Affaire du « Mur des cons » : responsabilité de la présidente d’un syndicat du fait d’un panneau d’affichage placardé dans ses locaux

Publié le 18/01/2021

 Par trois arrêts du 12 janvier 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté les pourvois contre autant d’arrêts d’appel qui ont confirmé la condamnation pour injure publique de la présidente du Syndicat de la magistrature, en sa qualité d’éditrice, en raison du contenu d’un panneau d’affichage placardé dans les locaux de son organisation. Les explications d’Emmanuel Derieux, professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2) et auteur de Droit des médias. Droit français, européen et international.

Affaire du « Mur des cons » : responsabilité de la présidente d’un syndicat du fait d’un panneau d’affichage placardé dans ses locaux
Le « mur des cons »

 La loi du 29 juillet 1881, « sur la liberté de la presse » (et, aujourd’hui, de tout autre moyen de publication), comporte nombre de particularités de procédure. Pour la plupart, celles-ci font obstacle à la poursuite et à la sanction des abus de la liberté d’expression. Les dispositions relatives à la détermination des personnes responsables en facilitent et garantissent cependant la sanction. Au-delà du texte, il en est fait ici une application souple.

Dans la présente affaire, trois arrêts confirmatifs de la Cour d’appel de Paris, ch. 2-7, du 19 décembre 2019, ont retenu, en sa qualité d’éditrice, la responsabilité de la présidente du Syndicat de la magistrature du fait de contenus injurieux résultant d’un panneau d’affichage placardé dans les locaux de son organisation. Saisie de ces décisions, la chambre criminelle de la Cour de cassation, par trois arrêts du 12 janvier 2021 (n°s 20-80.372, 20-80.375 et 20-80.376), a rejeté les pourvois.

Ces décisions fournissent l’occasion de considérer : les dispositions légales en cause ; les moyens des pourvois ; les réponses de la Cour ; et, au-delà de cette affaire, la question de l’éventuelle transposition, à d’autres moyens ou supports de publication, de la solution ici retenue.

Loi du 29 juillet 1881

Les articles 42, 43 et 44 de la loi du 29 juillet 1881 déterminent les personnes responsables des abus de la liberté d’expression, que cette même loi détermine, commis par la voie de publications imprimées.

S’agissant de responsabilité pénale, l’article 42 de ladite loi est relatif au régime de responsabilité dite « en cascade ». Il pose que « seront passibles, comme auteurs principaux, des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse, dans l’ordre ci-après, savoir : 1° les directeurs de publications ou éditeurs, quelles que soient leurs professions ou dénominations […] 2° à leur défaut, les auteurs ; 3° à défaut des auteurs, les imprimeurs ; 4e à défaut des imprimeurs, les vendeurs, les distributeurs et afficheurs ».

L’article 43 dispose que « lorsque les directeurs […] ou les éditeurs seront en cause, les auteurs seront poursuivis comme complices », comme peuvent l’être « les personnes auxquelles l’article 121-7 du Code pénal pourrait s’appliquer ».

Aux termes de l’article 6 de la même loi, la qualité de « directeur de la publication » ne concerne que les publications périodiques imprimées. La responsabilité de la présidente du syndicat ne pouvait donc pas être retenue, à ce titre, du fait d’un panneau d’affichage, même occasionnellement actualisé ou mis à jour. Pouvait-elle l’être en qualité d’« éditeur » ? Celle-ci semble surtout devoir s’appliquer aux publications non périodiques que sont les livres. Compte tenu des circonstances, n’aurait-il pas été plus exact de retenir, à son encontre, le rôle d’« auteur » ou la fonction d’« afficheur » ? Si sa participation à la publication, de quelque façon que ce soit, est considérée comme établie, la qualification retenue est cependant sans effet à cet égard !

Pour ce qui est de la responsabilité civile liée aux abus de la liberté d’expression que la même loi de 1881 définit, son article 44, n’envisageant expressément que le cas des « propriétaires des journaux ou écrits périodiques », fait d’eux les « responsables des condamnations pécuniaires prononcées au profit des tiers contre les personnes » précédemment mentionnées, « conformément aux dispositions des articles » 1240 et suivants du Code civil. Devait-il ou pouvait-il en être fait application en l’espèce ?

