Tribunal de Pontoise : «Moi, je suis un policier du FBI »

Publié le 03/03/2022

Au tribunal de Pontoise, l’audience correctionnelle à juge unique du 5 janvier 2022 se penche sur le cas d’Antoine D., prévenu d’avoir volé une chaussure et détenu un couteau. Le prévenu, manifestement atteint de troubles psychiques, est jugé en visio-conférence, depuis la prison où il est détenu pour une autre cause.

Tribunal de Pontoise : «Moi, je suis un policier du FBI »
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

La porte grince, et d’un couloir étroit et obscur émerge la silhouette d’un détenu à la démarche heurtée. Le surveillant lui demande de s’asseoir, lui ôte ses menottes et salue la caméra : « Je reviens tout à l’heure ». Il ferme la porte et, seul dans sa petite pièce vide de la maison d’arrêt où il est incarcéré, le détenu inspecte les murs, le plafond, et se met à tapoter des doigts sur la table.

« Monsieur ? Monsieur ? ».

Depuis la salle du tribunal correctionnel de Pontoise, la juge tente d’établir un contact. « Monsieur ! » Il tressaute. Large sourire : « Bonjour ! Je vous entends. » Le procès de celui qui dit se nommer Antoine Durand, né le 17 septembre 1994 à Abidjan, peut débuter.

La juge unique, qui préside l’audience, tente une approche :

« — Monsieur, vous savez que vous êtes poursuivi pour des faits de meurtre ?

— Comment cela ? Non, je ne le savais pas. Je devrais être en liberté. »

Silence. Il est détenu depuis juillet 2021. On oublie cette réponse étrange, car ce n’est pas l’affaire du tribunal. «  Antoine Durand » est prévenu de vol, de port d’armes non autorisé, de faux et usage de faux ; faits commis le 27 février 2021 à Garges-Lès-Gonesse. En fait, « Antoine Durand » a volé une chaussure dans un magasin.

Le vendeur l’a rapidement reconnu, car Antoine est souvent venu dans leur petite boutique. Il avait un air bizarre, comme s’il était là, incognito, en repérage ; il semblait visualiser l’endroit et prendre des notes dans sa tête. Tout à coup, il a fixé une paire de chaussures, s’est emparé de la boîte et est parti en courant.

Un homme hystérique armé d’un long couteau en céramique

Un hardi apprenti s’élance alors à sa poursuite, et revient quelques minutes plus tard, blanc comme un linge. Il dit avoir été menacé par un homme hystérique qui a pointé un long couteau en céramique sous ses yeux. Pour une demi-paire de chaussures à 80 euros, l’apprenti a vu sa vie défiler devant ses yeux. Antoine n’a pas poursuivi très longtemps ses déambulations chaotiques. Apercevant cet original, une patrouille l’a contrôlé et a découvert sur lui le couteau et de faux papiers d’identités, au nom précisément d’Antoine Durand. En réalité, Antoine se prénommerait plutôt Amadou, et son patronyme n’est sans doute pas Durand.

La garde à vue se déroule, selon le procès-verbal, sans encombre. Antoine/Amadou aurait même reconnu les faits. Mais ce mercredi 5 janvier 2022, il n’est plus du tout d’accord. Pendant le temps où la présidente relate les faits, Antoine baye aux corneilles.

Puis, il s’énerve et coupe la parole de la juge toutes les 10 secondes. Indigné, il proclame : « Ce n’est pas moi, c’est mon jumeau ! Vous vous êtes trompé de personne ».

« Monsieur, vous vous taisez où je vous fais sortir », rétorque-t-elle, un peu à bout, sans vraiment remarquer l’incongruité de sa menace.

La présidente lit alors les aveux du prévenu : s’il a reconnu les faits de vol, il explique avoir en réalité payé par anticipation, en présentant un relevé de compte quelques jours plus tôt.

Cela n’a aucun sens, passons à l’infraction suivante.

« — La carte nationale d’identité, c’est vous qui l’avez faite ?

— Je venais juste de la réparer, en effet

-— Mais c’est interdit ! » Amadou/Antoine prend un air mystérieux. Il inspecte le plafond. « Pardon ?

— Monsieur, le vol, expliquez-nous.

— Eh bien voyez-vous, nous sommes deux. Même visage, car nous sommes des jumeaux.

— Il était au magasin, votre jumeau ?

— Nous étions tous les deux au centre commercial. Moi, c’était par hasard, car j’attendais ma copine (imaginaire, ndlr).

— C’est un peu farfelu, vous comprenez que le tribunal a du mal à comprendre, d’autant que vous aviez tout reconnu. Que dites-vous à propos du couteau ?

— Mon jumeau.

— Et c’était vous en garde à vue ?

— Ah ça oui.

— Et vous faisiez quoi avant d’être incarcéré ?

— Moi, je suis un policier du FBI. » En garde à vue, il s’est présenté comme un ministre.

L’expert qui trouve que tout le monde est discernant

L’expert psychiatre n’a relevé aucun trouble ayant altéré ou aboli son discernement au moment des faits.

La présidente semble désemparée.

« — J’avoue avoir un peu de mal à comprendre les résultats de l’expertise. »

— En même temps, c’est le Dr M, lance un avocat.

— Je ne le connais pas.

— Vous allez apprendre à le connaître, avec lui, tout le monde est discernant », intervient une autre avocate.

— Il avait été retiré des listes d’experts une première fois, il est revenu par la fenêtre, on ne sait pas comment, reprend le premier ».

A l’écran, la mine hagarde d’Antoine/Amadou mâche un chewing-gum imaginaire, tandis que ses yeux se sont perdus dans l’abîme. Sans se démonter, la procureure demande 6 mois de prison ferme. De toute manière, Antoine/Amadou est incarcéré pour un moment.

Lorsque la juge donne la parole au prévenu pour se défendre, le malaise est palpable. Antoine/Amadou reste immobile, l’œil fixe. Il jette quelques propos incohérents et inaudibles. Plus personne n’ose le regarder.

Après la suspension, il sera condamné à 4 mois de prison avec sursis probatoire. Dans sa grande miséricorde, la justice lui a accordé une obligation de soin.