Marie-Suzanne Le Quéau : une femme de conviction à la tête du parquet général de Paris

Publié le 03/10/2023

Marie-Suzanne Le Quéau a été installée dans ses fonctions de procureure générale (PG) de Paris lundi 2 octobre, en présence du garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti. Cette femme de caractère a su s’attirer l’estime des bâtonniers de son ressort dans son précédent poste de PG d’Aix-en-Provence. 

Marie-Suzanne Le Quéau : une femme de conviction à la tête du parquet général de Paris
Première chambre civile de la cour d’Appel de Paris (Photo : DR)

C’est une « femme de conviction réputée pour son indépendance et sa force de caractère » explique le Premier président Jacques Boulard dans son discours, lundi 2 octobre. La femme dont il parle, et qui réunit un parterre de hautes personnalités dans la prestigieuse première chambre civile de la cour d’appel de Paris, s’appelle Marie-Suzanne Le Queau. La cérémonie est celle de son installation dans ses nouvelles fonctions de procureure générale de la cour d’appel de Paris.

Une carrière entière au parquet ou presque 

Elle est la deuxième femme à ce poste après Catherine Champrenault et succède à Rémy Heitz qui vient d’être nommé procureur général près la Cour de cassation. Né en 1960 à Quimper, Marie-Suzanne Le Quéau, après avoir brièvement occupé quelques postes au siège (Limoges et Nantes) en début de carrière a passé tout le reste de sa vie professionnelle au parquet (Bernay, Pontoise, Auxerre, Évreux, Évry). On dit d’elle qu’elle a largement contribué à résoudre l’affaire des disparues de l’Yonne quand elle exerçait à Auxerre. Comme beaucoup de hauts magistrats, Marie-Suzanne Le Quéau a fait des incursions en administration centrale. Entre 1996 et 1999, elle a exercé au sein de l’inspection générale de la justice, puis elle est revenue place Vendôme en 2012, en qualité de directrice des affaires criminelles et des grâces (2012), sous Christiane Taubira. Quand elle retourne en juridiction, c’est pour occuper le poste de procureure générale de Douai en 2015 – elle est la première femme -, avant de rejoindre Aix-en-Provence au même poste en 2020.

L’enjeu des JO 2024

Marie-Suzanne Le Quéau : une femme de conviction à la tête du parquet général de Paris
Jacques Boulard lors de son installation en 2022 (Photo : ©P. Cabaret)

Les chantiers qui s’annoncent pour ce nouveau binôme sont importants, prévient le premier président Boulard. Ils devront ensemble mener à bien les extensions des tribunaux de Bobigny, Meaux et Évry, le désamiantage de l’IGH de Créteil, mais aussi la réhabilitation du palais de justice de Paris dont les 24 kilomètres de couloirs posent notamment d’importants problèmes de sécurité incendie. Du côté des ressources humaines, il faudra gérer les renforts annoncés dans le projet de loi d’orientation avec une attention particulière portée aux greffes qui souffrent d’un turnover plus important qu’ailleurs. Ces dernières semaines, plusieurs mouvements de protestation nationaux, ont été très suivis à Paris (lire nos articles ici et ). Deux sujets de préoccupation sont à l’ordre du jour, les audiences tardives en matière correctionnelle, qui vont nécessiter un renforcement des moyens en matière pénale (lire notre article ici), mais aussi la situation de la justice familiale. En réponse à l’inquiétude des avocats sur les délais, le premier président a annoncé la création d’un chef de pôle de la famille et d’une quatrième chambre. Il a évoqué enfin deux dossiers majeurs. D’abord le stock de dossiers d’assises pour le ressort qui s’élève à 672 et impose des renforts en urgence. Ensuite, la perspective des Jeux Olympiques, pour lesquels en revanche les renforts sont arrivés ce mois-ci avec 82 auditeurs de justice et 13 lauréats du concours complémentaire à Paris en septembre.

Graver l’unité de la magistrature dans le marbre de l’ordonnance de 1958

Marie-Suzanne Le Quéau : une femme de conviction à la tête du parquet général de Paris
Marie-Suzanne Le Quéau (Crédit photo : DR)

Quand vient le tour de Marie-Suzanne Le Quéau de prendre la parole, on comprend immédiatement que c’est une main de fer… dans un gant de fer. Le ton est ferme, la feuille de route tracée. On ne trouve pas l’ombre dans son propos d’une de ces onctuosités dans lesquelles habituellement les nouveaux nommés enrobent leurs projets pour ne pas heurter leurs  collègues. Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a accepté l’invitation à assister à l’installation, il est assis devant elle, ça tombe bien, elle a quelque chose à lui demander. « Même si depuis 2010 il n’y a eu aucun passé outre aux propositions du Conseil supérieur de la magistrature (NDLR : le ministre a accepté toutes les propositions de nominations), la pérennité de cette pratique doit être gravée dans le marbre de l’ordonnance de 58 pour garantir son intangibilité, estime-t-elle. Les magistrats du parquet n’auront jamais de prérogatives identiques à ceux du siège, mais cette nécessaire réforme renforcera l’unité du corps de la magistrature alors que des voix continuent de s’élever pour séparer siège et parquet sans mesurer les risques d’affaiblissement de la magistrature ».

Et les avocats ? 

