Cette semaine chez les Surligneurs : Anatomie d’un oxymore juridique dans l’accord NUPES

Publié le 13/05/2022

L’accord NUPES ambitionne de désobéir à certaines règles européennes, mais dans le respect de l’État de droit. Les Surligneurs, spécialistes de legal checking, vous expliquent pourquoi c’est un oxymore juridique. On se penche aussi sur le sort d’Osman Kavala en Turquie, le déficit lié à la crise sanitaire ou encore l’éternel projet de listes transnationales pour élire les députés européens qui refait surface. 

 

Cette semaine chez les Surligneurs : Anatomie d’un oxymore juridique dans l’accord NUPES

Anatomie d’un oxymore juridique dans l’accord NUPES : “La désobéissance (européenne) ne peut se faire que dans le respect de l’État de droit”

Accouché en très peu de temps, l’accord LFI-EELV pour les élections législatives prévoit explicitement que la France ne respectera pas “certaines” règles européennes, en y assortissant une liste entre parenthèses : “(les règles) économiques et budgétaires comme le pacte de stabilité et de croissance, le droit de la concurrence, les orientations productivistes et neolibérales de la Politique Agricole Commune etc.”. Si on prend en compte le “etc.”, il ne reste plus grand-chose de la construction européenne, mais restons dans le droit : lorsqu’un simple citoyen désobéit à la règle de droit, cela s’appelle une infraction. Mais lorsqu’un gouvernement désobéit, c’est une illégalité au mieux, de l’arbitraire au pire. Et aucun juge interne ne laissera faire.

L’État de droit est l’ossature de la démocratie : l’autorité publique (et donc le gouvernement) ne peut en principe agir qu’en vertu d’un texte, c’est ce qui protège le citoyen contre les excès d’autorité et donc les atteintes aux libertés. Parmi ces textes, la Constitution, la loi, le règlement, mais aussi les textes européens, qui confèrent des droits et obligations à tous les citoyens européens.

Or la manière dont cette “désobéissance” est présentée par la nouvelle coalition a quelque chose d’irréel, presque magique ! Mais c’est au contraire très concret, car tous ces actes juridiques sont contrôlés par le juge interne, pas seulement par la Cour de justice de l’Union européenne.

Tout cela n’a rien de théorique, c’est du quotidien. Chaque jour, les juges internes annulent des décrets, arrêtés, mais aussi des autorisations ou refus d’autorisation, etc. (par exemple l’infirmier suédois qui se verrait refuser l’autorisation de travailler en France, obtiendrait l’annulation du refus et même une indemnisation). Régulièrement les juges internes écartent des lois contraires au droit européen. Mieux, depuis l’arrêt Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire du Conseil d’État en 1999, le juge interne peut ordonner au gouvernement d’enfreindre la loi française pour faire respecter le droit européen.

En somme, imaginons une coalition LFI-EELV-PC-PS majoritaire à l’Assemblée nationale, qui voterait une loi reconstituant un monopole postal, ferroviaire, de l’électricité, etc., ou qui interdirait les camionneurs polonais : n’importe quel citoyen européen (pas seulement français) pourrait demander au juge français d’écarter cette loi. Il ne resterait qu’une solution à la majorité : contourner le juge… et faire comme la Pologne qui a mis à bas l’indépendance de sa justice, un exemple que les partisans de la Nupes jurent pourtant ne pas vouloir suivre.

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Jean-Luc Mélenchon : “si Clément Beaune ne veut pas désobéir à l’Union européenne, il faut qu’il revienne à un déficit à 3% dans le prochain budget”

Jean-Luc Mélenchon, figure de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES), a avec beaucoup d’ironie, rappelé à Clément Beaune, la nécessité de respecter la règle des 3% de déficit, sans quoi il y avait “désobéissance” à l’Union européenne. Il estime que la France et plus généralement “tout le monde désobéit déjà“. Cela revient à confondre dérogation accordée et désobéissance. La différence ? L’un est légal, l’autre non.

Jean-Luc Mélenchon ignore en effet un élément important : la pandémie de Covid-19. Depuis 2020 et jusqu’au 1er janvier 2023, a été activée la clause dérogatoire générale du PSC, qui confère aux États membres plus de souplesse en raison de ces circonstances extraordinaires et indépendantes de la volonté des gouvernements. Et même en dehors de cette clause dérogatoire, l’article 126 TFUE autorise un État membre à creuser son déficit publique si c’est temporaire ou exceptionnel.

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La Cour européenne des droits de l’homme bien décidée à faire libérer Osman Kavala face à une Turquie qui la défie

Lundi 25 avril 2022, l’homme d’affaires turc Osman Kavala a été condamné à la prison à perpétuité sans remise de peine à Istanbul, après plus de 4 ans et demi de détention. Il est détenu et accusé depuis novembre 2017 par la justice turque au motif qu’il aurait voulu renverser le gouvernement de l’actuel président turc Recep Tayyip Erdoğan, en finançant des manifestations anti-gouvernementales dites “mouvement du parc Gezi” en 2013.

Mais la réaction la plus intéressante a été celle d’Annalena Baerbock, la ministre des affaires étrangères allemande, qui a estimé que cette condamnation témoigne d’une sévérité disproportionnée, ignorant la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). En effet, la CEDH, dans une décision de 2019, a qualifié la détention de Kavala d’“abusive”, puis ordonné de le libérer “immédiatement”. Or, la Convention européenne des droits de l’hommeimpose aux États le respect des décisions de la Cour et prévoit une procédure pour les y obliger. C’est ainsi que le Comité des ministres du Conseil de l’Europe à lancé une procédure en manquement contre la Turquie.

Avec l’affaire Osman Kavala, et pour la seconde fois, la CEDH donne une suite à la procédure enclenchée par le Comité des ministres en constatant la non-exécution de ses obligations par la Turquie (la fois précédente, c’était contre l’Azerbaïdjan). Pour aboutir à l’exclusion de la Turquie du Conseil de l’Europe ? Rien n’est moins sûr.

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Union européenne : vers l’adoption d’un nouveau règlement pour rendre les élections plus attractives ?

 Serpent de mer depuis les années 1990, le débat sur les listes transnationales pour élire les députés européens fait son grand retour. Porté plus récemment entre autres par Emmanuel Macron pour les élections européennes de 2019, le projet des listes électorales transnationales avait essuyé le refus des députés européens de l’époque. Mais le 3 mai dernier, le Parlement européen réuni en séance plénière à Strasbourg a pris fermement position en faveur d’une réforme en profondeur du processus électoral européen. Sous réserve d’approbation par le Conseil – qui réunit les ministres des 27 États membres – à l’unanimité, le texte viendrait ajouter une toute nouvelle dimension européenne à une élection traditionnellement boudée par les citoyens européens.

Mais ce projet reste sujet à nombre de divisions au sein même des députés, certains craignant de perdre la présidence de la Commission européenne et d’autres refusant catégoriquement toute avancée sous cette forme dans l’intégration européenne. De surcroît, soumise au vote du Conseil, l’adoption de ce texte suppose que les États membres acceptent de lâcher du lest dans leurs prérogatives.

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