Sur la base de ces différentes dispositions, la présidente du syndicat pouvait-elle être tenue pour responsable des contenus litigieux du panneau d’affichage ?

 Moyens des pourvois

 Dans ses moyens aux pourvois, se référant au seul article 42 de la loi du 29 juillet 1881, la présidente du syndicat a contesté le fait que les juges du fond ont ainsi retenu, « en sa qualité de représentante du syndicat » et « à titre d’éditeur », sa responsabilité, tant civile que pénale, pour les faits d’abus de la liberté d’expression par la voie du panneau d’affichage en cause.

Pour elle, « le président d’un syndicat ne peut voir » tant « sa faute civile retenue », que « sa responsabilité pénale engagée », « es-qualité, en tant qu’éditeur d’un affichage […] que s’il est établi qu’il a, sous son mandat, activement et personnellement contribué soit à la création et à la confection de l’affichage litigieux, soit qu’il a fourni les moyens de cet affichage ou donné des instructions » pour cela. Elle a relevé que l’arrêt contesté a constaté « qu’il n’est pas établi que la création du ‘Mur des cons’, antérieure » à sa présidence, « soit issue d’une décision collective prise par les instances du syndicat », ni qu’elle « y ait personnellement participé », et qu’il n’a pas été observé que le « panneau aurait été alimenté » sous sa présidence. Il a alors au moins été maintenu. Mais, s’agissant d’un « délit instantané », le délai de prescription (particulièrement court, de 3 mois, s’agissant des infractions à la loi de 1881) commence à courir à compter de la date de la publication ou de la dernière modification qui a pu y être apportée.

Selon les moyens formulés, « en se fondant sur le fait, antérieur à sa présidence, que ‘le syndicat […] a accepté que ses adhérents confectionnent le panneau en cause sur un mur de son local […] en mettant celui-ci à leur disposition et en leur fournissant ainsi les moyens du placardage’, la Cour d’appel a violé l’article 42, 1°, de la loi du 29 juillet 1881, ensemble les articles 121-1 » (posant que « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ») « et 121-4 » (aux termes duquel « est auteur de l’infraction la personne qui : 1° commet les faits incriminés »)  « du Code pénal ».

 Réponses de la Cour

 La Haute juridiction relève que, « pour retenir la faute civile » de la présidente du syndicat, et la déclarer, en cette qualité, « coupable du délit d’injure publique envers un particulier », « sur le fondement de l’article 42, 1°, de la loi du 29 juillet 1881 relatif à la responsabilité de l’éditeur, l’arrêt attaqué énonce que, s’il n’est pas établi que celle-ci a personnellement participé à la confection de l’affichage litigieux […] elle a accepté de mettre à disposition ledit panneau sur un mur du local syndical et a donc fourni les moyens du placardage ».

Pour les présents arrêts, « en se déterminant ainsi, la Cour d’appel a fait l’exacte application des textes visés » aux moyens des pourvois. Il est considéré que, « en effet, engage sa responsabilité en qualité d’éditeur, conformément à l’article 42, 1°, de la loi du 29 juillet 1881, la présidente d’une association qui fournit les moyens du placardage de l’affiche litigieuse ».

Il en est conclu que « le moyen doit être écarté » et, en conséquence, la Cour rejette les pourvois.

 Loi du 29 juillet 1982

 Comme cela est rappelé par les présents arrêts, l’existence du panneau d’affichage en cause a été connue notamment au travers d’une vidéo d’un « journal en ligne ». L’occasion est ainsi offerte d’évoquer les dispositions relatives à la détermination des personnes responsables des abus de la liberté d’expression, définis par la loi du 29 juillet 1881 et par divers autres textes du Code pénal (articles 223-15, 226-2, 226-8, 227-24, 421-2-5, 434-16, 434-25) qui renvoient à ce même régime de responsabilité, commis par des services de communication au public par voie électronique (communication audiovisuelle et communication au public en ligne).

