’accorde des privilèges exorbitants quand elle se croit dans son bon droit. L’affaire a été si médiatisée que près d’un tiers du dossier d’instruction est composé d’articles de presse. Voilà pour le climat.
Quand le parquet invente le « pantouflage à l’envers »
Mais le plus important c’est le droit et la distinction à faire entre la définition très large du conflit d’intérêts dans un but préventif d’une part, et celle du délit, forcément d’interprétation stricte, d’autre part. Or, rappelle l’avocat, « l’intérêt privé doit compromettre l’intérêt public en raison d’une recherche concomitante de profit personnel ». Guy Carcassonne avait mis en garde contre « un délit susceptible de devenir stalinien ». On n’en est pas loin, estime Me Lorrain. Il y a deux types de situations, lorsque l’agent public est en poste et lorsqu’il rejoint le privé (pantouflage). « Hier le procureur général a donc inventé une troisième catégorie : le pantouflage à l’envers, vous venez du privé vous ne pouvez pas rejoindre le public ». Plus précisément, on ne peut pas accéder au public quand on est un avocat pénaliste qui a fait usage de sa liberté d’expression. Car c’est bien cette liberté d’expression qui est utilisée comme élément constitutif de l’infraction.
« Cinquante personnes qui ont de hautes fonctions convoquées pour discuter de l’applicabilité de la notion de cow-boy à un juge d’instruction »
L’intérêt poursuivi peut être purement moral, a soutenu la veille le parquet. Jamais, rétorque Rémi Lorrain, c’est même le contraire « sinon il conviendrait d’engager immédiatement des poursuites contre tout le monde ». La jurisprudence citée par l’accusation est un arrêt d’appel qui a précisément été cassé, parce que l’intérêt moral est toujours rattaché à un intérêt économique. Mais au fond peu importe car on arrive au cœur de la défense : il n’y avait aucun intérêt, de quelque nature que ce soit. Pour l’accusation, celui-ci reposerait sur les déclarations du ministre et sur ses plaintes. S’agissant du juge Levrault, on lui reproche de l’avoir traité de cow-boy. « C’est qualifié de « charge très violente » par le procureur général. On en est là ! Je ne sais pas si vous imaginez ce qu’on est en train de vivre : vingt-quatre parlementaires, vingt et un témoins, dont un ancien Premier ministre et un ancien garde des Sceaux… cinquante personnes qui ont de hautes fonctions convoquées pour discuter de l’applicabilité de la notion de cow-boy à un juge d’instruction et savoir si ça peut constituer un intérêt » s’emporte l’avocat. En réalité, il a dit dans Monaco Matin « un juge d’instruction ne doit pas être un cow-boy ». Au demeurant, rappelle Rémi Lorrain, les exemples abondent de juges d’instruction qualifiés de « cow-boy » par la presse, voire par eux-mêmes : Marc Trevidic « je suis un cow-boy », Jean-Louis Bruguière portraituré par Le Monde « il est un cow-boy ».
C’est Ariane Amson qui est à l’origine des fadettes
S’agissant du PNF, on ne trouve aucun propos d’Éric Dupond-Moretti contre les trois magistrats mis en cause. C’est la preuve pour l’avocat général Lagauche qu’ils étaient bien visés « il a fait exprès de ne pas commettre d’infraction, c’est donc qu’il en a commis ! » ironise la défense. Dans l’interview accordée au Parisien, il dénonce des méthodes de « basse police » ou encore de « barbouzes », les magistrats ne sont pas visés. Quant à l’illégalité de la procédure, elle est réelle, au point que « Le 14 octobre 2020, l’ordre de Paris a voté à l’unanimité de mandater Henri Leclerc pour agir contre l’État pour faute lourde sur les fadettes ». Mais surtout, s’il s’agit de se venger contre le PNF pourquoi s’en prendre à ceux qui n’y sont pour rien ? C’est Ariane Amson qui a ouvert cette enquête, or elle n’est à aucun moment concernée, pas même par les discussions dans les services d’Éric Dupond-Moretti. Patrice Amar ne comprend pas non plus, « c’est moi qui aie conclu qu’Éric Dupond-Moretti ne pouvait pas être la taupe, je cherche encore les raisons pour lesquelles il pourrait m’en vouloir », rapporte l’avocat. « Mais peut-être tout simplement parce que Éric Dupond-Moretti ne s’est pas vengé, c’est pour ça que personne ne comprend rien ! » avance Me Lorrain. Surtout que l’objet de l’enquête n’est pas de contester cet examen des fadettes, mais de savoir pourquoi les magistrats sont restés inactifs trois ans. Il n’y a donc pas de lien entre les déclarations du ministre quand il était encore avocat et les enquêtes administratives.
