Tribunal de Pontoise : « Vous êtes coupable, mais irresponsable ! »
Aux comparutions immédiates de Pontoise, un homme sans affect apparent attend d’être jugé dans son box. Ce quinquagénaire souffre de troubles psychiatriques et sa responsabilité pénale fait débat.
Souati regarde fixement un point dans le box. La trajectoire de son regard est difficile à déterminer. C’est en tout cas dans la direction opposée de celle du tribunal. La présidente l’appelle : « Monsieur ? » Il tourne la tête, pose sur elle un regard las. « Voulez-vous être jugé aujourd’hui ? » Il jette un regard à son avocate et dit qu’il y consent.
Souati a 50 ans, de nombreuses condamnations et des problèmes psychiatriques. Cette fois-ci, alors qu’il déambule bruyamment dans les rues de Franconville, il outrage et menace un policier qui tentait de l’appréhender. « Bande de bâtards, sale fils de …, je vais te cramer », la présidente rapporte les insultes usuelles d’une voie mécanique et pressée. Souati perd le fil tout de suite et se remet à fixer un point au hasard. Son visage exprime une grande fatigue, ses pommettes sont tombantes et il est un peu voûté.
Il met le feu à sa cellule
Il n’est pas attentif du tout, mais les faits sont d’une telle banalité que la présidente n’a pas besoin de toute son attention. Au début, du moins, car la suite est un peu plus ennuyeuse. En garde à vue au commissariat d’Ermont, il a mis le feu à sa cellule. Des allumettes bien cachées, un vêtement qui s’embrase, la fumée qui alerte les policiers de garde. Intervention d’urgence, tout le monde est évacué. Un vrai foutoir. Souati paraissait vraiment hors de lui. Il a fallu l’isoler.
Compte tenu de son comportement, ce n’est pas une, mais deux « expertises » psychiatriques qui ont été pratiquées. « Expertises » qui en réalité consistent en un examen express au commissariat, dans un coin, dans l’urgence et avec une exigence de résultat tranché, si possible.
Deux expertises contradictoires
La présidente résume alors la situation : l’une des expertises considère que c’est un homme au « comportement impulsif » qui est accessible à une sanction pénale ; l’autre estime qu’il est atteint de troubles psychotiques qui, au moment des faits, ont aboli son discernement. C’est le grand écart diagnostic. Souati hausse les épaules : ses troubles sont réels et diagnostiqués, mais il ne lui appartient pas de commenter l’abolition du contrôle de ses actes. Tout juste précise-t-il qu’il n’a pas de souvenir précis des faits.
Pour le tribunal, le dilemme reste entier. La procureure propose son aide pour le guider. En s’appuyant sur la première expertise, elle demande qu’il soit déclaré coupable et condamné à 12 mois de prison, dont six mois avec sursis probatoire (obligation de soins), maintien en détention.
« Sans surprise, je vais m’appuyer sur la seconde expertise », et demander à ce qu’il soit déclaré irresponsable, plaide son avocate dans un sourire contenu, car la situation n’est pas drôle, et pour ainsi dire même un peu absurde. Elle estime que son client présente des troubles évidents, et que, dans le doute, il est plus sage d’opter pour « l’expertise » qui propose de le déclarer irresponsable. Souati n’a rien à ajouter.
Il attendra plusieurs heures dans les geôles avant d’entendre la présidente lui annoncer : « Vous êtes coupable, mais irresponsable ! » ce qui ne le fait pas sourciller. Pas de sanction pénale pour lui, mais « vous avez les droits fixes de procédure à régler néanmoins. » Cent vingt-sept euros, 20% de réduction s’il paye dans le mois. Un papier à la main, il fait une grimace polie et tourne le dos au tribunal. Souati n’a presque pas parlé.
NDLR : En France, on ne juge pas les fous. Mais il est parfois difficile d’évaluer l’état psychiatrique des prévenus, en particulier en comparution immédiate. Cette procédure rapide de jugement réservée en principe aux affaires les plus simples s’accorde mal en effet avec les contraintes d’une expertise.
Voir à ce sujet nos chroniques précédentes :
Tribunal de Pontoise : «Moi, je suis un policier du FBI » – Actu-Juridique
Tribunal de Pontoise : « Je suis arrivé avec l’intention de tuer un Tunisien » – Actu-Juridique
Référence : AJU389788