Il convient tout d’abord de rappeler que, aux termes articles L. 32-3-3 du Code des postes et des communications électroniques et 6-I de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l’économie numérique, les prestataires techniques (fournisseurs d’accès et fournisseurs d’hébergement) des services de communication au public en ligne ne sont, en principe ou sauf conditions, par responsables des messages dont ils permettent la mise à disposition du public. En conséquence, ils doivent s’abstenir d’exercer, sur eux, un quelconque contrôle (« Suspension des comptes de Trump : ne donnons pas aux prestataires techniques un pouvoir de censure privée », Actu-Juridique.fr, 13 janvier 2021).

Sont juridiquement responsables ceux qui, par le choix et la maîtrise des contenus, interviennent dans le processus d’édition.

Par l’article 6.III.1 de la loi de juin 2004, il est posé que « les personnes dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne mettent à la disposition du public », outre divers éléments qui en permettent l’identification, « c) le nom du directeur […] de la publication et, le cas échéant, celui du responsable de la rédaction au sens de l’article 93-2 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 ».

Aux termes de cet article, « tout service de communication au public par voie électronique est tenu d’avoir un directeur de la publication ». Il y est précisé que, « lorsque le service est fourni par une personne morale, le directeur de la publication est le président du directoire ou du conseil d’administration, le gérant ou le représentant légal, suivant la forme de la personne morale », et que, lorsqu’il « est fourni par une personne physique, le directeur de la publication est cette personne ».

Muet sur la responsabilité civile, l’article 93-3 de cette même loi de juillet 1982 transpose, aux médias électroniques, le régime de responsabilité pénale « en cascade ». Il dispose que, « au cas où l’une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est commise par un moyen de communication au public par voie électronique, le directeur de la publication […] sera poursuivi comme auteur principal, lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public. A défaut l’auteur, et à défaut de l’auteur, le producteur sera poursuivi comme auteur principal ». Il ajoute que, « lorsque le directeur […] de la publication sera mis en cause, l’auteur sera poursuivi comme complice », et que « pourra également être poursuivi comme complice toute personne à laquelle l’article 121-7 du Code pénal sera applicable ».

Pour remédier aux difficultés d’identifier les auteurs de messages diffusés ou rendus accessibles au travers de services de communication au public en ligne et de mettre ainsi en jeu leur responsabilité, tant civile que pénale, pourra-t-il, dans l’avenir, être tenté de tirer argument de certaines des interprétations et applications, qui ne paraissent pas pleinement rigoureuses, des dispositions invoquées dans la présente affaire ?

Parmi bien d’autres questions et incertitudes liées aux particularités de procédure de la loi du 29 juillet 1881 soulevées par le jugement de cette affaire (« L’affaire du ‘Mur des cons’ et les particularités procédurales de la loi de 1881, Actu-Juridique.fr, 20 mars 2020), n’a été considérée, par les arrêts ici présentés, que celle de la détermination de la personne responsable de l’abus litigieux commis par le moyen d’un affichage. Retenir, en sa qualité d’« éditeur », la responsabilité, tant civile que pénale, de la présidente du syndicat dans le local duquel a été placardé le panneau comportant les messages considérés comme injurieux, sur le fondement de l’article 42, 1°, de ladite loi ne paraît pas constituer une application pleinement rigoureuse des dispositions invoquées. A la différence de quelques autres, la signification et la portée de celles-ci pouvaient, jusqu’ici, paraître comme clairement établies. La voie serait-elle ainsi ouverte, en d’autres circonstances et à l’égard notamment d’autres supports de communication, à de telles souplesses d’interprétation ? Pour écarter toute cause d’hésitation ou toute forme de malfaçon, l’harmonisation et la clarification des textes législatifs s’imposent.

En cette affaire, doit-on voir une illustration du souci de ne pas paraître favoriser des magistrats, ou de l’intention inverse de les sanctionner plus sûrement et sévèrement, ou encore du fait que « les cordonniers sont les plus mal chaussés » ?

 

Lire aussi sur le même sujet, à propos du jugement de première instance  « Mur des cons : une cinglante condamnation »

 

 

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