Rentrée solennelle du tribunal de Meaux : La cour criminelle départementale et les assises à flux tendu
Lors de la cérémonie de rentrée du tribunal judiciaire de Meaux (Seine-et-Marne) le 19 janvier, la présidente Catherine Mathieu a fait part de sa « vive inquiétude face au stock d’affaires criminelles à juger » dans son département. Seuls 41 dossiers, sur 127, seront examinés « ces prochains mois, faute de moyens immobiliers et humains ». Jean-Baptiste Bladier, le procureur de la République, a quant à lui annoncé qu’en plus du pôle dédié aux violences intrafamiliales, un projet de même nature visera « la lutte contre le proxénétisme des mineurs ».
Marie-Suzanne Le Quéau, nouvelle procureure générale de la cour d’appel de Paris, installée dans ses fonctions en octobre (notre article ici), a honoré de sa présence l’audience solennelle de rentrée du tribunal judiciaire de Meaux. Il y a trois mois, elle avait manifesté son intérêt pour ce parquet en rendant visite à ses magistrats. Entourée de nombreuses personnalités qui ont « bravé la neige », ce dont les a remerciées la présidente Mathieu, Mme Le Quéau a été témoin d’un bilan globalement satisfaisant en 2023 et des défis à relever en 2024.
Comme il est d’usage, les résultats de l’an passé ont été d’abord présentés, dans le souci de les renvoyer aux améliorations à envisager. « La stabilité, voire la baisse » pour « une bonne part de nos contentieux majeurs » sont à l’actif des juges et des chambres correctionnelles, a ainsi révélé Catherine Mathieu. Dans celles-ci, « il n’y a plus de stock en attente », contrairement à celui géré par les assises et la cour criminelle départementale de Melun. Les délais de jugement « ne dépassent pas cinq mois, l’effet positif de cette situation » étant la baisse de la durée de détention provisoire : en moyenne 40 jours au lieu de 70, et un recul de 22 % en cas d’information judiciaire.
Un « déficit abyssal en personnel de greffe »
À ce sujet, la présidente salue l’ouverture au centre pénitentiaire, fin 2023, du quartier préparant la sortie et l’insertion des condamnés, un dispositif auquel participent les cinq juges de l’application des peines (le 6e poste n’a pas été pourvu) : 120 places de détenus, 60 en semi-liberté. À la section des regrets, le délai de traitement « des procédures d’ordonnances pénales ou de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité [CRPC] ». Il dépasse, dit-elle, « le stade du raisonnable ». En cause, le « déficit abyssal en personnel de greffe en 2023 » et qui demeure : 25 fonctionnaires sur 156 manquent à l’appel ! À ceux dont la charge est colossale, aux contractuels qui les aident, elle exprime sa reconnaissance.
Si, en matière civile, le premier contentieux reste les affaires familiales, « à haut niveau », elle se réjouit du succès de la réforme du divorce (pouvant être prononcé dès la première audience) – même si, s’agissant des couples non mariés, pas concernés par cette évolution, les conflits sont en hausse.
Dans un autre registre, elle se félicite du travail de l’association l’Amicale du Nid depuis fin 2022, financée par le Département et l’État, qui accueille des mineurs victimes de la prostitution. Le Nid travaille avec les juges des enfants, le parquet, la police, la gendarmerie et les services éducatifs. Il a assuré, en 2023, 27 suivis, 12 interventions et une vingtaine d’évaluations.
Hausse de 11,8 % des atteintes physiques
Avant d’aborder les perspectives du tribunal en 2024, effectuons un détour par le bilan du parquet. Le procureur Jean-Baptiste Bladier annonce « qu’il n’est guère politiquement correct. Le système répressif est confronté à une hausse de la délinquance, à laquelle il peine à faire face ». L’année 2023 fait apparaître une augmentation « de 2,5 % des atteintes aux biens et, surtout, de 11,8 % des atteintes à l’intégrité physique ». Si « l’institution judiciaire a su réagir lors des émeutes » cet été, « à l’instar des forces de l’ordre en première ligne », auxquelles il rend hommage, M. Bladier s’inquiète des « enquêtes préliminaires en attente » : + 8 % à la gendarmerie ; + 24 % chez les policiers.
Pour expliquer la « situation dégradée », il cite « les conséquences néfastes de la réforme des commissariats d’agglomération », « la concentration des moyens supplémentaires » à Paris et en Île-de-France « dans la perspective des Jeux olympiques », « la désaffectation pour la filière judiciaire » et « la sophistication croissante des procédures ».
