Cette semaine chez Les Surligneurs : encadrer les sondages pour éviter les risques de manipulation
Peut-on sortir des 35 h comme le souhaite Valérie Pécresse, sortir de certains articles de la CEDH ainsi que le propose Marine Le Pen ou bien encore réserver les allocations familiales aux Français ? Les réponses avec les Surligneurs, spécialistes du legal checking.
Les sondages sous haute surveillance
Pas un jour ne passe sans que la « tyrannie des sondages » et l’« inflation sondagière » ne soient décriées. Photographies des intentions de vote, à un instant donné, les sondages commandés et diffusés par la presse sont particulièrement critiqués pour les risques de manipulation qu’ils provoquent, d’une part, parce qu’ils peuvent influencer le scrutin en modifiant le comportement des électeurs et, d’autre part, parce qu’ils peuvent présenter des biais méthodologiques. Ajoutons à cela qu’ils ont des répercussions sur le calcul du temps de parole, et il est dès lors facile de comprendre pourquoi ils se trouvent au centre de l’attention médiatique.
Pour toutes ces raisons, les sondages font l’objet d’un encadrement. Tout d’abord, la loi définit ce qu’est un sondage. Il s’agit d’une « enquête statistique visant à donner une indication quantitative à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d’une population par l’interrogation d’un échantillon ». Elle définit ensuite ce qu’est un sondage électoral. Ce sont les sondages « diffusés ou rendus publics sur le territoire national, portant sur des sujets liés, de manière directe ou indirecte, au débat électoral ».
Une Commission des sondages, instituée par la loi, a pour mission de contrôler les sondages (le caractère représentatif de l’échantillon utilisé, la nature des questions posées, la sincérité de leur interprétation, l’étendue de la marge d’erreur, etc.). En ce sens, la Commission des sondages a « tout pouvoir pour vérifier les sondages qui ont été commandés, réalisés, publiés ou diffusés ». Elle peut également enjoindre aux instituts de rectifier les mentions obligatoires ou encore de publier une mise au point indiquant à l’auditoire, au lectorat ou aux téléspectateurs qu’un sondage a été mal réalisé ou mal présenté. Une telle injonction a, par exemple, été exercée, en octobre 2021, à l’encontre de la chaîne de télévision CNEWS après qu’un sondage a été présenté de manière mensongère.
Les répercussions des sondages sont d’une telle ampleur pour le scrutin que leur publication est interdite la veille et le jour du scrutin. Reste que cette obligation est largement contournée par les médias francophones belges et suisses… En tout cas, la question de l’interdiction des sondages électoraux se pose à chaque élection nationale ; certains appelant au sevrage de cette « drogue médiatique ».
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Valérie Pécresse (LR) propose de « sortir des 35 heures par la négociation collective ».
La durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à 35 heures par semaines, pour toutes les entreprises, quel que soit leur effectif. Cette durée n’est toutefois ni minimale, puisque des salariés peuvent être employés à temps partiel, ni maximale, sauf pour les travailleurs de moins de 18 ans, et encore des dérogations sont possibles. En réalité, les 35 heures sont simplement un seuil de déclenchement, notamment des heures supplémentaires ouvrant droit à une majoration de salaire ou un à un repos compensateur équivalent.
Rendre plus flexibles les règles rigides (parce que protectrices) du Code du travail afin de les adapter au plus près des besoins économiques des entreprises n’est pas une idée nouvelle. A l’occasion de chaque élection majeure, l’antienne de la suppression des 35 heures reprend. En cela, la proposition de la candidate Les Républicains (LR) interroge : ne peut-on pas (déjà) écarter la règle des 35 heures ? Depuis la « loi Travail », dite aussi « loi El Khomri », de 2016 et l’ordonnance Macron de 2017 sur la négociation collective, la durée du travail peut déjà faire l’objet de (très) nombreuses adaptations grâce à la négociation. Voyons donc ce qui est (déjà) possible sans modifier (encore) le droit.
Aujourd’hui, c’est la convention collective de branche qui définit les conditions d’emploi et de travail des salariés. En matière de durée, de répartition et d’aménagement du temps de travail, c’est la branche, c’est-à-dire les représentants d’un secteur économique donné, qui définit les durées d’équivalence à la durée légale pour des professions et des emplois comportant des périodes d’inaction, une durée de travail hebdomadaire, la définition du travail de nuit, le travail à temps partiel, le taux de majoration des heures supplémentaires. Sur ces points, la négociation de branche s’impose aux entreprises. Mais, sur toutes les autres questions de durée de travail, c’est (déjà) l’accord négocié au sein de l’entreprise même qui prédomine.
Des simulations ont ainsi montré qu’en combinant tous les dispositifs permettant d’adapter la durée de travail, un salarié pouvait travailler jusqu’à 2068 heures par an, soit une moyenne de 44 heures par semaine sur l’année. Si le salarié pose seulement deux semaines de congés payés consécutives, puis une semaine toutes les 11 semaines, cela peut aller jusqu’à 2246 heures de travail par an, soit 47h47 minutes par semaine… et tout cela, en application d’accords collectifs négociés. Ces calculs ne prennent d’ailleurs pas en compte les salariés au forfait jours, ces derniers pouvant travailler jusqu’à 282 jours par an.
