Quand la lutte contre le dérèglement climatique contribue à dérégler le droit des médias
Pour lutter contre le dérèglement climatique, le législateur a défini dans la loi du 22 août 2021 un certain nombre de dispositions relatives à l’information et à la publicité. Emmanuel Derieux, professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2) et auteur de Droit des médias. Droit français, européen et international, décrypte les nouveautés touchant au droit de la communication. Il déplore au passage l’apparition d’une source « supplémentaire et inattendue » du droit des médias qui vient aggraver l’instabilité de cette matière.
Parmi les 305 articles de la loi n° 2021-1104, du 22 août 2021, « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets », figurent diverses dispositions relatives à l’information des consommateurs et à la publicité. Certaines ont été regroupées dans un chapitre intitulé « encadrer et réguler la publicité ». Elles constituent ainsi une source supplémentaire et inattendue du droit de la communication ou des médias. Elles modifient et complètent partiellement des mesures éparses (particulièrement du code de l’environnement, mais aussi des codes de la consommation et de la route, et également d’autres textes législatifs non codifiés). Certaines sont elles-mêmes fort longues et portent sur des objets divers. Confondant information et publicité, elles déterminent, à destination des consommateurs, dans un souci d’« action pour le climat », des informations obligatoires et, à l’inverse, des publicités interdites. Elles instaurent, à leur égard, diverses modalités de contrôle et de sanction, relevant de la compétence de différentes autorités.
Informations obligatoires
A la détermination du contenu des obligations d’une juste information des consommateurs, s’ajoutent des dispositions relatives au contrôle et à la sanction de leur non-respect.
Dans le code de l’environnement, est introduite une première série de nouvelles dispositions concernant l’« affichage de l’impact environnemental des biens et services ». Pour écarter toute confusion avec la communication par voie d’affiches, il serait préférable que soient, à cet égard, utilisées des notions telles que celles d’« indications », de « mentions » ou d’« insertions ». Il y est précisé que « cet affichage s’effectue par voie de marquage ou d’étiquetage ou par tout autre procédé adapté » ; qu’il doit être « visible ou accessible par le consommateur, en particulier au moment de l’acte d’achat » ; et que « l’information apportée fait ressortir, de façon fiable et facilement compréhensible pour le consommateur, l’impact environnemental des biens et services ». Les modalités de cet affichage sont appelées à être déterminées par décret. Des expérimentations sont prévues, à cet égard, « dans les secteurs du textile d’habillement, des produits alimentaires, de l’ameublement, de l’hôtellerie et des produits électroniques ». A l’issue de ces expérimentations, l’affichage environnemental sera rendu obligatoire.
Par une autre série de dispositions relatives à la publicité, introduites dans le même code, il est posé qu’« une information synthétique sur l’impact environnemental des biens et services […] est visible et facilement compréhensible dans les publicités » pour « les biens et les services pour lesquels l’affichage environnemental » est « rendu obligatoire », ainsi que, en application d’autres textes, pour les produits et notamment les véhicules concernés par une « étiquette énergie obligatoire ». Par dérogation, ces obligations ne s’appliquent cependant pas « aux publicités radiophoniques ». Dans le temps d’un message publicitaire radiophonique, leur mise en œuvre y apparaît, en pratique, impossible.
Contrôle et sanction du non-respect des obligations d’information
Le « manquement aux obligations » dites d’« affichage » ou d’« information » sur « l’impact environnemental des biens et services » et « l’utilisation ou la publication d’un affichage ne remplissant pas les conditions » exigées sont passibles « d’une amende administrative ». Les textes en déterminent le montant maximum. Ladite amende est prononcée « dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre V du code de la consommation » auquel renvoie le code de l’environnement. Compétence est, en la matière, attribuée à « l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation ».
Il est nouvellement posé que le non-respect de la disposition du code de la route prévoyant que « toute publicité en faveur des véhicules terrestres à moteur est obligatoirement accompagnée d’un message promotionnel encourageant l’usage des mobilités actives, telles que définies » par le code des transports, « ou partagées, ou des transports en commun », est passible d’une sanction pécuniaire, prononcée, « dans des conditions fixées par décret », par « l’autorité administrative ».