Alors faut-il aller chercher du côté des plaintes ? Rémi Lorrain poursuit son travail de déconstruction de l’accusation. Dans l’affaire des fadettes, la plainte contre X ne vise aucun magistrat. Éric Dupond-Moretti la retire le jour de sa nomination. : c’était un combat d’avocat, il ne l’est plus. Dans l’affaire Levrault, le policier à l’origine de la plainte, Christophe Haget en a déjà déposé une lors d’un premier documentaire sur la justice monégasque contre le journaliste et un avocat du barreau de Monaco. Les deux ont été mis en examen. Le juge Levrault dira à l’époque qu’il s’est ému de cette émission. Ce qui ne l’empêche pas, lorsque le journaliste veut réaliser un deuxième volet, d’accepter d’être interviewé sur le conseil de Céline Parisot, présidente de l’USM. Ainsi nait le deuxième volet : « Scandale à Monaco, les révélations d’un juge ». Christophe Haget dépose une nouvelle plainte, cette fois contre le journaliste et le magistrat. Il a deux avocats dont Éric Dupond-Moretti qui sera son conseil pendant…24 jours ! Il aurait noué un lien si fort qu’il aurait voulu le venger, s’amuse Rémi Lorrain, on ne le saura jamais, le policier n’a pas été auditionné. Le réquisitoire fait état quant à lui d’un client russe. En réalité, plaide Rémi Lorrain, Éric Dupond-Moretti n’a jamais défendu cet homme à Monaco, mais sa fille, jusqu’en 2016 à Paris.
« C’est acquitator son surnom, pas relaxator ! »
`S’agissant du PNF, l’accusation pense aussi qu’Éric Dupond-Moretti aurait voulu protéger son ami Thierry Herzog dont le procès dans l’affaire Bismuth était programmé pour le mois de novembre suivant. « Mais Eliane Houlette est à la retraite, et les autres magistrats ont été dessaisis. C’est une curieuse vengeance que de se venger contre les mauvaises personnes, il a dû le faire exprès. Parce que ce n’était pas eux » tacle Rémi Lorrain. On dit encore que l’ancien avocat aurait eu une dent contre le PNF, « il a excellé 36 ans aux assises, c’est acquitator son surnom, pas relaxator, on nous désigne le seul parquet qui n’a pas de compétences criminelles ! » corrige l’avocat.
Si personne n’est d’accord sur la raison pour laquelle il se serait vengé, c’est peut-être parce qu’il ne s’est pas vengé mais qu’il a suivi ses services. Les seuls règlements de compte dans ce dossier, c’est entre magistrats, souligne avec cruauté la défense. Paul Amar qui fait un signalement article 40 contre sa chef Eliane Houlette, Ulrika Delaunay-Weiss qui est harcelée par la patronne du PNF, laquelle se plaint publiquement devant une commission d’enquête de l’Assemblée nationale des pressions de sa supérieure, la procureure Catherine Champrenault dans l’affaire Fillon… « Il ne faisait pas bon être justiciable au PNF à cette époque » commente Remi Lorrain. Il suggère ce que tout le monde pense de cette affaire depuis le début de ce procès : si problème il y a, c’est dans la magistrature.
