Question de rhétorique : l’avocat, ni supplétif, ni auxiliaire du juge !
L’avocat n’est pas le supplétif du juge. Tout au plus un auxiliaire, et encore, le terme est-il contesté par une partie de la profession. Ce débat, remis à l’ordre du jour par l’affaire Cohen-Sabban Nogueras, s’appuie sur des concepts issus du vocabulaire militaire. Les explications de Me François Martineau, auteur du Petit traité d’argumentation judiciaire et de plaidoirie (Dalloz 2021).
La communication contemporaine emprunte de plus en plus ses commodités de langage aux univers les plus variés.
Au monde sportif, par exemple : on tacle désormais son adversaire plutôt qu’on ne le réfute, on perd une manche, on l’on est hors-jeu dans le combat politique. Il est vrai que trop souvent les parlementaires adoptent pour s’exprimer le langage des terrains de football ou des vestiaires.
L’avocat n’est pas une « conscience de louage »
Au monde militaire, parfois. À l’occasion du récent procès intenté à deux confrères, Joseph Cohen-Sabban et Xavier Nogueras, pour avoir communiqué aux juges un document qu’ils ignoraient être un faux, il a été affirmé que l’avocat, s’il est auxiliaire de justice, n’est pas le supplétif des juges !
La formule est belle : sur le plan rhétorique c’est moins une catachrèse qu’une comparaison antithétique s’appuyant sur la dualité de sens de mots synonymes, auxiliaire et supplétif pour les opposer.
Sur le plan historique, les auxiliaires d’une armée en campagne désignaient des soldats indigènes placés sous le commandement de chefs nationaux…. À l’époque de la république Romaine, ces auxiliaires étaient incorporés aux légions et constituaient des troupes, spécialisés dans une technique de combat particulière, tels les frondeurs Baléares, les cavaliers Numides ou les archers Crétois
Une troupe supplétive, quant à elle, était généralement recrutée sur place, de façon temporaire, en fonction des besoins ; on l’affectait à des objectifs ou missions secondaires ; elle était rarement intégrée au corps principal de bataille.
Ainsi, faire de l’avocat un supplétif dans le processus judiciaire, serait minorer son statut, voire le réduire à une sorte de conscience de louage comme l’aurait dit Montaigne …un mercenaire, dépourvu de la discipline des armées régulières !
Des avocats alignés dans « un garde-à-vous intellectuel impeccable » ?
Il est vrai que la robe rouge des magistrats n’est pas sans rappeler le paludamentum, ce grand manteau écarlate, signe du commandement dans les armées romaines. Qui sait si certains magistrats, au plus profond de leur inconscient, ne rêveraient pas de voir les avocats alignés devant eux, dans un garde-à-vous intellectuel impeccable, silencieux et dévoués, prêts à obéir, ad nutum, aux instructions données pour mener la bataille judiciaire. Seulement voilà, l’indépendance des avocats, principe consacré par le législateur lui-même, empêche qu’ils soient placés sous les ordres des juges pour accomplir leur mission et tenir leur rôle dans l’œuvre judiciaire !
En conférant à l’avocat le statut d’auxiliaire de justice, le législateur a voulu souligner, en 1971, le rôle que ce dernier joue dans le service public de la justice, tant au plan de sa mission que de sa responsabilité. Intermédiaire entre le justiciable et son juge, il prend une part essentielle dans l’élaboration de la règle de Droit, car il a notamment pour tâche de traduire en termes juridiques admissibles par l’institution judiciaire les revendications de son client.
L’exigence de vérité
Surtout, il partage avec tous les membres du corps judiciaire, juges et procureurs, les mêmes valeurs de probité, de rigueur intellectuelle et de loyauté de comportement ; sur le plan de la responsabilité, sa mission ne peut être accomplie qu’en respectant l’exigence de vérité, commune à tous les membre de cette famille judiciaire.
Tout avocat sait bien qu’une argumentation ne sera persuasive qu’à la condition première d’être énoncée par un orateur dont la sincérité ne peut être mise en cause, et dont le discours est exclusif de mensonge. L’intégrité du débat judiciaire doit être préservée et ceux qui y attentent, sanctionnés. À condition bien sûr de démontrer une volonté claire et consciente de tromper les juges, notamment dans la transmission de pièces ; c’est ce qu’a justement souligné le tribunal judiciaire de Paris dans l’affaire Cohen-Sabban Nogueras.
Ce sont des évidences, certes, mais il convient sans cesse de les rappeler, car leur oubli occasionne de bien fâcheuses dénaturations…qui contribuent à jeter le discrédit sur les avocats, et qui, si elles eussent été suivies par les juges, en auraient justement fait de simples supplétifs ….
Référence : AJU364558