Club des juristes : mieux comprendre la transformation numérique du droit

Publié le 03/07/2018

Avec l’arrivée des nouvelles technologies, le marché du droit évolue et tente de s’approprier les outils de ces innovations. En avril dernier, le Club des juristes a décidé de développer un nouveau pôle spécialement dédié à la transformation numérique du droit. Il a été placé sous la responsabilité de Bruno Deffains, professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris 2), qui a défini ses missions prioritaires.

Depuis sa création en 2007, le Club des juristes a vocation à promouvoir la place du droit dans le débat public, il fait entendre sa voix à travers les travaux de ses commissions et l’organisation d’événements thématiques. Pour répondre aux nombreuses interrogations sur l’impact des nouvelles technologies dans le domaine du droit, un nouveau pôle a été créé, en avril 2018, entièrement dédié à cette transformation numérique du droit. De la question de l’évolution des cabinets d’avocats à celle de la régulation des données et des algorithmes, le pôle entend proposer des analyses, des études et des approches originales, en s’appuyant sur l’expertise de professionnels de différents secteurs et d’universitaires.

« Depuis 2 ou 3 ans, la transformation numérique est au cœur de l’évolution du marché du droit et nous pensons donc qu’il est nécessaire de contribuer à la réflexion sur ce sujet », explique Bruno Deffains, professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris 2) et membre de l’Institut universitaire de France. Cet économiste qui a rejoint l’université en 2010, a créé le master de Droit et économie, il est également à l’origine du premier diplôme universitaire français sur la transformation numérique du droit et de la legaltech. Responsable du pôle, il a constitué un comité scientifique éclectique afin de construire une réelle réflexion autour de ces questions. Entretien.

LPA

Quelles sont les missions de ce nouveau pôle ?

B.D.

Parler de transformation numérique, c’est un sujet à la fois vaste et ambitieux. Nous avons donc décidé de créer un pôle avec des actions à la fois spécifiques et structurelles. Le souci de la plupart des acteurs confrontés à ces innovations technologiques est qu’ils oscillent entre une attraction très forte pour ces nouveaux outils et une inquiétude sur les risques et les conséquences. J’ai donc mis en place un comité scientifique chargé de définir les axes prioritaires avec l’objectif de produire différents types de livrables (rapports, communications ou conférences sur les différents thèmes retenus). Nous sommes là pour proposer des éclairages, de façon argumentée, dont les acteurs tant publics que privés peuvent avoir besoin. Nous nous adressons à l’ensemble des acteurs de la filière droit, notamment aux consommateurs de droit qui seront, je l’espère, les bénéficiaires in fine de cette transformation numérique. L’objectif est de comprendre comment la transformation digitale peut contribuer à créer une valeur sociale pour la collectivité dans son ensemble.

LPA 

Comment avez-vous constitué le comité scientifique ?

B. D.

Pour la constitution du comité scientifique, nous tenions à une diversité des profils. Il y a des universitaires, des praticiens du droit, des magistrats, des avocats, des notaires, des juristes d’entreprises, des legaltechs, des éditeurs juridiques, pour le dire simplement il faut mobiliser toute la communauté des juristes. C’est l’objectif de ce projet, à savoir développer une réflexion sur les mutations en cours avec les acteurs du droit et des professionnels du numérique. L’écosystème du droit doit apprendre à travailler en mode « collaboratif ». Il faut rassembler toutes les compétences pour y voir plus clair sur les enjeux économiques et sociaux de la transformation numérique. Tout le monde se pose des questions à ce propos comprenant qu’il y a, d’une part, des opportunités fantastiques et, de l’autre, des incertitudes. L’ensemble de ces interrogations doit être appréhendé de manière compétente et rigoureuse.

LPA 

Quels sont les sujets à l’étude ?

B. D.

Pour l’instant, nous avons une dizaine de thématiques identifiées qui devraient être traitées au cours de la période 2018-2020. De manière non exhaustive, il y a bien entendu les questions relatives à l’organisation des métiers confrontés au choc technologique. Quel est l’impact sur les cabinets d’avocats, sur les études notariales, sur les directions juridiques ? Les technologies elles-mêmes doivent être analysées s’agissant aussi bien des algorithmes de la justice prédictive ou de la technologie blockchain. Il conviendra de suivre l’évolution de la structure du marché sous l’effet du développement des legaltechs. Nous souhaitons également comprendre l’impact de la transformation digitale sur le quotidien des personnes, à commencer par les questions liées à l’identité numérique, mais aussi à la protection des données personnelles. Mais il faut également étudier l’impact de la transformation numérique sur le droit lui-même. Par exemple, une question importante est de comprendre dans quelle mesure le droit des obligations et le droit de la responsabilité vont être affectés par cette transformation. Et n’oublions pas toute la problématique du service public de la justice et de ses rapports au numérique, s’agissant notamment de l’accessibilité du droit et des questions liées à l’organisation des juridictions. La contribution du numérique à l’état de droit est centrale. Celle de la régulation des algorithmes, en particulier la question de leur transparence, retiendra aussi notre attention.

LPA

Dans quel état se trouve le marché du droit aujourd’hui par rapport à cette transformation numérique ?

B. D.

Les préoccupations des professionnels et de leurs clients sont d’avoir accès à l’information et de renforcer leur connaissance des conditions dans lesquelles les droits seront mis en œuvre demain. La collecte des données et leur exploitation peuvent permettre d’améliorer cette connaissance, d’avoir un meilleur accès au droit et peuvent ainsi contribuer au bon fonctionnement de nos démocraties. Il y a cependant beaucoup d’interrogations à la fois juridiques, économiques, sociétales et politiques… Ces questions sont loin d’être réglées et elles vont nécessiter d’y passer du temps. Nous sommes encore au tout début de l’aventure. Il y a eu un choc technologique, mais cela va évoluer encore. Ce qui est certain, c’est que cette transformation impacte les structures, les comportements et les performances de l’ensemble des acteurs.

LPA 

Quels sont les défis à relever ?

B. D.

Le marché du droit est une réalité. Le premier défi est de développer une culture de l’innovation comme cela existe pour d’autres secteurs d’activités. Ensuite, comme la plupart des marchés, celui du droit est imparfait et il doit donc être régulé. Ces nouveaux outils numériques, nous prenons la mesure de leur potentiel, mais aussi de leurs limites et des risques qu’ils font naître. Comme je l’ai déjà indiqué, cela suppose de s’interroger sur des modalités d’interventions efficaces pour que le droit reste au cœur du projet numérique. Le droit doit rester au centre du jeu. Mais la priorité c’est aussi de permettre à chacun (prestataires et consommateurs de services juridiques) d’avoir une meilleure compréhension, une meilleure éducation à propos de ces outils et à leurs conditions d’utilisation. Le principal défi aujourd’hui est certainement celui de la formation des juristes et des non-juristes. Les juristes doivent pouvoir accéder à ces nouvelles formes d’écriture et de langage, ce qui n’impose pas de se transformer en ingénieurs, mais plutôt d’apprendre à dialoguer avec d’autres champs disciplinaires, comme l’économie et les « data sciences ».

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