Comme en 2023, il se fixe une réponse pénale de l’ordre de 80 %. Son taux a tout de même atteint 77,6 % ces onze derniers mois, et son équipe a accru « le recours aux mesures alternatives » : + 50 %, dépassant le nombre de 1 700 et « une véritable explosion des compositions pénales » : + 95 %, soit au-delà de 800. Autres chiffres : 44% des auteurs poursuivis par le parquet l’ont été après défèrement mais, s’agissant des CRPC, il note que seuls 38,5 % des dossiers aboutissent à une ordonnance d’homologation « du fait de l’absence de prévenus convoqués ou de leur refus de se faire assister » par un avocat (voir notre encadré consacré à ces derniers).
« Pour parachever ce bilan évidemment parcellaire », le chef du parquet a dévoilé une bonne nouvelle « en espèces sonnantes et trébuchantes, grâce à l’action conjointe portée par des enquêteurs et parquetiers volontaristes, déterminés » : le montant des saisies pénales fait un bond de 90 %, portant la somme de 4,7 millions d’euros à 9,10 M€ !
« Vive inquiétude » pour le traitement des affaires criminelles
« Un mur qui paraît encore bien infranchissable en 2024. » Par ces mots, la présidente Mathieu désigne le flux tendu des dossiers criminels jugés par deux cours d’assises et la cour criminelle départementale (CCD) à Melun – Meaux leur en adresse 68 %. Fin 2023, le stock reste de « 127 affaires dont 41 seulement fixées dans les prochains mois. Ces 127 affaires représentent 371 jours d’audience » mobilisant trois magistrats du siège aux assises et cinq à la CCD (soit huit), outre le parquetier. Selon elle, le problème résulte « d’une capacité de jugement insuffisante ». En 2023, tandis que 50 affaires étaient étudiées (10 de plus qu’en 2022), 75 autres, nouvelles ou en appel, venaient alourdir la charge (lire notre article sur l’alerte lancée par la cour d’appel de Paris le 15 janvier dernier ici).
Catherine Mathieu pense que la généralisation des CCD créées en 2023 ne constituera pas la solution. « L’objectif est de juger plus rapidement » mais « si l’on se fie à l’expérience seine-et-marnaise, on constate que le gain, en termes de réduction du nombre de jours consacrés, est bien plus modeste qu’attendu, pour ne pas dire epsilonesque ! » Parce que « la procédure est pour l’essentiel identique » : examen des éléments, débat contradictoire, oralité et audition des témoins dont « la liste n’a pas été réduite » en CCD. Elle en appelle à « la responsabilité collective » (accusation, partie civile et défense) pour aboutir à « des délais raisonnables ».
Sinon, Mme Mathieu pense qu’il faudra revoir la procédure en CCD pour « trouver un nouvel équilibre au bénéfice d’une justice de qualité ». Une piste : juger, en un jour, les affaires reconnues. Les efforts des juridictions de Meaux, Melun et Fontainebleau « trouvent leur limite dans les moyens immobiliers et humains », en dépit des renforts en magistrats honoraires.
Autre objectif : améliorer l’examen, chaque jour, des situations de retenus au centre administratif du Mesnil-Amelot, dans l’annexe du tribunal. Trois greffiers, un magistrat, des avocats sont mobilisés pour un contentieux en augmentation : 3 400 saisines en 2023 contre 2 800 en 2022. Au nombre des perspectives, figure enfin « l’engagement de la juridiction dans la politique de l’amiable » : audiences de règlement, expérimentation de la conciliation dans le contentieux social des contraintes URSSAF.
Les JO au programme des juridictions seine-et-marnaises
Catherine Mathieu a aussi annoncé que le pôle des violences conjugales – en fonction depuis 2020 – va s’élargir aux violences intrafamiliales (deux magistrates à sa tête). Le procureur Bladier, lui, porte « un projet dédié à la lutte contre le proxénétisme des mineurs » car c’est « un phénomène de délinquance qui marque notre territoire ». Il permettra à « de très jeunes filles de se confier », « de surmonter leur peur » et de leur faire « prendre conscience qu’elles sont victimes ».
