« Cette femme est incapable de se protéger, c’est à la justice de s’en charger. »

Publié le 27/07/2022

Bernard, 50 ans, a frappé sa compagne. Il est interpellé et jugé pour des violences sur conjointe, le 12 juillet à Pontoise. C’est la 3e fois pour cet homme qui n’avait pourtant jamais été condamné avant décembre 2020.

« Cette femme est incapable de se protéger, c’est à la justice de s’en charger. »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

L’homme qui tangue dans le box et jette un œil torve sur la salle dépeuplée a mal dormi. À 50 ans, Bernard a l’habitude de se prendre des cuites, mais décuver en garde à vue est toujours une expérience désagréable. Les carreaux prodigieux qu’il arbore sur son nez lui permettent cependant de voir en surplomb de son box, et au milieu des brumes de fatigue et de vodka, le président enjoué qui appelle son dossier, le premier de ce 12 juillet, aux comparutions immédiates du Pontoise.

Bernard est sorti de prison le 27 mai ; il avait été condamné le 7 février dernier à une peine de prison ferme avec mandat de dépôt pour des violences commises en récidive sur sa conjointe, Karima. Il est aujourd’hui de nouveau jugé pour les mêmes faits. « Est-ce que Madame est présente ? Non. Je ne suis pas très surpris », note le président.

Dimanche 10 juillet, la fille de Karima appelle la gendarmerie de L’Isle-Adam en fin de journée, car sa mère est enfermée depuis plusieurs heures dans la chambre 42 de l’hôtel Kyriad de Chaumontel, avec Bernard qui pourtant n’a pas le droit d’entrer en contact avec elle. Elle craint que son compagnon la violente de nouveau.

Les gendarmes se rendent sur les lieux et, lorsqu’ils entrent dans la chambre, le plus grand calme règne. Karima est interrogée : a-t-elle subi des violences ? Elle répond par la négative. Mais un gendarme remarque des « stigmates », relate le président, qu’elle présente à plusieurs endroits de son corps et de son visage. Alors, elle finit par expliquer que oui, Monsieur l’a frappée. Les gendarmes embarquent Bernard, qui souffle dans l’éthylotest un peu tardivement, 2 heures après son interpellation, mais affiche toujours un taux respectable de 1,4 gramme par litre de sang.

« Alors Monsieur le juge, je bois beaucoup moins qu’avant ! »

Karima refuse de déposer plainte, et même seulement d’être entendue, mais les gendarmes parviennent à prendre des photos de son corps molesté ; ecchymoses et hématomes viennent lester le dossier de Bernard. Le président fait tourner les clichés à ses assesseurs (« regardez, on le voit bien là »), qui hochent la tête gravement.

Le président se retourne vers le prévenu : « Alors, Monsieur, expliquez-nous un peu. » Bernard essaie de se donner une contenance. « En fait, on a passé une journée comme d’habitude, mais sa fille ne veut pas qu’on soit ensemble », lance-t-il l’air dépité.

Le président recentre la discussion : « Comment expliquez-vous les traces ?

— Une partie des blessures, je reconnais c’est ma part…

— Lesquelles ?

— Le dos et les joues.

— Pourquoi lui avoir mis des coups ?

— J’étais énervé.

— Et qu’est-ce qu’elle avait fait pour vous énerver ?

— Elle avait bu et elle était agressive !

— Et vous, vous ne buvez pas peut-être ?

— Alors Monsieur le juge, je bois beaucoup moins qu’avant !

— Vous aviez quand même 1,4 gramme », relève le président.

Si Bernard admet une partie des faits devant le tribunal, en garde à vue il niait en bloc. « On a eu le droit aux excuses habituelles, raconte le président, elle marque facilement, c’est sa fille qui fait tout pour qu’on se sépare ».

Ça, c’est vrai ! » sursaute Bernard. Le président rétorque sèchement : « Ben vous tapez sur sa maman ! »

Le casier de Bernard et sa mauvaise foi, associés à l’éloquence des traces de coups photographiées sur le corps de Karima, n’incitent pas le président à poursuivre l’interrogatoire sur les faits – l’affaire est ficelée. Comment cet homme qui dérive, alcoolique et violent, a-t-il pu atteindre l’âge de 49 ans sans commettre un délit et, depuis 2020, devenir un habitué du tribunal correctionnel de Pontoise ?

« Je comprends pourquoi le juge d’application des peines est un petit peu énervé »

Le président ne demande pas : il lit le casier de Bernard. Ce dernier est soumis à une interdiction de contact, non pas depuis sa condamnation du 7 février, mais depuis une précédente condamnation, en date du 8 décembre 2020, pour des violences sur Karima, déjà. « Vous aviez été condamné à un sursis probatoire, d’où l’interdiction de contact », qui court jusqu’au 29 mars 2023, rapporte le président. « Je comprends pourquoi le juge d’application des peines est un petit peu énervé. » Le magistrat est favorable à la révocation du sursis de Bernard et à son incarcération immédiate. Le président d’un ton goguenard commente : « C’est un peu sévère mais pas très surprenant. »

Ce sont donc les deux seules condamnations de Bernard. Il faut dire que, jusqu’en 2018, il travaillait. Agent d’accueil en Ehpad. Aujourd’hui SDF et sans activité, il survit grâce à une allocation d’adulte handicapé. Sa vue exécrable lui permet de bénéficier d’un taux d’incapacité de 80 %.

C’est à la procureure de parler : « Je ne sais plus trop quoi requérir. Il exaspère le juge d’application des peines, il exaspère le ministère public, et j’ose espérer qu’il exaspère le tribunal », débute-t-elle en fanfare. « Sur la peine, je suis exaspérée, je ne sais pas quoi faire sinon l’incarcérer jusqu’à ce qu’il ressorte et qu’il recommence », poursuit-elle. « Il n’est pas question d’atténuer la peine car la victime est absente. Cette femme est incapable de se protéger, c’est à la justice de s’en charger. » La procureure réclame 12 mois de prison avec mandat de dépôt et une révocation du sursis à hauteur de 6 mois, soit 18 mois d’incarcération au total.

L’avocate de Bernard tente d’adoucir le récit : « Le tableau que vous avez dressé est à nuancer. Il s’agit de deux personnes SDF et sans emploi, alcooliques. Aujourd’hui, il le sait que la case prison, ça va revenir. » Elle rappelle qu’il a vécu sa première incarcération à 50 ans, et pourtant, Bernard est déjà fataliste. Elle demande une peine plus clémente.

Le tribunal se retire délibérer et revient trente minutes plus tard pour envoyer Bernard en prison : 10 mois, révocation du sursis à hauteur de 6 mois, et interdiction d’entrer en contact avec Karima pendant 5 ans. Avant de quitter le box, Bernard remercie.

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