Explosion rue de Trévise : À la commémoration, les pleurs de l’enfant d’un pompier tué
Tandis que le parquet de Paris va requérir sous peu le renvoi des mis en examen devant le tribunal, cinq ans après l’explosion rue de Trévise (IXe arrondissement), les proches des quatre morts, accompagnés de blessés et de sinistrés, se sont réunis le 12 janvier sur le site de la tragédie.
L’enfant a 8 ans. L’âge de réaliser que son papa ne reviendra plus, qu’il est mort en héros tant il a sauvé de vies, ce samedi 12 janvier 2019 ; l’âge, aussi, de ressentir le profond chagrin des adultes qui l’entourent. Emmitouflé, il assiste pour la première fois à la commémoration de l’explosion survenue 6, rue de Trévise, l’épicentre du drame, qui a fauché des vies et détruit des immeubles, hôtels, commerces. Elle a tué quatre personnes, en a blessé des dizaines, a jeté à la rue des centaines de locataires et propriétaires.
Alors, quand il entend le nom de son père, Nathanaël Josselin, sapeur à la Brigade des pompiers de Paris, le garçonnet s’effondre. Sa mère le serre et le console, autant qu’Océane, la compagne du défunt ; elle l’a connu quand il était bébé (voir notre encadré consacré aux victimes).
« Démarches administratives épuisantes, parfois même kafkaïennes »
Delphine Bürkli, la maire (Horizons) du IXe arrondissement, consacre une énergie folle à tous ces gens désemparés depuis ce samedi maudit. À leurs côtés, elle s’est battue sans relâche. Émue, l’élue rend hommage aux morts, les pompiers Simon Cartannaz et Nathanaël Josselin, l’infirmière Adèle, la touriste espagnole, Laura, aux blessés qui n’ont pas guéri, Inès, Angéla, Amor, Ameroch. Elle n’oublie pas les sinistrés « qui ont perdu leurs toits, et tous les souvenirs qu’ils abritaient ».
La maire déplore que tous aient été « assommés et usés par des démarches administratives épuisantes, parfois même kafkaïennes (…) Cinq années de combats, de souffrances, d’exaspération, de réunions interminables, de bras de fer avec les assureurs, de palabres avec les avocats. Rien ne pourra effacer vos peines ». Mme Bürkli loue leur courage : « Vous restez dignes et forcez notre respect, mon profond respect, mais je le sais, vous souffrez toujours, tous les jours ». Elle annonce cependant une bonne nouvelle : les riverains retrouveront leur domicile en 2024, au plus tard en fin d’année. Et comme tous, elle attend le procès pour que « chacun ait des réponses et reprenne le cours de sa vie ».
« Des conclusions différentes entre les experts au pénal et au civil »
L’audience correctionnelle pourrait se tenir en 2025, si le calendrier permet de caler ce procès, qui s’annonce long. L’instruction pénale est terminée et le parquet de Paris doit prendre ses réquisitions de renvoi ce mois-ci. Les personnes morales mises en examen en septembre 2020 pour homicides et blessures involontaires sont la municipalité parisienne et la société CIPA, syndic du 6, rue de Trévise. Avec les parties civiles, elles disposeront d’un mois pour faire des observations. La Ville est soupçonnée de ne pas avoir suffisamment cherché les causes de l’affaissement du trottoir, qui a fini par fissurer la canalisation de gaz. Quant à la société CIPA, il lui est reproché de n’avoir pas réparé le collecteur d’eaux usées ; en s’écoulant, celles-ci ont contribué à l’effondrement de la chaussée (nos articles des 28 février et 4 juillet 2023).
En marge des poursuites pénales, l’instruction au civil s’achève aussi et de ce côté, la mise en cause de GRDF ne semble pas exclue, à cause des signes de corrosion sur la canalisation de gaz qu’aurait révélés une expertise dont les conclusions sont attendues. « Les juges d’instruction ne retiennent pas cette hypothèse, indique Linda Zaourar, présidente de VRET (Victimes et rescapés de l’explosion de Trévise). Nous redoutons donc que se tiennent, au procès, d’interminables discussions entre les avocats des parties autour des conclusions différentes entre les experts au civil et au pénal. »
Encore loin de cette échéance judiciaire, Linda Zaourar a pris la parole, ce vendredi, pour déplorer le parcours du combattant qu’endurent toujours les familles des personnes décédées et les rescapés, physiquement atteints ou profondément traumatisés.
« Il faut prouver le traumatisme d’avoir perdu sa mère »
« Les années passent et se ressemblent », a témoigné devant la foule celle qui accompagne des personnes épuisées par les incessantes demandes de justifications du cabinet Sedgwick, qui représente les contributeurs GRDF, la municipalité et le syndic depuis la signature de l’accord-cadre en 2022 (nos articles des 17 janvier 2022 et 13 janvier 2023). Avec d’autres, dont les avocats, elle a bataillé trois ans pour l’arracher, « et à quel prix ! » Au terme de « cinq ans de deuil, de soins, de luttes, tous restent dans l’incapacité de tourner la page » car le combat doit se poursuivre « pour chaque victime, individuellement. Encore aujourd’hui, on éprouve ce sentiment terrible que les assureurs jouent la montre, espèrent que l’usure nous conduira à renoncer à ce qui relève de nos droits, tout simplement de nos droits ».