À propos des syndicats de magistrats : « ils demandent, on refuse, ils accusent »
Dès le 15 juillet alors qu’il a pris ses fonctions le 7, Véronique Malbec, sa directrice de cabinet, la seule qui n’a pas cédé aux injonctions de François Molins de se tenir à distance de ce garde des Sceaux, fait le point sur le règlement de son ancienne vie, le cabinet a changé de nom, l’avocat est substitué dans tous ses dossiers, sa société professionnelle est dissoute. Le cabinet Badinter avait gardé son nom, rappelle Rémi Lorrain. Mieux, devenu ministre, l’ancien avocat avait saisi personnellement la Cour de cassation d’une requête en révision dans un de ses dossiers, celui de Guy Mauvillain. « Heureusement que ne sévissaient pas à l’époque François Molins ou Rémy Heitz malmenant le conflit d’intérêts, on aurait raté un grand ministre de la justice ! » tacle l’avocat. La déclaration à la HATVP (Haute autorité de transparence de la vie publique) est faite avec deux semaines d’avance sur l’échéance, la question des remontées d’informations résolue : il n’y en aura pas dans les dossiers qu’a pu traiter l’ancien avocat. « Éric Dupond-Moretti n’est ni dans le déni, ni dans le délit, assène Rémi Lorrain. Tout est traité et il ne commet pas l’infraction demandée par les syndicats (NDLR : interrompre l’enquête administrative visant les magistrats du PNF) et c’est ce refus qui met le feu aux poudres, ils vont appliquer leur mode de fonctionnement habituel : ils demandent, on leur refuse, ils accusent et médiatisent ». Quand Nicole Belloubet déclenche l’enquête de fonctionnement relative au PNF le 1er juillet, à la suite des révélations du Point sur les fadettes, les syndicats invoquent déjà le conflit d’intérêts, contre son directeur de cabinet, et réclament l’interruption de la procédure. Quand le Conseil d’État leur répond que l’enquête administrative ne fait pas grief, ils l’accusent de partialité. Quand le commissaire européen à la justice ne répond pas à leur lettre dénonçant Éric Dupond-Moretti, ils écrivent à la présidente de la Commission européenne pour demander une réattribution de l’affaire à un autre commissaire, au motif que celui-ci a été décoré des années auparavant par Nicolas Sarkozy. Quand Jean Castex, alors Premier ministre, saisit le CSM en vertu du décret de déport, les syndicats rappellent qu’il a été secrétaire général adjoint de l’Élysée en 2012… sous Sarkozy. « Ce sont les syndicats qui ne respectent pas l’indépendance de la justice, Éric Dupond-Moretti aurait-il dû commettre une infraction pour ne pas être poursuivi ? Il y a une telle inversion de tout dans ce dossier ! ». L’avocat poursuit sur sa lancée et s’attaque au Syndicat de la magistrature : « On est passé du mur des cons au mur des conflits d’intérêts, avant ils épinglaient les photos de ceux qui leur déplaisaient, maintenant ils veulent leur tête, le délit de grande gueule a remplacé le délit de sale gueule. Pendant qu’ils demandaient de commettre des actes illégaux, ils contestaient la légalité d’actes légaux ».
Un « conflit de désintérêt » ?
Il est temps d’achever de pulvériser l’accusation. Non seulement le garde des Sceaux n’avait aucun intérêt fut-il seulement moral dans ces affaires (et ça n’aurait pas suffi), mais il n’est pas intervenu du tout dans leur traitement, autrement que pour suivre les avis techniques indépendants de son administration centrale. Laquelle, comprend-on, a parfaitement joué son rôle technique et n’avait pas à gérer la question politique des risques de conflits d’intérêts. Les dossiers ont été ouverts à l’époque de Nicole Belloubet, l’administration centrale a poursuivi le travail sous le nouveau garde des Sceaux, le ministre n’est pas intervenu, les avis ont été rendus en toute indépendance sur un terrain purement technique. Aucune consigne, aucune interaction n’est intervenue. Surtout, quand la directrice de cabinet Véronique Malbec appelle son « ami » François Molins pour avoir son avis sur les suites à donner au dossier PNF, le 15 au soir, celui-ci étudie le rapport, et lui répond le lendemain matin qu’une saisine du CSM n’est pas possible en l’état et qu’il faut donc opter pour l’enquête administrative. Lors de son témoignage, il a indiqué avoir retrouvé un mail de Jean-Paul Sudre, avocat général à la Cour de cassation, dont il avait sollicité l’avis, lequel après étude du dossier évoquait de possibles manques de loyauté et de rigueur des magistrats concernés. « L’accusation a retenu trois ans un élément à décharge dans sa boîte mail, c’est abject » s’emporte l’avocat. Dans ce même mail, le magistrat mettait en garde contre une possible instrumentalisation du Conseil et préconisait une enquête administrative pour ne pas, en quelque sorte, devoir récupérer la patate chaude.
Au terme de deux heures et demie d’une plaidoirie développée avec un indéniable talent de persuasion et sans aucun temps mort, Me Lorrain conclut : « C’est un conflit de désintérêt, n’en déplaise aux magistrats concernés, ils n’intéressaient pas le ministre. Ces poursuites n’ont aucun sens, vous relaxerez Monsieur le ministre ».
