Mort de F. Leclerc-Imhoff : Quelle protection pour les journalistes en missions périlleuses ?

Publié le 02/06/2022

Mettant leur sécurité et même leur vie en danger, pour assurer notre information, les journalistes reporters de guerre bénéficient, en ces circonstances, de quelques éléments de protection juridique généraux ou spécifiques dont la portée et l’efficacité demeurent cependant limitées. On fait le point avec Emmanuel Derieux, professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2) et auteur de Droit des médias. Droit français, européen et international.

Mort de F. Leclerc-Imhoff : Quelle protection pour les journalistes en missions périlleuses ?
Photo : ©AdobeStock

Ce 30 mai, Frédéric Leclerc-Imhoff, jeune journaliste reporter d’images (JRI), a été tué en Ukraine alors que, pour un reportage télévisé, il accompagnait un convoi humanitaire. Il est ainsi le 8e journaliste tué depuis l’entrée de l’armée russe sur le territoire ukrainien, le 24 février dernier. Une cinquantaine de journalistes ont été blessés et/ou victimes d’agressions et de mauvais traitements. Les dispositions juridiques générales ou spécifiques, qui sont supposées contribuer à assurer leur protection, s’avèrent, du fait même de la guerre qui constitue largement une situation de non-droit, d’une utilité restreinte.

Dispositions générales

Les principales dispositions générales de droit international susceptibles de contribuer à la protection des journalistes, comme de tous les autres civils, en situation de conflit armé sont la Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et le statut de la Cour pénale internationale.

Convention de Genève

Parmi les conventions dites de Genève, du 12 août 1949, la Convention (IV) est relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.

En son article 2, il est posé qu’elle « s’appliquera en cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des Hautes parties contractantes » (ce qui est le cas tant de la Fédération de Russie que de l’Ukraine), « même si l’état de guerre n’est pas reconnu par l’une d’elles ».

Son article 4 dispose que « sont protégées par la Convention les personnes qui, à un moment quelconque et de quelque manière que ce soit, se trouvent, en cas de conflit ou d’occupation, au pouvoir d’une Partie au conflit ou d’une Puissance occupante dont elles ne sont pas ressortissantes ». 

Aux termes de son article 16, « les blessés et les malades […] seront l’objet d’une protection et d’un respect particuliers. Pour autant que les exigences militaires le permettront, chaque Partie au conflit favorisera les mesures prises pour rechercher les tués ou blessés, venir en aide aux […] personnes exposées à un grave danger ».

Statut de la Cour pénale internationale

Le statut, dit « de Rome », de la Cour pénale internationale (CPI) a été adopté, le 17 juillet 1998, pour juger notamment des crimes de guerre.

Dans son Préambule, les Etats parties reconnaissent notamment que des crimes graves « menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde ». Ils affirment que « les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre national et par le renforcement de la coopération internationale ». Ils se disent « déterminés à mettre un terme à l’impunité des auteurs de ces crimes et à concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes ».

Son article 1er pose qu’« il est créé une Cour pénale internationale en tant qu’institution permanente, qui peut exercer sa compétence à l’égard des personnes pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale […] Elle est complémentaire des juridictions pénales nationales ».

L’article 5 détermine sa compétence à l’égard notamment des « crimes de guerre ».

Son article 8 qualifie ainsi : « a) les infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’ils visent des personnes ou des biens protégés par les dispositions des Conventions de Genève : i) l’homicide intentionnel ; ii) la torture ou les traitements inhumains […] iii) le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter gravement atteinte à l’intégrité physique ou à la santé […] b) les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du droit international, à savoir, l’un quelconque des actes ci-après : i) le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que telle ou contre des civils qui ne participent pas directement aux hostilités […] iv) le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu’elle causera incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles ». 

Aux termes de l’article 14, « tout Etat partie peut déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis, et prier le Procureur d’enquêter sur cette situation en vue de déterminer si une ou plusieurs personnes identifiées devraient être accusées de ces crimes ».

Des enquêtes pour différents crimes de guerre, du fait de violations de ces dispositions, lors de l’actuel conflit en Ukraine, ont été ouvertes par le Procureur de la CPI. Aboutiront-elles, un jour, à des condamnations, du fait d’actes dont, parmi beaucoup d’autres, des professionnels des médias ont été les victimes ?

A défaut de « compétence universelle » des juridictions nationales de chacun des Etats, du fait de la nationalité des victimes, les juridictions pénales du pays dont elles relèvent peuvent, par ailleurs, connaître de tels actes.

A ces dispositions générales, protectrices des populations civiles, dont font partie les journalistes, s’ajoutent, en faveur de ceux-ci, quelques dispositions spécifiques.