Au parquet, l’année sera marquée « par la tenue d’épreuves olympiques et paralympiques. Nous sommes déjà à l’œuvre, je sais gré à mon équipe de s’être organisée ». Il faudra aussi composer avec la réforme qui s’annonce, la suppression du délai de carence pour l’intervention de l’avocat en garde à vue (en l’état de deux heures). Celui-ci sera soumis « à la disponibilité » des conseils : « Le “maître des horloges” de la procédure sera désormais l’avocat*, bien que le parquet reste comptable du temps qui passe… » Une nouvelle étape législative que le procureur ne voit pas d’un bon œil : « Elle marquera, sans retour possible de mon point de vue, un déséquilibre de la procédure en faveur des droits individuels, aux dépens d’une certaine efficacité dans la conduite des investigations judiciaires ».
Concluons sur deux notes positives. Le procureur a félicité son équipe qui a traité, en moyenne, 110 mails et 64 appels téléphoniques quotidiens – « je suis l’heureux héritier d’une organisation des parquets, pensée autour de la permanence, qui a démontré son efficacité. » Et la présidente a adressé un message cordial aux policiers réservistes qui, depuis toujours et jusqu’à fin 2023, assuraient la sécurité du tribunal : « Nous devons à la sécheresse d’un décret pris en 2022, qui réforme les missions confiées à la réserve de la police, de perdre ce soutien. » Au profit d’une société privée…
Le vice-bâtonnier Ramadier veut « empêcher que le monde se défasse »
Cette année, Me Jean-Christophe Ramadier, vice-bâtonnier de Meaux, a prononcé le discours de rentrée. Il a insisté sur « la qualité des liens qui unissent les magistrats du siège et du parquet au barreau ».
« Pas de remaniement, pas de putsch, pas de révolution de Palais au sein de l’Ordre des avocats », a-t-il rassuré : le binôme formé avec sa consœur, Me Florence Fredj-Catel, se porte bien. À l’unisson, ils louent « la qualité des rapports qui existent entre la juridiction et les avocats de Meaux, j’ose dire amicaux », ou au moins « fluides ». « Ensemble, note-t-il, nous avons organisé des évènements », dont la formation sur les violences conjugales.
Si Me Ramadier rappelle l’inquiétude du barreau, exprimée en 2023, face aux mesures annoncées par Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux (dont les audiences de règlement amiable et de césure), « nous devons à la vérité de dire que nos craintes n’étaient finalement pas toutes fondées ». Avocats et magistrats « ont travaillé conjointement dans l’intérêt du justiciable » et « les effets négatifs redoutés » se sont éloignés. En cette année olympique, il souhaite que « les liens de confiance et de respect mutuel permettent la poursuite du travail », la prévention des difficultés. « Nous sommes prêts à relever les défis d’une augmentation des gardes à vue, des comparutions immédiates et des procédures diverses l’été prochain. »
« Le Barreau très engagé dans la défense des mineurs »
Au chapitre de la politique pénale, ils « demeureront attentifs à la mise en œuvre des mesures » à venir : « réformes de la police judiciaire, de la garde à vue qui, si j’ai bien compris, Monsieur le procureur, vous donne déjà des frayeurs… Nous sommes toujours préoccupés par la défense les libertés fondamentales et des droits ». Et aussi par la « disparition de l’humain au profit de la statistique et des intelligences artificielles ».
Autre crédo : « Notre barreau est très engagé dans la défense des mineurs et un de nos projets est de développer notre offre d’accompagnement vers ce public, à tous les stades de la procédure, qu’elle soit civile ou pénale. » Enfin, « conscients de l’importance de demeurer en alerte », les avocats « poursuivront [leurs] actions de contrôle des lieux de privation de liberté et dénonceront, chaque fois que cela nécessaire, les conditions indignes » subies par les retenus administratifs, les prévenus, les détenus. « Parce que l’avocat n’est pas uniquement le maître des horloges mais le rempart des libertés, parce que là où il n’y a pas d’avocats, il n’est pas de démocratie. »
Pour terminer, Me Ramadier a cité Albert Camus : Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse ! » (Discours de Stockholm, 1957).
*À lire au sujet de la réforme de la garde à vue : Réformer la garde à vue : stop ou encore ? – Actu-Juridique par Valérie-Odile Dervieux, magistrate et Les avocats, nouveaux « maîtres des horloges » de la procédure policière – Actu-Juridique par Julien Sapori, commissaire divisionnaire honoraire.
Référence : AJU415944