Par une autre disposition, qui n’est pas appelée à être codifiée ni introduite dans une loi préexistante, il est posé que « l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse et le Conseil supérieur de l’audiovisuel publient tous les deux ans un rapport mesurant l’impact environnemental des différents modes de diffusion des services de médias audiovisuels. Ce rapport a vocation à renforcer l’information des consommateurs sur la consommation énergétique et les émissions de gaz à effet de serre liées à la consommation de contenus audiovisuels, à la fabrication des terminaux et périphériques de connexion ainsi qu’à l’exploitation des équipements de réseaux et des centres de données nécessaires à cette consommation ».
L’article suivant de la loi votée prévoyait de confier à l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse la faculté de recueillir certains documents ou informations relatifs à l’empreinte environnementale du secteur des communications électroniques ou des secteurs qui lui sont liés et de préciser les règles concernant les contenus et les modalités de mise à disposition d’informations relatives à cette empreinte. Mais, considérant que ces dispositions, introduites en première lecture, ne présentaient pas de lien, même indirect, avec le projet de loi initial, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2021-825 DC, du 13 août 2021, les a déclarées non conformes à la Constitution.
Publicités interdites
A la détermination du contenu des interdictions de publicité, s’ajoutent également des dispositions relatives au contrôle et à la sanction de leur non-respect.
Un autre volet des dispositions nouvelles introduit, dans le code de l’environnement, des mesures restreignant la « publicité sur les produits et services ayant un impact excessif sur le climat ». Y sont interdites « la publicité relative à la commercialisation ou faisant la promotion des énergies fossiles » et celle « relative à la vente ou faisant la promotion de l’achat de voitures particulières neuves » émettant, selon le renvoi fait à une autre disposition législative, plus d’un certain volume de dioxyde de carbone par kilomètre.
De nouvelles dispositions introduites dans le même code sont relatives aux « allégations environnementales ». Sauf fourniture, par l’annonceur, d’éléments d’information en la matière, il y est « interdit d’affirmer dans une publicité qu’un produit ou un service est neutre en carbone ou d’employer toute formulation de signification ou de portée équivalente ».
Aux termes d’autres nouvelles dispositions dudit code, « le règlement local de publicité peut prévoir que les publicités lumineuses et les enseignes lumineuses situées à l’intérieur des vitrines ou des baies d’un local à usage commercial qui n’est pas principalement utilisé comme support de publicité et destinées à être visibles d’une voie ouverte à la circulation publique respectent des prescriptions qu’il définit en matière d’horaire d’extinction, de surface, de consommation énergétique et de prévention des nuisances lumineuses ».
Un autre nouvel article de ce même code interdit désormais « la publicité au moyen d’une banderole tractée par un aéronef ».
Dans les dispositions de ce code relatives à la « lutte contre le gaspillage », il est posé que, selon des modalités à fixer par décret, « au plus tard le 1er juillet 2022 », il sera « interdit de fournir à un consommateur, sans demande de sa part, un échantillon d’un produit dans le cadre d’une démarche commerciale ». Par dérogation, il est cependant prévu que « l’acte d’achat ou d’abonnement à une publication de presse […] emporte présomption de demande de la part du consommateur des éventuels échantillons que cette publication peut contenir, dès lors que cette présence est indiquée ou visible ». De plus, il est précisé qu’« une publication de presse […] ou son fac-similé ne sont pas considérés comme des échantillons ».
Par une disposition introduite dans le code de la consommation, « est interdite toute forme de publicité ou de communication proposant une remise ou une réduction annulant ou réduisant pour le consommateur final l’effet du malus prévu à l’article 1012 ter du code général des impôts », en fonction des « émissions de dioxyde de carbone ».
