Affaire Taha Bouhafs : adieu l’État de droit !

Publié le 21/07/2022

Alors qu’il était candidat aux élections législatives sur une liste LFI, Taha Bouhafs a été contraint de renoncer, le 10 mai dernier. Selon une première version, il aurait été victime d’attaques racistes. Il a finalement révélé le 5 juillet dernier que le parti l’avait contraint à se retirer en raison d’accusations d’agressions sexuelles portées contre lui. Me Julia Courvoisier nous explique en quoi cette affaire est très inquiétante. 

Affaire Taha Bouhafs : adieu l'État de droit !
Palais de justice de Paris (Photo : ©AdbeStock/neiezhmakov)

Il fut un temps où les plus grandes féministes usaient de la loi et des tribunaux pour faire avancer les droits des femmes.

Je pense à cet instant à Gisèle Halimi qui avait l’habitude de dire qu’elle « s’adressait à l’opinion publique par-dessus la tête des magistrats ». En utilisant le droit et ses mots, elle a réussi à faire changer les choses durablement et il faut l’en remercier.

Je fais partie de ces jeunes avocates qui ont en tête ces tigresses du Barreau, ces grandes avocates qui ont tout compris : c’est dans la loi, c’est avec la justice, que nous ferons évoluer notre société. Et que les femmes seront protégées.

IVG, pilule contraceptive, criminalisation du viol : ces avocates, aidées de féministes intelligentes et engagées, ont usé de la médiatisation de leurs procès pour permettre aux femmes de gagner en droits et en égalité.

Que ce temps semble loin…

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Aujourd’hui, nous sommes tous d’accord sur ce point, les violences sexuelles sont une plaie. Les chiffres de ces violences nous apprennent que les victimes sont majoritairement des femmes : harcèlement, atteinte sexuelle, agression sexuelle, viol… Ce sont les femmes, trop souvent, qui doivent déposer plainte et soutenir leurs accusations afin d’être reconnues comme victimes.

Les choses doivent changer et ces violences doivent être endiguées.

L’inquiétante émergence de la vindicte privée

Les femmes (et les hommes bien sûr) doivent parler. Dénoncer auprès du parquet en déposant plainte.  Mais le droit doit être respecté. Ce combat doit se mener dans le cadre de notre état de droit, et plus généralement, en respectant nos valeurs démocratiques.

Pourtant, à l’heure où les Français disent avoir besoin de justice, un mouvement inquiétant semble émerger ces derniers mois : celui de la vindicte privée. Au point que j’en viens souvent à penser que nous assistons, parfois, à une véritable chasse aux sorcières. Dénonciations, campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux, appels insistants à la démission y compris sous forme de collier autour du cou de la députée EELV Sandrine Rousseau : chaque soupçon donne lieu à des excès, relayés en masse avec peu de prudence.

Je note cependant à ce sujet, avec un certain bonheur, que le terme de « suspect » remplace de plus en plus, dans les médias, celui de « présumé coupable », et j’ose croire qu’une prise de conscience des dérives auxquelles nous assistons est en train de naître.

Quoiqu’il en soit, si jusqu’ici ces appels à la démission concernaient des hommes politiques ayant été visés, à un moment ou à un autre, par une enquête pénale, nous avons passé un cap il y a quelques jours avec la triste histoire de Taha Bouhafs.

Engagé auprès de LFI depuis plusieurs années, journaliste, il devait être candidat aux élections législatives et avait, semble-t-il, de grandes chances d’être élu député. Pourtant, à la surprise générale, le 10 mai dernier, il faisait part de son retrait, expliquant faire l’objet de violences racistes et de harcèlement, parlant précisément « d’attaques sans précédent ». Pire même, son avocat historique faisait un communiqué de presse pour indiquer ne plus être en mesure, moralement, de le défendre.

Plainte d’une femme inconnue pour des faits survenus à une date inconnue

Le lendemain, nous apprenions qu’en réalité, une femme avait saisi « l’observatoire des violences sexistes et sexuelles » de son parti, afin de dénoncer des faits pouvant relever d’une infraction pénale. Précision, elle souhaitait rester anonyme et se refusait à déposer plainte.

J’ai d’abord pensé que LFI avait choisi de garder le silence sur son identité pour lui éviter d’être jetée en pâture aux médias. Et j’ai songé que protéger les plaignantes de la médiatisation était évidemment une bonne chose, parce que la justice ne se rend pas dans les excès.

Mais que nenni.

Il y a quelques jours, au terme de près de 2 mois de silence complet, Taha Bouhafs a publié un communiqué expliquant :

1/ ne pas connaître l’identité de cette femme,

2/ ne pas connaître la date des faits qu’elle aurait dénoncés,

3/ ne pas avoir été confronté à elle,

4/ n’avoir accès à aucun document interne malgré ses demandes et celles de ses avocats.

INCROYABLE.

Sous couvert de la lutte fondamentale contre les violences faites aux femmes, certaines en viennent à se réjouir de mettre au ban de la société un homme placé délibérément dans l’incapacité absolue de se défendre.

Une simple dénonciation anonyme dans une officine politique quasi-secrète suffit désormais à pulvériser socialement un homme.

Aucune plainte pénale n’ayant été déposée, Taha Bouhafs est dans l’impossibilité de répliquer, s’expliquer, livrer sa version, en d’autres termes d’exercer sa défense.

Quoiqu’il advienne, il restera ce soupçon, ce bruit de couloir, cette rumeur, cette accusation.

Pourquoi ? Car il faut croire les femmes, y compris lorsqu’elles font des dénonciations anonymes.

Ce serait ça, le progrès.

Adieu le droit de se défendre.

Adieu la présomption d’innocence.

Adieu le débat et le contradictoire.

Adieu la contestation quelle qu’elle soit.

Adieu les principes qui coulent dans nos veines et qui ont accouché de notre état de droit tel qu’il est aujourd’hui.

Personnellement, je ne m’en réjouis pas du tout.