Basile Ader : « On a perdu la boussole des libertés fondamentales »

Publié le 06/12/2019

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2019-818 du 6 décembre considère que « l’absence d’assistance de l’étranger par un avocat lors des auditions conduites à l’occasion de son entrée en France ou lors de son maintien en zone d’attente ne méconnaît pas la Constitution ». Le vice-bâtonnier de Paris Basile Ader y voit l’expression d’une guerre qui ne dit pas son nom. 

Actu-juridique : Lors de la rentrée solennelle, vous avez dans votre discours indiqué à quel point durant votre vice-bâtonnat en portant secours aux avocats en danger, vous avez pris la mesure de l’importance de la phrase « je veux voir un avocat ! ». Or, le Conseil constitutionnel vient de rejeter une QPC relative à l’assistance de l’avocat dans un cas particulier de droit des étrangers. Comment analysez-vous cette décision ? 

Basile AderBasile Ader : C’est décevant. On refuse au demandeur d’asile ce que l’on accorde depuis neuf ans aux citoyens placés en garde à vue, à savoir l’assistance d’un avocat. J’ai rappelé en effet dans mon discours à quel point la phrase, « je veux voir un avocat ! », est l’exclamation suprême dans tous les pays du monde de celui, humble ou puissant, qui réclame le secours de la loi. J’ai aussi rappelé que le demandeur d’asile n’était pas un ennemi, mais un être humain qui demande refuge. En l’état, le demandeur d’asile peut, lors de son maintien en zone d’attente, communiquer avec le conseil de son choix. Mais il n’a pas un droit à l’assistance de celui-ci lors des auditions organisées par l’administration dans le cadre de l’instruction de sa demande d’entrée en France, ou pendant son maintien en zone d’attente. C’est ce qui était contesté par voie de QPC. Le Conseil rétorque en substance que ces auditions relèvent de la police administrative et non de la recherche d’infraction. Il ajoute qu’elles peuvent être contestées devant un juge, où l’étranger a alors le droit d’être assisté d’un avocat. Il y a donc bien une distorsion entre le droit du gardé à vue et de droit de celui qui demande asile chez nous.

Actu-juridique : Ce n’est pas la première fois que le Conseil constitutionnel répond de deux manières différentes à la même question selon qu’elle concerne des citoyens ou des migrants…

B.A. : En effet, en matière de visioconférence, le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 mars 2019 a déclaré non-conforme l’article du projet de réforme de la justice supprimant la possibilité pour une personne de s’opposer à être entendue par visioconférence lors d’un débat portant sur la prolongation de son placement en détention provisoire. Il a alors rappelé  « l’importance de la garantie qui s’attache à la présentation physique de l’intéressé devant le magistrat ou la juridiction « , précisant qu’il y aurait sinon une atteinte excessive aux droits de la défense. A l’inverse, il n’a rien trouvé à redire lorsque quelques mois plus tôt on a contesté devant lui, le recours à la visioconférence, dans la loi sur l’asile du 10 septembre 2018, pour les audiences devant la Cour nationale du droit d’asile. Il y a donc deux poids deux mesures…

Actu-juridique : Comment expliquez-vous ce traitement différencié ?

B.A. : C’est une guerre qui ne dit pas son nom. Une guerre contre les flux migratoires fantasmés qui, même pour notre instance suprême, celle qui est le dernier garant de nos libertés individuelles, justifie la mise en place d’un droit d’exception. Or, le « droit de la guerre » est un droit d’exception, comme l’est le droit de l’état d’urgence.  Nous sommes désormais sous l’empire d’un état d’urgence en matière de droit des étrangers. Ce n’est semble-t-il pas justifié par la réalité quand on voit que les flux migratoires sont les mêmes depuis plus de 30 ans, mais le sujet est éminemment politique, comme peut l’être celui des mineurs délinquants, ou encore des « gilets jaunes » qui seraient nécessairement tous des casseurs, dans les manifestations. On a perdu la boussole des libertés fondamentales, qui sont pourtant au cœur du projet politique de notre république. J’espère qu’on va vite la retrouver.

Propos recueillis par Olivia Dufour