Droit voisin : Google perd en appel contre l’Autorité de la concurrence

Publié le 14/10/2020

En avril, le professeur Emmanuel Derieux décryptait pour nous la décision de l’Autorité de la concurrence imposant à Google, dans le cadre de mesures conservatoires, de négocier avec les éditeurs de presse sur le délicat sujet des droits voisins. Le 8 octobre dernier, la Cour d’appel de Paris (1) a confirmé la décision de l’Autorité. Explications. 

Par un arrêt du 8 octobre 2020, la Cour d’appel de Paris, saisie par les sociétés Google LLC, Google Ireland et Google France, a rejeté les moyens d’annulation invoqués contre la décision n° 2020-MC-01, du 9 avril 2020, relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des Editeurs de la Presse Magazine (SEPM), l’Alliance de la Presse d’Information Générale (APIG) et l’Agence France Presse (AFP), rendue par l’Autorité de la concurrence (Derieux E, « Droits voisins : Google obligé de négocier avec les éditeurs de presse », Actu-Juridique.fr, 21 avril 2020). 

Droit voisin : Google perd en appel contre l'Autorité de la concurrence
Photo : ©Florence Piot/AdobeStock

Un bras de fer qui a débuté en 2019

Tout avait commencé par un communiqué de Google, du 25 septembre 2019, annonçant que la société refusait de se conformer aux dispositions de la loi n° 2019-475, du 24 juillet 2019, transposant l’article 15 de la directive européenne n° 2019/790, du 17 avril 2019, consacrant un « droit voisin » au profit des éditeurs et des agences de presse.

Elle faisait alors connaître sa décision

*de ne plus afficher « d’aperçu du contenu en France pour les éditeurs de presse européens, sauf si l’éditeur a fait les démarches pour indiquer que c’est son souhait »,

*et de ne « pas rémunérer les éditeurs de presse pour la reprise de leurs contenus éditoriaux ».

Aux éditeurs de presse n’était ainsi laissée que la possibilité, soit d’accepter les conditions unilatéralement imposées par Google, soit que leurs publications ne soient plus référencées par le moteur de recherche, se privant ainsi d’un important moyen d’en assurer la visibilité et la notoriété auprès du public.

Sur saisine des organisations professionnelles de presse, l’Autorité de la concurrence, par décision du 9 avril 2020, adressait, « à titre conservatoire et dans l’attente d’une décision au fond », aux sociétés Google, injonction notamment :

* « de négocier de bonne foi, avec les éditeurs et agences de presse ou les organismes de gestion collective qui en feraient la demande, la rémunération due par Google », à ces derniers, « pour toute reprise des contenus protégés sur ses services », et « selon des critères transparents, objectifs et non discriminatoires » ; 

* de « maintenir, pendant la période de négociation, les modalités d’affichage mises en place depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2019-775 », du 24 juillet 2019, relative aux droits voisins des agences et des éditeurs de presse, « selon les paramètres retenus par les éditeurs » ; 

* de permettre à ceux d’entre eux, « n’ayant pas accordé à Google d’autorisation de reprise de leurs contenus protégés, mais souhaitant entrer en négociation, de ne pas s’opposer à l’affichage de leurs contenus protégés au sein de ses services selon les modalités choisies par » eux « pendant la période de négociation » ;

* de conduire celle-ci « dans un délai de trois mois à partir de la demande d’ouverture » ; 

* de « prendre les mesures nécessaires pour que les négociations prévues n’affectent pas les autres relations économiques qui existeraient » entre eux.

Saisie des moyens par lesquels Google contestait la décision de l’Autorité de la concurrence, la Cour d’appel a statué principalement :

* sur le « moyen tiré de l’absence de pratique anticoncurrentielle probable imputable à Google » ; 

*sur « l’atteinte grave et immédiate à l’économie générale ou au secteur de la presse » ; 

* et « sur le caractère nécessaire et proportionné des mesures conservatoires ».

La Cour a rejeté l’ensemble des moyens invoqués par Google et confirmé les mesures ordonnées par l’Autorité de la concurrence, à titre conservatoire et dans l’attente d’une décision au fond. Cela ne préjuge cependant pas de la décision qui sera alors prise et de l’analyse que pourront encore en faire les juridictions françaises, sous le contrôle éventuel du juge européen.

La consécration indirecte ainsi faite d’un « droit voisin » des agences et des éditeurs de presse leur sera-t-elle véritablement favorable ? Ne leur suffisait-il pas de se prévaloir de droits d’auteurs ?

Et si le droit voisin ne présentait qu’un intérêt limité ?

Face aux usages susceptibles d’être faits du contenu de leurs publications par des moteurs de recherche du type de Google, les droits des éditeurs de presse, par ailleurs titulaires originaires des droits d’auteur sur l’ensemble que constitue l’œuvre collective et largement cessionnaires des droits d’auteurs des journalistes, en sortiront-ils renforcés ? 

Introduit par la loi de juillet 2019, l’article L. 211-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose que, s’agissant de ce dit droit voisin, « la durée des droits patrimoniaux des éditeurs de presse et des agences de presse est de deux ans à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle de la première publication d’une publication de presse ». Par principe, la durée de protection du droit d’auteur est, en application des articles L. 123-1 et L. 123-3 dudit Code, de « soixante-dix années » après la mort de l’auteur, pour les œuvres individuelles, et « à compter du 1er janvier de l’année civile qui suit la date » de la publication, pour les œuvres collectives.

Par ailleurs, aux termes de la directive européenne du 17 avril 2019, la protection du droit voisin des éditeurs et des agences de presse « ne s’applique pas aux actes hyperliens », ni à « l’utilisation de mots isolés » (que, en tant que tels, nul ne peut évidemment s’approprier) « ou de très courts extraits d’une publication de presse », non plus qu’« aux publications publiées pour la première fois avant le 6 juin 2019 ».

Si les agences et les éditeurs de presse ne doivent se prévaloir, sur les contenus publiés par eux, que de ces droits voisins, la portée de ceux-ci s’avérera très limitée !

Nécessairement soumises au respect du système concurrentiel, les relations entre les sociétés exploitant un moteur de recherche, tel que celui de Google, principalement utilisé par tous, et les agences et les éditeurs de presse apparaîtront-elles, y compris de ce point de vue, correctement encadrées par la consécration, discutable en théorie comme en pratique, d’un droit voisin sur le contenu de leurs publications ? 

 

(1) Paris, Pôle 5, ch. 7, 8 octobre 2020, n° 20/08071, Stés Google c. SPEM et autres

 

X