Parmi les thèmes incontournables dans un discours d’installation à l’heure actuelle, figurent les relations avec les avocats. Le sujet est particulièrement délicat à Paris où celle qui l’a précédée, Catherine Champrenault, critiquait parfois publiquement avec virulence la profession. Surtout, les poursuites intentées contre l’actuel vice-bâtonnier, Vincent Nioré, alors délégué du bâtonnier aux perquisitions, ont laissé des traces durables (lire notre article ici). Elles ont depuis été abandonnées. La situation s’est d’ailleurs apaisée à Paris sous la double influence de Julie Couturier et Vincent Nioré, bâtonnier et vice-bâtonnier de Paris, et de l’ancien procureur général Rémy Heitz. Restent quand même quelques casus belli. Le nombre important de perquisitions dans les cabinets d’avocats à Paris d’abord qui a conduit Vincent Nioré à tirer la sonnette d’alarme avant l’été (notre article ici). L’affaire Nogueras Cohen-Sabban ensuite, dans laquelle les juges parisiens tentent de faire peser sur les avocats l’impossible obligation de certification des pièces. Mis hors de cause en première instance de l’accusation de complicité de faux (mais condamnés pour violation du secret), les deux avocats devront comparaître de nouveau, le parquet ayant fait appel (voir nos chroniques ici).

« Elle est travailleuse, énergique et courtoise »

« J’entends poursuivre le dialogue cordial et sans concession initié avec les bâtonniers d’Aix, je regrette que le fossé entre nos deux professions ait tendance à se creuser, le débat judiciaire peut être vif, pour autant les prises à partie personnelles, les outrances verbales ne peuvent rester sans réaction » a déclaré sur ce sujet Marie-Suzanne Le Quéau. Faut-il y voir l’indice d’un nouvel embrasement des relations avocats magistrats ? Le ton pourrait le laisser craindre, mais les avocats qui l’ont côtoyée dans ses précédentes fonctions tiennent un discours plutôt rassurant. « Sa très haute idée de la justice la rend intransigeante, mais elle l’est avec tout le monde, confie Benoît Porteu, bâtonnier d’Aix-en-Provence, qui a travaillé presque deux ans avec la magistrate. Elle est respectueuse, ferme et franche, c’est précieux dans les relations institutionnelles ».  Une analyse que confirme Jean-Raphaël Fernandez, ancien bâtonnier de Marseille et futur président de la Conférence des bâtonniers : « elle respecte la profession d’avocat, mais en effet elle est intransigeante sur les questions de déontologie par tous les acteurs de la chaîne judiciaire. Il nous est arrivé d’avoir des désaccords, nos échanges sont toujours demeurés professionnels et courtois. Elle est travailleuse, énergique et abordable ». De son côté Marie-Aimée Peyron, ancienne bâtonnière de Paris et vice-présidente du Conseil national des barreaux a gardé un très bon souvenir de leurs travaux en binôme au sein du conseil consultatif conjoint de déontologie avocats magistrats. « C’était juste après l’affaire Sollacaro, nous avions en charge de rédiger des recommandations sur des cas pratiques et notamment les incidents d’audience, je craignais que ce soit tendu et, au contraire, cela a été un plaisir de travailler avec Marie-Suzanne Le Quéau, qui a été très constructive dans la recherche de solutions communes, et sur la nécessité d’appeler le bâtonnier et les chefs de juridictions en cas de conflit ».

« Les juridictions sont devenues inflammables »

Sur l’état des juridictions et le moral des magistrats, la nouvelle procureure générale qualifie la situation de « morose ». Elle aperçoit dans les protestations qui éclatent régulièrement dans les juridictions « les signaux prégnants d’un malaise durable qui s’est étendu aux personnels administratifs ». Selon elle, « les juridictions sont devenues inflammables ». Et de préciser « Les chefs de cour portent la responsabilité de les aider à surmonter la crise ». Au-delà de la question des moyens, elle a annoncé qu’on pourrait compter sur elle pour défendre l’institution judiciaire contre les attaques, notamment relatives à l’impartialité des magistrats et à la liberté syndicale. Mais de la même façon qu’elle a prévenu les avocats que les comportements inacceptables seraient punis, elle n’entend pas tolérer « le comportement inapproprié de quelques magistrats » qui « mine la confiance dans le corps ».

Deux dossiers enfin figurent parmi les priorités de la nouvelle procureure générale. D’abord la surpopulation carcérale de 134 % en Île-de-France. « Pas de fatalité, pas de résignation » assène-t-elle. Elle entend encourager l’utilisation des possibilités d’aménagements de peine et notamment les travaux d’intérêt général auxquels elle semble particulièrement favorable. Deuxième dossier : l’intelligence artificielle. Une nouvelle ère s’ouvre, les magistrats de demain travailleront avec, il s’agit de leur préparer le terrain. Marie-Suzanne Le Quéau a annoncé le lancement d’une expérimentation au sein du parquet sur un sujet qui sera choisi collectivement et confié à une start-up.

L’agenda est lourd pour le nouveau binôme à la tête de la cour d’appel de Paris. Jacques Boulard, lui-même né à Rennes en 1963, a pris ses fonctions il y a seulement un an. Outre la gestion de la plus importante cour d’appel de France, il faut compter avec les JO l’an prochain sur fond de tension dans les juridictions. Mais à cœurs bretons, rien d’impossible…

 

La cour d’appel de Paris en chiffres

Première cour d’appel de France, la compétence de la cour d’appel de Paris couvre cinq départements franciliens ainsi que l’Yonne, ce qui représente huit millions d’habitants. Elle compte 75 juridictions, dont de très grandes comme Paris, Bobigny ou Nanterre, mais aussi parmi les plus petites : Fontainebleau et Sens. La cour se distingue par la technicité des contentieux qui sont traités en raison d’un certain nombre de compétences nationales, par exemple en matière de terrorisme ou de criminalité en col blanc. Elle rassemble 1 500 magistrats et 3 500 fonctionnaires.

 

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