Cette semaine chez les surligneurs : le droit pénal mis à mal, la liberté économique contestée
Peut-on territorialiser les peines prononcées par les tribunaux comme le souhaite Valérie Pécresse ? L’impôt universel imaginé par Jean-Luc Mélenchon a-t-il une chance de voir le jour ? Jusqu’où une application de type Yuka peut-elle critiquer les produits ? Autant de questions auxquelles répondent les Surligneurs.
Xavier Bertrand peut-il permettre au procureur de la République de prononcer seul des amendes pour les délits punis au maximum de cinq ans d’emprisonnement ?
Pour décongestionner la justice pénale et la rendre plus efficace, les candidats en lice pour l’élection présidentielle n’hésitent pas à formuler des propositions chocs. Dans cet esprit, Xavier Bertrand veut donner davantage de pouvoirs aux procureurs en leur permettant de prononcer des amendes pour les délits punis au maximum de cinq ans d’emprisonnement.
Cette proposition ne sort pas de nulle part. Depuis de nombreuses années, le législateur a développé des procédures d’alternatives aux poursuites. La composition pénale, qui en fait partie, permet ainsi aux procureurs de proposer une peine à l’auteur d’une infraction, plutôt que de le renvoyer devant un tribunal. La composition pénale ne s’applique qu’aux délits punis de moins de cinq ans d’emprisonnement et suppose la reconnaissance préalable par l’auteur de sa culpabilité. En cas d’accord entre le procureur et l’auteur des faits, le procureur saisit alors un juge, afin qu’il valide la composition pénale, s’il considère que « les mesures proposées [sont] justifiées au regard des circonstances de l’infraction et de la personnalité de l’auteur ».
Avec sa proposition, Xavier Bertrand n’invente pas une nouvelle procédure. Le candidat à la primaire Les Républicains (LR) propose uniquement de se passer systématiquement du juge. Seulement, l’intervention du juge, surtout en matière pénale, est essentielle, car seul le juge bénéficie des garanties d’indépendance. Certes, les réformes entreprises depuis vingt ans ont élargi les prérogatives des procureurs, à tel point qu’ils soient devenus des « quasi-juges ». Pour l’exemple : depuis 2019, il n’est plus obligatoire de faire valider la composition pénale par le juge lorsque l’amende prononcée est inférieure à 3000 euros et que le délit est puni de moins de trois ans d’emprisonnement. Mais, en se passant systématiquement du juge, la France prendrait le risque d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a déjà jugé en 2010 que le procureur français n’était pas une autorité judiciaire indépendante. Cette proposition s’exposerait également à un risque de censure du Conseil constitutionnel sur le fondement du principe de séparation des autorités de poursuite (les procureurs) et de jugement (les juges).
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Valérie Pécresse peut-elle territorialiser les peines prononcées par les tribunaux ?
Pour surmonter l’ampleur inégale du phénomène criminel, Valérie Pécresse souhaite territorialiser les peines prononcées par les tribunaux pour que les crimes et les délits commis dans certaines zones géographiques soient punis plus sévèrement. La loi permet déjà aux procureurs d’adapter localement la politique pénale définie par les instructions du ministère de la justice en tenant compte du contexte propre à leur ressort.
Cependant, le fait de déroger au principe d’égalité des citoyens devant la loi, en faisant autant de lois locales que de territoires problématiques, se heurterait à un risque d’inconstitutionnalité. Le Conseil constitutionnel a pu décider que « la loi pénale ne saurait, pour une même infraction, instituer des peines de nature différente, sauf à ce que cette différence soit justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l’objet de la loi ». Seulement, la zone géographique où l’infraction est commise n’est pas considérée jusqu’alors comme une différence justifiée par une distinction de situation en rapport direct avec l’objet de la loi.
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Jean-Luc Mélenchon peut-il mettre en place un impôt universel pour les Français ayant des revenus à l’étranger ?
Lors de sa tournée des Grandes écoles, le leader de la France Insoumise a déclaré vouloir instaurer un impôt universel pour les Français ayant des revenus à l’étranger. Pour cela, il propose que chaque citoyen déclare les impôts payés dans un autre Etat et paye éventuellement un complément en France.
Le problème c’est qu’il faudrait dénoncer les quelques 120 conventions bilatérales de non doubles impositions établies entre la France et différents Etats, ouvrant la porte à une double imposition de résidents fiscaux ayant des activités en dehors du territoire national.
Par ailleurs, une telle mesure ne saurait s’appliquer de façon généralisée pour ceux établis dans l’Union européenne. Il est certes possible de limiter, de manière proportionnée, les libertés de circulation au sein du marché intérieur, s’il y a un motif d’intérêt général. Mais cette mesure devrait se concentrer seulement sur la prévention de la fraude à la loi et de l’évasion fiscale, sans application générale à tout Français hors de France – deux motifs reconnus comme légitimes par la justice européenne.
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Est-il possible, comme le réclame Adrien Quatennens (LFI), de bloquer les prix des produits de première nécessité ?
Dans un contexte d’inflation, le député insoumis, Adrien Quatennens, appelle au blocage des prix des produits de première nécessité pour préserver le pouvoir d’achat des Français. Or, le droit de l’Union européenne garantit aux biens et aux services de circuler librement au sein du marché intérieur. Cela implique la détermination des prix doit résulter de la rencontre de l’offre et de la demande, ce qui est valable pour le prix du gaz. Cela est encore valable pour l’électricité, pour laquelle les Etats membre ne peuvent appliquer des tarifs réglementés qu’à la faveur des clients en situation de précarité. Si un Etat veut bloquer les prix des produits alimentaires, il doit limiter au maximum les effets de ce blocage sur la concurrence.
Face aux problèmes juridiques induits par le blocage, une solution moins risquée est de privilégier les aides directes auprès des consommateurs plutôt que de plafonner les prix. C’est d’ailleurs la voie privilégiée par le Gouvernement français. Il est aussi possible de baisser les taxes pour les consommateurs ou d’aider les entreprises, des pistes aussi proposées avec la Commission européenne ces derniers jours.
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Jusqu’où une application de consommation responsable peut-elle critiquer les produits ? A propos de l’affaire Yuka.
Dans un contexte d’inquiétude pour la sécurité alimentaire, des applications de « consommation responsable », décryptent le langage biochimique des produits alimentaires et cosmétiques, en leur décernant une note, et proposent des alternatives moins nocives. Récemment, la condamnation de Yuka contre la Fédération française de charcuterie traiteur pour une affaire de pétition appelant à l’interdiction des nitrites et des nitrates a pu interroger : jusqu’où une application de consommation responsable peut-elle critiquer les produits ?
Informer le consommateur sur les conséquences pour la santé publique ou l’environnement, au besoin en critiquant les produits, relève, par principe, de la liberté d’expression pour ceux qui ne sont pas dans un rapport de concurrence économique avec le produit en cause. Seulement, depuis une décision de 2018, le risque d’abus est plus élevé, puisque le dénigrement peut être retenu même en l’absence de situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées. Pour éviter une condamnation, l’application doit donc veiller à respecter deux principes. D’une part, la mise en cause doit être scientifiquement fondée. D’autre part, l’expression de la critique doit être faite avec une certaine mesure. Yuca – avec un « c » du nom de l’entreprise exploitant l’application Yuka avec un « k » – et ses concurrentes voient ainsi leur démarche validée mais encadrée.
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Référence : AJU252218