« Qui peut oser dire qu’on n’a pas voulu saper son action de ministre ? »
« Pas d’intérêt, pas de prise illégale d’intérêts » résume Me Jacqueline Laffont au retour de la suspension d’audience, avant de s’attaquer à la dimension politique du dossier. « Qui peut oser soutenir qu’il n’y avait pas une volonté de faire démissionner Éric Dupond-Moretti ? ». Elle rappelle la réaction de Céline Parisot, à l’annonce de la nomination du nouveau ministre : « c’est une déclaration de guerre à la magistrature » et poursuit « cette guerre fut déclarée et menée », pas par le ministre, mais par les magistrats. La défense en veut pour preuve le timing de l’accusation dans cette procédure : lorsque le 29 septembre François Molins publie sa tribune dans Le Monde, Éric Dupond-Moretti présente son premier budget. Le 17 décembre 2020, le jeune ministre annonce son plan de justice de proximité, c’est le jour que choisissent les deux présidentes de syndicat, Céline Parisot et Katia Dubreuil (SM), pour annoncer leur dépôt de plainte. Trois jours avant la rentrée solennelle de la Cour de cassation, dont l’invité est Éric Dupond-Moretti, François Molins annonce l’ouverture d’une information judiciaire pour prise illégale d’intérêts. Puis deux jours après, soit le 13 janvier, il publie un second communiqué pour annoncer que l’information est ouverte. Le réquisitoire intervient le 9 mai 2021 en plein milieu du remaniement ministériel. « Qui peut oser dire qu’on n’a pas voulu saper son action de ministre ? » questionne l’avocate.
« N’importe quel autre ministre aurait pris la même décision »
Rémi Lorrain a démontré que l’intérêt personnel que l’on prêtait au ministre dans ces deux affaires était une construction artificielle dénuée de fondement. Jacqueline Laffont quant à elle souligne que les décisions prises étaient légitimes et nécessaires. S’agissant du PNF, le patron de l’inspection, Jean-François Beynel lui-même, a expliqué à la barre que les dysfonctionnements étaient « lourds et graves ». Il fallait donc réagir. Du conseiller justice de l’Élysée aux services techniques de la Chancellerie, en passant par le directeur de cabinet Paul Hubert « toutes les personnes entendues sont venues vous dire que n’importe quel autre ministre aurait pris la même décision, tout le monde pense la même chose sauf l’accusation ». Concernant l’épisode du 15 septembre 2020 à l’Élysée, la défense a une hypothèse : l’idée consiste à démontrer que le ministre a réagi avant ses services, ce qui prouverait ses intentions malveillantes. Dans un premier temps, des témoins murmurent à l’oreille de Mediapart que le ministre a annoncé ce jour-là une enquête administrative. Mais on apprend que son tout nouveau directeur de cabinet lui a livré cette première analyse avant cette réunion et dans l’attente du retour de ses services en charge du dossier. Alors on change de version et on affirme qu’il a parlé d’une saisine du Conseil supérieur de la magistrature. En toute hypothèse, il doit être jugé sur les actes et non sur ce qu’il a dit, rappelle l’avocate.
Un délit « qui fait froid dans le dos »
On pensait à l’issue du réquisitoire qu’il avait été mal conseillé et mal protégé, la défense démontre qu’il n’en est rien : tous les risques avaient été traités, les alertes avaient trouvé une réponse et les décisions prises n’étaient que la validation d’avis techniques indépendants. « L’idée de ne rien faire n’a jamais effleuré personne » souligne Jacqueline Laffont. En clair, il n’y a de problème dans ce dossier qu’aux yeux de ceux qui voulaient se débarrasser du ministre. Il est temps de conclure. Toute cette affaire n’a qu’un objectif : faire démissionner un ministre qui a déplu dans l’exercice de son métier et qui a eu, une fois nommé, le mauvais goût de ne pas céder aux injonctions des syndicats. « Une condamnation la plus basse possible suffirait à entrainer la démission recherchée », prévient Jacqueline Laffont. La voilà au cœur absolu de cette affaire qui dépasse de loin le sort d’Éric Dupond-Moretti « ll n’en va pas seulement de l’honneur d’un homme, de l’avenir d’un ministre, mais de l’équilibre des pouvoirs. Il faut faire en sorte que le pouvoir arrête le pouvoir, la Cour de justice de la République incarne ce pouvoir de régulation ». Et l’avocate de poursuivre « vous allez prendre sans doute la plus importante décision de l’histoire de votre cour et c’est pour cela qu’on essaie de vous forcer la main, vous êtes chaque jour prévenu qu’une relaxe ne pourrait être qu’une allégeance, l’espace médiatique est saturé de cette idée. Je vous demande de le relaxer, parce qu’il est injustement poursuivi pour un délit qui n’existe pas et qui fait froid dans le dos ».
Il est 14 heures. Le président Pauthe demande au ministre si celui-ci veut prononcer le traditionnel dernier mot. Éric Dupond-Moretti se lève, s’approche de la barre : « Je n’ai rien à ajouter Monsieur le Président ».
La décision sera rendue le 29 novembre à 15 heures, dans la première chambre de la cour d’appel de Paris.
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Référence : AJU402374