En conclusion, la question n’est pas de sortir des 35 heures par la négociation, comme le prévoit Valérie Pécresse, puisque le Code du travail prévoit déjà de nombreuses dispositions permettant d’y déroger. Mais il s’agit plutôt de savoir si les employeurs et les salariés des entreprises, leurs représentants dans les branches, souhaitent négocier à ce sujet, comme la loi leur permet déjà de le faire.
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Marine Le Pen (RN) déclare « vouloir réserver un certain nombre de prestations comme les allocations familiales exclusivement aux Français ».
Le changement de nom ne correspond pas forcément au changement des idées. Vieille ritournelle du Front National de Jean-Marie Le Pen, l’idée de réserver un certain nombre de prestations exclusivement aux Français est aujourd’hui reprise par le Rassemblement National de Marine Le Pen. Cette proposition heurte pourtant à la fois la Constitution et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Tout d’abord, le Conseil constitutionnel a jugé, dans une décision de 1990, que l’« exclusion des étrangers résidant régulièrement en France du bénéfice [d’une allocation supplémentaire du fonds national de solidarité, accordée à des personnes âgées, notamment à celles devenues inaptes au travail et privées du minimum vital] méconnaît le principe constitutionnel d’égalité ». En l’occurrence, le bénéfice de l’allocation en question avait été conditionné aux seuls étrangers européens ou couverts par des conventions internationales de réciprocité. Par ailleurs, selon le Code de la sécurité sociale, « la sécurité sociale est fondée sur le principe de la solidarité nationale, elle assure, pour toute personne travaillant ou résidant en France de façon stable et régulière, la couverture des charges de maladie, de maternité et de paternité ainsi que des charges de famille et d’autonomie et garantit le les travailleurs contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leurs revenus ». Cette garantie s’exerce par l’affiliation des intéressés à un ou à plusieurs régimes de protection obligatoires. Cette solidarité n’est donc pas « nationale » au sens de « réservée aux nationaux », mais une solidarité de la nation à l’égard de toute personne résidant en France face aux risques sociaux.
La Cour européenne des droits de l’homme a un raisonnement identique à celui du Conseil constitutionnel. Et pour cause ! Les personnes étrangères, travaillant en situation régulière, contribuent au financement de ces prestations en partie par leur travail (les salaires servant de base aux cotisations qui les financent). La promesse de Marine Le Pen reviendrait à obliger des personnes à financer un système dont elles ne bénéficieraient pas. Autre conséquence, les employeurs qui versent leur part patronale de la cotisation famille pourraient considérer qu’ils paient inutilement dans le cas de travailleurs étrangers, qui seraient privés du bénéfice de la branche « Famille » de la Sécurité sociale, et demander à en être exemptés. Cela rendrait le coût du travail, et donc de l’embauche de salariés étrangers, plus attractifs… ce qui, on l’imagine, est loin d’être l’objectif poursuivi par Marine Le Pen.
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Marine Le Pen souhaite « sortir d’un certain nombre d’articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ».
Marine Le Pen a déclaré vouloir un « opt-out » (désengagement partiel) de la France de certains articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH). La raison en est simple : elle souhaite, de cette façon, être en mesure d’expulser sans restriction les djihadistes condamnés puis libérés en France vers leur pays d’origine, alors qu’ils risqueraient d’y subir la peine de mort, la torture ou des traitements inhumains ou dégradants ; ce que la CEDH interdit.
Pour appuyer son argumentaire, la présidente du Rassemblement National a cité l’exemple du Danemark en, commettant une confusion entre le Conseil de l’Europe (dont relève effectivement la CEDH) et l’Union européenne qui a, en effet, permis des « opt-out » pour ce pays sur les décisions relevant de l’espace européen de liberté, de sécurité et de justice, qui supprime les contrôles des personnes aux frontières intérieures et développe une politique commune en matière d’asile, d’immigration et de contrôle des frontières extérieures.
Du côté du Conseil de l’Europe, tenter l’« opt-out » ne sera pas facile. L’expulsion systématique de djihadistes ou d’islamistes, alors qu’ils risquent de subir la peine de mort, la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans leur pays d’origine, entre en conflit avec l’article 3 de la Convention. Pour parvenir à ses fins, Marine Le Pen devrait donc demander à bénéficier d’une « dérogation » prévue par l’article 15 , qui permet de se soustraire aux obligations de la Convention en cas de circonstances exceptionnelles. Toutefois ce même article 15 prévoit qu’il n’existe pas de dérogation possible… à l’article 3. L’opt-out n’est donc pas possible.
Par ailleurs s’il a été possible de formuler des réserves à la CEDH au moment de la ratification, c’est trop tard désormais. Une réserve à un traité est le fait pour un État, lorsqu’il le signe, d’exclure ou de modifier l’application de certaines dispositions du traité à son égard. Il n’est plus possible de formuler des réserves a posteriori. L’unique solution restante serait alors de dénoncer totalement la CEDH, et provoquer une sortie de la France du Conseil de l’Europe. Une sorte de « Frexit » du Conseil de l’Europe. Puis la France y retournerait, en émettant de nouvelles réserves cette fois sur l’article 3.
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Référence : AJU286059