Dispositions spécifiques

Les dispositions spécifiques complémentaires protectrices des journalistes en missions périlleuses relèvent du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève, de résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies et de diverses initiatives professionnelles et personnelles.

Protocole additionnel aux Conventions de Genève

Adopté en 1977, le Protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes de conflits armés internationaux (Protocole I) dispose, en son article 79 ayant pour objet des « mesures de protection des journalistes », que « 1. Les journalistes qui accomplissent des missions professionnelles périlleuses dans des zones de conflit armé seront considérés comme des personnes civiles […] 2. Ils seront protégés en tant que tels […] à la condition de n’entreprendre aucune action qui porte atteinte à leur statut de personnes civiles et sans préjudice du droit des correspondants de guerre accrédités auprès des forces armées de bénéficier du statut » de prisonnier de guerre « prévu par l’article 4 A.4 de la IIIe Convention » ; « 3. Ils pourront obtenir une carte d’identité […] délivrée par le gouvernement de l’Etat dont ils sont les ressortissants, ou sur le territoire duquel ils résident ou dans lequel se trouve l’agence ou l’organe de presse qui les emploie », attestant « de la qualité de journaliste de son détenteur ».

Résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies

Se référant aux Conventions de Genève, aux dispositions relatives aux « mesures de protection des journalistes » du Protocole I additionnel auxdites Conventions et à diverses Résolutions relatives à la protection des civils en période de conflit armé, la Résolution 1738 (2006), du 23 décembre 2006, du Conseil de sécurité des Nations Unies « 1. Condamne les attaques délibérément perpétrées contre des journalistes, des professionnels des médias et le personnel associé visés ès qualité en période de conflit armé, et demande à toutes les parties de mettre fin à ces pratiques ; 2. Rappelle à cet égard que les journalistes, les professionnels des médias et le personnel associé qui accomplissent des missions professionnelles périlleuses dans des zones de conflit armé doivent être considérés comme des personnes civiles et doivent être respectés et protégés en tant que tels, à la condition qu’ils n’entreprennent aucune action qui porte atteinte à leur statut de personnes civiles, et sans préjudice du droit des correspondants de guerre accrédités auprès des forces armées de bénéficier du statut de prisonnier de guerre […] 3. Rappelle également que le matériel et les installations des médias sont des biens de caractère civil et, en tant que tels, ne doivent être l’objet ni d’attaque ni de représailles, tant qu’ils ne constituent pas des objectifs militaires […] 8. Demande instamment à toutes les parties concernées, en période de conflit armé, de respecter l’indépendance professionnelle et les droits des journalistes, des professionnels des médias et du personnel associé civils ».

Se référant de nouveau aux Conventions de Genève, aux protocoles additionnels, et à ladite Résolution 1738 (2006), la Résolution 2222 (2015), du 27 mai 2015, reprend, pour partie, les termes de la précédente. Elle « […] 4. Condamne fermement la persistance de l’impunité des auteurs de violations et d’atteintes commises à l’encontre de journalistes, de professionnels des médias et de membres du personnel associé en période de conflit armé […] 6. Exhorte les Etats membres à prendre les mesures voulues pour que les auteurs de crimes commis contre des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé en période de conflit armé aient à rendre des comptes […] 10. Rappelle que le matériel et les installations des médias sont des biens de caractère civil et, en tant que tels, ne doivent être l’objet ni d’attaques ni de représailles, tant qu’ils ne constituent pas des cibles militaires ».

Initiatives professionnelles et personnelles

A ces dispositions qui relèvent du droit international, s’ajoutent des initiatives professionnelles, souvent plus matérielles ou pratiques, d’organisations non gouvernementales, d’entreprises employant des journalistes, ou de ces derniers plus personnellement.

Il appartient aux médias qui envoient des journalistes sur des terrains de guerre de prendre, pour eux, toutes les mesures de sécurité (formation, entrainement, équipements) nécessaires ; de les inciter à la prudence ; et de souscrire les assurances permettant leur prise en charge et leur indemnisation, pour eux-mêmes et pour leurs ayants droit, en cas de blessures, d’invalidité ou de décès.

Il a cependant été relevé que de nombreux jeunes journalistes, et notamment des reporters d’images, connaissant notamment la précarité du statut de pigistes, se sont rendus sur le terrain, de leur propre initiative et à leurs risques et périls, sans grande préparation, assurance ni protection matérielle et juridique.

Assurer, au nom du droit du public à l’information, la couverture des situations de guerre implique, de la part des personnels des médias, des prises de risques que, du fait même du contexte, le droit, et notamment le droit international, ne peut que très partiellement encadrer. N’est ainsi accordée qu’une faible sinon assez illusoire protection des journalistes en missions périlleuses.

 

X