La fin du retrait de point pour les petits excès de vitesse, enfin !

Publié le 21/04/2023

Le gouvernement vient d’annoncer qu’à partir du 1er janvier 2024, les excès de vitesse inférieurs à 5 km/h relevés par les radars automatiques ne feront plus l’objet de retraits de points. Une décision heureuse, mais très tardive.

La fin du retrait de point pour les petits excès de vitesse, enfin !
Photo : ©AdobeStock/Agence DER

À l’automne 2022, je me trouvais dans la Manche, en touriste, et j’y ai rencontré Pascal Burnel, prêtre de la paroisse de Canisy, qui avait perdu son permis de conduire en raison de plusieurs petits excès de vitesse cumulés, relevés par des radars fixes[1]. Il avait pris la sanction avec philosophie (pardon : religion) et, pour dire ses messes dans sa vaste paroisse rurale, il faisait du stop… Son cas évoque celui de milliers d’autres automobilistes, vivant en dehors des grandes agglomérations, que l’Administration a privés du permis de conduire et qui, depuis, sont socialement parlant « morts », car se trouvant désormais dans l’impossibilité d’aller travailler, de faire leurs courses, voir leur famille et leurs amis, amener les enfants à l’école, se faire soigner… Ou qui conduisent quand même, s’exposant ainsi à des peines de prison (théoriques certes, mais terrorisantes pour les honnêtes gens).

La convivialité forcée style Club Méditerranée des stages de récupération des points

Administration et élus semblaient ignorer ce désarroi social car les gens concernés par ces sanctions sont « invisibles ». Pourtant ils existent, et je les ai rencontrés à l’occasion d’un stage de récupération de points que j’ai suivi récemment, à Tours, car la survie de mon permis de conduire commençait à être sérieusement menacée par les retraits successifs de points, toujours pour des excès de vitesse minimes : moyennant le versement  220 €, j’en ai récupéré quatre. Lors de ce stage, la psychologue a insisté sur le fait qu’il ne suffisait pas d’assister au stage (éventuellement en dormant) mais qu’il fallait y participer activement, c’est-à-dire entrer dans une ambiance de convivialité forcée style Club Méditerranée, en s’appelant par nos prénoms et en répondant publiquement aux questions posées, même les plus indiscrètes, du type : avez-vous déjà pris le volant en état d’ébriété ?

Nous étions 14 stagiaires ; j’étais le seul à avoir fait des études supérieures, et peut-être même le seul, ou un des rares, à avoir le bac. Tous les autres, à part un retraité, étaient des travailleurs, vous savez, ces gens qui se lèvent à 07 h 00 du matin et qui permettent à la société de fonctionner : maçons, chauffeurs routiers, artisans, aides-soignantes, petits commerçants, etc., des gens « simples » mais infiniment plus utiles que nombre de rentiers millionnaires ou encore d’« influenceurs » qui, soit peuvent se payer un chauffeur, soit n’ont pas besoin de quitter leur domicile pour travailler. Parmi eux, deux étaient totalement incapables de répondre à des questions à caractère général du type : « Quelle conclusion tirez-vous de ce stage » et, honteux, gardaient le silence.

Une fois rentrés chez eux, tous ces stagiaires ont certainement raconté leur expérience, et je parie que parmi ceux qui les ont écoutés, plusieurs se sont dit in petto : « Jamais je n’irai, j’aurais trop honte devant les autres… J’ai déjà été humilié à l’école, autrefois, je n’ai pas envie de revivre cette expérience ». Ils s’ajouteront aux autres, incapables de payer les 220 € du stage représentant le cinquième du SMIC ou la moitié d’un RSA. Pour toutes ces personnes, donc, pas de stage de récupération de points, donc plus de permis de conduire… et la mort sociale à la clé. Reclus chez eux, le soir, devant leur télé, ils entendront aux informations que des voleurs récidivistes ou des trafiquants de stupéfiants ont été condamnés puis remis en liberté, avec comme peine un bracelet à porter à la cheville, et se diront, amers : « Qu’est-ce que j’aurais préféré un bracelet au retrait du permis de conduire ! ».

Le coût social des radars routiers

Jusqu’à présent, on nous expliquait que c’était en grande partie grâce aux radars fixes qu’on est passé de 16 000 morts par an sur les routes du début des années 1970, aux 3 000 de nos jours. Mais si les excès de vitesse importants sont, incontestablement, très dangereux, peut-on démontrer qu’un excès de vitesse de 2, 3 ou 4 km/heure fait vraiment la différence entre la vie et la mort ? Or, il s’avère que 60 % des infractions constatées par les radars concernent des excès inférieurs à 5 km/h. Je doute fortement que leur répression ait impacté de manière significative les statistiques de la sécurité routière. Par contre, ce dont je suis sûr, c’est que le coût social des radars routiers est considérable, et qu’il a contribué de façon très importante à fracturer la société française.

En la matière, nous disposons d’un autre exemple : celui de la jacquerie des « gilets jaunes » déclenchée par la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes départementales. Cette décision avait été dictée par le désir, louable, de réduire le nombre de morts et de blessés sur les routes. Radars routiers et vitesse à 80 km/h : ces deux exemples devraient nous inciter à réfléchir sur les résultats de certaines réglementations répressives, certes dictées par de bons sentiments, mais qui ne prennent pas en compte leur impact social. Car, si on allait au bout de ce raisonnement, il faudrait alors supprimer tous les platanes situés aux bords des routes, interdire les véhicules à deux roues (représentant à eux seuls le quart de la mortalité routière), et n’accorder le droit de passer le permis de conduire qu’aux personnes âgées de plus de 24 ans (puisque les jeunes représentent une catégorie très accidentogène). Et pourquoi ne pas supprimer les wagons de queue dans le métro, comme le préconisait Ferdinand Lop, puisque les statistiques démontrent qu’il s’agit des plus accidentogènes… ?

[1] Je me permets de citer son nom, car son cas est connu dans la Manche à la suite de plusieurs interviews qu’il a accordé à la presse locale.

Note : Le commissaire divisionnaire honoraire Julien Sapori a évoqué cette problématique dans son livre Au secours…La Police est malade !, éditions Lamarque, décembre 2022.

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