Une disposition de la loi, non codifiée ni introduite dans un texte préexistant, prévoit, dans certaines collectivités territoriales, l’interdiction « à titre expérimental et pour une durée de trois ans, la distribution à domicile d’imprimés […] à visée commerciale non adressés, lorsque l’autorisation de les recevoir ne fait pas l’objet d’une mention expresse et visible sur la boîte aux lettres ou le réceptacle du courrier ». Il y est indiqué que « cette expérimentation a pour but d’évaluer l’impact environnemental d’une telle mesure, notamment sur la production et le traitement des déchets de papier, ses compétences sur l’emploi, sur les secteurs d’activité concernés et sur les comportements des consommateurs ainsi que ses éventuelles difficultés de mise en œuvre ». Par dérogation, « les échantillons de presse sont exclus de cette expérimentation ». Il est par ailleurs envisagé que les collectivités territoriales puissent « définir des secteurs exclus du champ de cette expérimentation, en particulier le secteur culturel et la presse ».
Contrôle et sanction du non-respect des interdictions de publicité
Le non-respect des interdictions de publicité est, selon les dispositions nouvelles du code de l’environnement, passible d’une amende. Le texte en détermine le montant, tout en prévoyant que, « en cas de récidive, il puisse « être porté au double », et même que, en toutes circonstances, il puisse être fixé « jusqu’à la totalité du montant des dépenses consacrées à l’opération illégale ».
Dans les dispositions dudit code relatives à la « protection du cadre de vie », et spécifiquement à la réglementation de la publicité, aux enseignes et pré-enseignes, il est, par ailleurs, nouvellement posé que « les compétences en matière de police de la publicité sont exercées par le maire au nom de la commune » et qu’elles « peuvent être transférées au président de l’établissement public de coopération intercommunale ».
Les dispositions du code de la consommation réprimant les « pratiques commerciales trompeuses » sont complétées par une mesure prévoyant que « le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit », jusqu’à « 80 % » du chiffre d’affaires annuel de l’annonceur, « dans le cas de pratiques commerciales trompeuses » reposant « sur des allégations en matière environnementale ».
Il est encore posé que « le non-respect de l’interdiction » d’allégations relatives à la neutralité carbone d’un produit ou service sera passible d’une sanction prononcée par l’autorité administrative, dans des conditions à fixer par décret.
Dans l’article 14 de la loi du 30 septembre 1986 « relative à la liberté de communication » audiovisuelle, qui détermine les pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel en matière de contrôle de la publicité, il est posé que « les autorités d’autorégulation mises en place dans le secteur de la publicité adressent chaque année au Parlement un rapport faisant état des dispositifs d’autorégulation existants et présentant le bilan » général « de leur action ». Il y est ajouté que « le Conseil supérieur de l’audiovisuel promeut […] en matière environnementale, des codes de bonne conduite […] ayant notamment pour objet de réduire de manière significative les communications commerciales sur les services de communication audiovisuelle et sur les services proposés par les opérateurs de plateforme en ligne […] relatives à des biens et services ayant un impact négatif sur l’environnement ». A l’article 18 de la même loi, il est ajouté que « le rapport annuel d’activité établi par le Conseil supérieur de l’audiovisuel présente » un « bilan de l’efficacité » desdits « codes de bonne conduite ».
De bien d’autres éléments de la loi du 22 août 2021, par lesquels il est cherché à lutter « contre le dérèglement climatique » et à renforcer « la résilience face à ses effets », ont été dégagés ici ceux qui visent à « informer, former et sensibiliser » à ces questions et particulièrement à « encadrer et réguler la publicité ». Est ainsi introduite, jusqu’à les dénaturer, une certaine confusion entre « information » et « publicité », et cependant accordé, à l’égard d’obligations ou d’interdictions nouvelles, un régime dérogatoire favorable à quelques-uns des médias. Une fois encore (« La loi ‘confortant le respect des principes de la République’ accroît la confusion en droit des médias », Actu-Juridique.fr, 27 août 2021), ces multiples dispositions partielles, insérées dans des textes épars, contribuent à l’inflation et à l’instabilité du droit des médias. Celui-ci y trouve certaines de ses composantes, dans des conditions qui sont constitutives d’une sorte d’incessant et bien regrettable « dérèglement juridique ». Cela ne saurait en rien contribuer à la « résilience » attendue de ce droit.
Référence : AJU241431