La présidente de VRET parle « d’abandon, de mépris, de stigmatisation » qui laissent « des traces très concrètes ». Exemple confié en aparté : « On a demandé une provision pour les trois jeunes enfants de Laura [la touriste espagnole], elle a été refusée. Sedgwick exige leur expertise pour savoir s’ils sont traumatisés, à quel degré, par la mort de leur mère. Il paraît que des enfants réagissent bien, nous a expliqué l’assureur… L’impact de cette épreuve va être terrible pour eux. »
Autres injustices : « Destiny, un Hollandais blessé dans un hôtel, n’est pas indemnisé. Sedgwick refuse son expertise » car il n’aurait pas d’attestation d’un psychiatre. « Par ailleurs, le cabinet ne prend en charge qu’une partie du remboursement des consultations auprès des médecins-conseils, 2 140 € sur 5 270 € réglés… Ameroch, sans cesse opéré, était prêt à accepter tant il en a assez », précise Linda Zaourar.
« Prouver, prouver parfois jusqu’à l’absurde ! »
« Nous le disons depuis cinq ans maintenant, nous ne cesserons pas de le dire : l’humain aurait dû être la priorité. Cela aurait changé beaucoup de choses si davantage de mains s’étaient tendues, si nous n’avions pas trop souvent l’impression de déranger », a-t-elle conclu. Opinion partagée par Dominique Paris, la présidente de l’association Trévise Ensemble. Elle lui succède à la tribune et retrace, en une anaphore autour des « cinq ans », le « combat », « la solidarité », « les cicatrices plus profondes que visibles », « l’envie de passer à autre chose et de n’avoir envie de rien ».
Si Dominique Paris admet des avancées « face au collectif d’assureurs qui serre les cordons de la bourse au maximum, jusqu’à 10 € ! », elle dresse un bilan critique : « La ville de Paris avait promis de régler rapidement, avant fin décembre 2021, 20 millions d’euros pour les sinistrés. Fin 2023, il a été versé moins de 4 millions, moins de 20% de la somme promise. » Et c’est sans compter « les demandes qui nous sont faites, suivies de refus, car il faut prouver, prouver parfois jusqu’à l’absurde ! Prouvez que l’explosion a endommagé votre machine à café ! »
La présidente de l’association des riverains victimes le martèle : « Nous ne cherchons pas à profiter du sinistre. Non, nous ne quémandons pas ! Nous voulons être indemnisés décemment, correctement, de nos préjudices sans être accusés d’être fautifs ou de ne pas apporter suffisamment de preuves des préjudices. » Comme Linda Zaourar, elle s’avoue « fatiguée ».
À ce jour, sur 16 personnes morales et 226 personnes physiques incluses à l’accord-cadre, 159 ont reçu une offre de dédommagement, définitive pour 117 d’entre elles. Une centaine seulement ont déjà perçu l’indemnisation. Son montant s’élève pour l’instant, en tout, à 3, 673 428 millions.
Une fois la foule dispersée, des pompiers de Paris profitent de leur footing pour se recueillir là où leurs camarades ont disparu.
« On va immobiliser définitivement ma cheville »
Angela, la danseuse italienne, comme Amor et Ameroch, employés des hôtels soufflés par l’explosion, subissent des interventions à répétition. Sans espoir de redevenir « comme avant ». Ils assistaient à la cérémonie avec Océane, la compagne d’un des pompiers.
« Physiquement, ça ne va pas trop bien. J’ai beaucoup de mal à marcher », résume Angela, jeune danseuse au pied gauche pulvérisé par l’explosion. Elle attend sa onzième opération, capitale. Après avoir cherché en vain un orthopédiste et un spécialiste de la micro-reconstruction dans divers pays, elle s’est résignée « à accepter une arthrodèse qui bloquera définitivement [sa] cheville. J’aurais préféré participer à une chirurgie expérimentale mais le risque d’amputation est trop important. C’est difficile à accepter mais je suis vivante. Je dois rester forte, et j’ai confiance ».
Les salariés de l’hôtel Ibis multiplient aussi les séjours au bloc opératoire, comme Inès. « On doit me poser une nouvelle plaque abdominale car celle que j’ai s’est dégradée », révèle Ameroch. Il sourit mais, à l’image d’Amor, bras en écharpe, il a fait une croix sur sa « vie d’avant ».
Pour Océane, le traumatisme n’est pas physique, bien que la douleur reste permanente. Elle avait 19 ans lors de sa rencontre avec Nathanaël Josselin, l’un des pompiers victimes. Un premier amour qui a duré trois ans et que la tragédie a brutalement pulvérisé. Elle voit régulièrement son fils : « On ne se rend pas compte du temps qu’il faut pour se remettre. Jusqu’à ce jour on le protégeait, on insistait sur ce que son père avait fait pour les autres. Mais là, en voyant tout ce monde, il a vraiment pris conscience de ce qu’est la mort. »
Si Océane pense avant tout à ceux physiquement atteints, elle ne cache pas son émotion « d’être sans cesse replongée dans ce drame. Ça va mal, il faut vivre, parfois survivre. C’est vraiment dur ».
Référence : AJU414433