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Moi, Tony, 30 ans, schizophrène et prisonnier

Publié le 12/07/2021

On estime que près de 20%  des personnes incarcérées souffrent de troubles psychiatriques sévères. Une situation que notre chroniqueuse, Me Julia Courvoisier, juge révoltante. Elle nous livre ce récit inspiré de l’un de ses dossiers. 

Moi, Tony, 30 ans, schizophrène et prisonnier
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Je m’appelle Tony. J’ai 30 ans et je suis né à des milliers de kilomètres de Paris, dans un département un peu oublié. Là d’où je viens, le taux de chômage avoisine les 20%. J’ai toujours été un peu « fragile ».

L’année dernière, j’ai été convoqué au commissariat alors j’y suis allé. Quarante huit heures plus tard, j’ai été amené à Paris en avion. Là j’ai vu des policiers et deux juges différents, puis je me suis retrouvé en prison. Je vous avoue que je n’ai pas tout compris : on me reproche d’avoir commis un crime. Un « truc un peu gros », comme m’ont dit les policiers. Quelque chose de « plutôt grave », m’a expliqué mon avocate.

Mon avocate est censée parler pour moi, c’est son rôle, mais je veux vous raconter moi-même ce que je vis.

« Ils criaient, hurlaient, menaçaient de me tuer, de me couper en morceaux »

J’ai été incarcéré pour la première fois de ma vie en février l’année dernière. Et puis un soir, dans la cellule que je partageais avec trois autres personnes que je ne connaissais pas, j’ai appris que nous allions être confinés. En prison, être confiné c’est le principe mais là, ça a été différent : je ne suis pas sorti du tout de ma cellule de 15m2 pendant 2 mois.

Je ne sais pas comment c’est venu, mais j’ai commencé à entendre des « trucs bizarres ». Alors j’ai fait des aller-retour dans ma cellule pendant des heures et des heures pour que ces voix disparaissent, en vain. J’ai vu des visages apparaitre sur les murs à coté de mon lit. Les surveillants, d’habitude habillés en bleu ou en noir,  sont devenus rouges. Ils criaient, hurlaient, menaçaient de me tuer, de me couper en morceaux.

Mes codétenus m’ont dit que j’étais fou, mais ce sont eux les fous qui font confiance à ces démons et qui leur parlent !

Alors pour me défendre, un matin, je leur ai sauté dessus. Je les ai mordus, frappés, griffés. J’allais pas me laisser tuer par ces envoyés de Satan qui se prétendent surveillants pénitentiaires !

Le soir même, on m’a amené ailleurs : dans un établissement pénitentiaire spécialisé pour les malades psychiatriques. Comme un hôpital, avec des médecins, des infirmières, de la lumière. J’étais seul dans ma cellule. J’ai pu lire un peu, pratiquer des activités. On m’a donné des médicaments matin, midi et soir. J’ai vu plusieurs médecins, j’ai beaucoup parlé.

Quand mon avocate est venue me voir, elle m’a demandé ce que j’avais, mais je ne savais pas quoi lui répondre. Parfois, j’ai peur de la regarder : je ne sais pas si elle est là pour m’aider ou me faire du mal. Je verrai avec le temps ce qu’elle me veut.

J’ai passé 3 mois dans cet hôpital et je suis allé mieux. Mon médecin a diminué ma posologie. J’ai recommencé à écrire des lettres à ma famille. J’ai aussi parlé avec mon avocate, c’était sympa. J’ai enfin pu lui raconter ma vie, les raisons pour lesquelles j’en suis arrivé à être impliqué dans ce dossier. Je lui ai parlé comme je le faisais avant avec mes amis, avec ma famille. Comme quelqu’un de normal.

J’aurai voulu rester là : tout le monde me comprenait, m’écoutait et je n’avais plus peur de personne. Je n’avais plus d’angoisse. Plus de voix dans ma tête.

A la rentrée, comme j’allais mieux, je suis retourné en prison. La vraie prison.

Pour me « protéger », on m’a installé dans une cellule individuelle. Et les voix sont revenues, les visages sur les murs aussi. Je n’ai pas dormi pendant des jours. Mes voisins de cellule cognaient au mur en me disant que je parlais seul, que je hurlais la nuit.

« Les gens habillés de rouge sont revenus dans ma cellule pour me tuer »

En prison, je ne peux pas appeler au secours. Tout est compliqué. Comme je suis isolé, je ne vois personne et je ne parle à personne. Un soir, il était tard, les gens habillés de rouge sont revenus dans ma cellule pour me tuer. Ils étaient partout. J’avais peur, jai appelé mon avocate. Je pensais qu’elle allait m’engueuler parce que le téléphone est interdit, mais non elle m’a parlé, longuement. Je sais qu’ensuite elle a prévenu la prison, mais personne n’est venu m’aider. De temps en temps, je comprends que je ne devrais pas entendre ces voix et voir ces visages apparaitre..

Mon avocate est furieuse car jusqu’à récemment, elle ne savait pas ce que j’avais. Personne ne voulait le lui dire.  Le médecin lui parle de secret médical et me dit que c’est à moi de lui annoncer ce que j’ai. Mais je n’ai rien moi ! Je vais bien enfin !

Je me demande encore parfois si elle me veut du mal ou pas. On verra. Je l’ai vue quand je suis passé devant le juge qui renouvelle ma détention : elle n’a pas l’air si méchante que ça. Parfois même on rigole, on parle de ce qu’il se passe dehors. Des livres qu’elle m’a envoyés, des élections.

J’ai enfin vu un médecin expert parce que mon avocate a râlé auprès de tout le monde. Parfois, quand elle  râle, elle ressemble à un démon. Alors je reste sur mes gardes.

Le médecin a dit que j’étais schizophrène, mais que je suis bien traité en prison, parce que j’ai des médicaments. Juste parce que j’ai des médicaments.

C’est ce qu’il a mis dans son rapport : « compatible avec la détention ».

« Je suis schizophrène et je n’ai pas d’autre choix que d’être emprisonné »

Mon avocate n’est pas contente.

Mais cette fois-ci, je crois qu’elle râle pour mon bien et qu’elle ne veut pas me tuer. Elle dit que ma place est dans un hôpital psychiatrique, là où je serai soigné. Comme l’année dernière. Pour que je ne sois plus un danger pour moi et pour les autres lorsque je sortirai.

Elle dit souvent que c’est justement le moment de me soigner. Que c’est aussi ça le rôle de la justice.

Mais le juge a dit que pour le moment, il n’avait pas d’autre choix que de me laisser en prison. Organiser une sortie avec une hospitalisation, c’est trop compliqué.

Je suis schizophrène et je n’ai pas d’autre choix que d’être emprisonné au lieu d’être hospitalisé.

Pour moi, la prison n’est pas le dernier recours comme le dit le code de procédure pénale, la mesure que l’on ordonne parce qu’il n’y a pas d’autre solution. Moi j’y suis parce que je suis malade, et que je n’y peux rien.

En France, près de 20% des détenus sont atteints d’un trouble psychiatrique sévère.

Je suis un danger pour moi. Mais aussi pour ceux qui m’entourent.

Un jour, je sortirai de prison. Dans quel état ?

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