Procès des attentats du 13 novembre : ces innocents qui n’ont pas fait appel…

Publié le 19/07/2022

Si le procès des attentats du 13 novembre a été salué comme exemplaire à plus d’un titre, et le verdict non frappé d’appel, certaines voix commencent à s’élever pour  critiquer la justice qui a été rendue. C’est ainsi que plusieurs avocats de la défense viennent de publier une tribune dans Le Monde le 18 juillet pour dénoncer le recours par la cour d’assises à des « théories juridiques bancales » ayant abouti à une « décision politique avant d’être une décision de justice ».

Me Gérard Chemla, qui défendait 143 parties civiles dans ce dossier, a décidé de répondre aux auteurs via Twitter. Nous avons trouvé que sa tribune, en ce qu’elle porte sur le déroulement du procès un regard radicalement opposé au premier, permettait ainsi au public de se forger une opinion. C’est pourquoi nous avons choisi de la publier. 

Procès des attentats du 13 novembre : ces innocents qui n'ont pas fait appel...
Photo : ©AdobeStock/Pixarno

 

Passés maîtres dans l’art du communiqué publié par voie de presse, nos confrères de la défense – manifestement frustrés par la décision de leurs clients de ne pas interjeter appel de l’arrêt de la cour d’assises spéciale – expliquent désormais que le procès n’aurait pas été exemplaire, que les peines prononcées seraient féroces et ne traduiraient qu’un jugement politique.

Un peu de bon sens s’impose.

Des attentats féroces, inhumains et stupides

La seule férocité rencontrée dans ce drame est celle de Daesch qui a commencé en Syrie en multipliant les exactions que n’auraient pas reniées les pires bourreaux que l’histoire a connus : viols, égorgements publics, autodafés, exécution par le feu de prisonniers qui avaient pour la plupart comme seul tort d’appartenir à une autre branche de l’Islam, esclavage, jeux de morts exécutés par des enfants ….

Elle s’est poursuivie dans la projection sur le sol européen d’une série d’attentats dont le 13 novembre a été l’exemple le plus barbare. Cette série devait être plus importante et concerner l’Angleterre, les Pays-Bas, peut-être aussi l’Allemagne….elle a fini par toucher la Belgique le 22 mars 2016.

Le principal pays visé était la France, coupable de démocratie, de liberté et de laïcité.

Les attentats du 13 novembre ont été tout à la fois féroces, inhumains et stupides. Des hommes – les yeux dans les yeux – ont longuement tiré sur des hommes et des femmes désarmés et effrayés, dans le seul but d’en tuer le plus possible.

Le procès a été organisé pour être exemplaire en laissant à chacun un temps infini d’expression, en supportant l’arrogance des uns, les mensonges des autres, en allant jusqu’à accepter la confrontation entre un témoin, ancien président de la France, et le terroriste qui voulait le terrasser.

Un seul incident en dix mois

Il n’était pas question d’une victoire sur le terrorisme mais d’une victoire sur notre tentation naturelle de nous venger, de vouloir éliminer…. et de la sublimer par une justice indiscutable.

Elle l’a été.

En 10 mois de procès, il a seulement été demandé aux acteurs du procès de respecter leur tour de parole.

Tout a pu être dit.

Un seul incident a été formé par la défense, qui s’est vite révélé dérisoire.

La décision est vécue comme dure par certains, particulièrement clémente par d’autres.

C’est le lot de toutes les décisions de justice.

Curieusement, depuis l’arrêt, fleurissent des affirmations déplacées d’innocence et d’injustice de la part de certains qui se prétendent innocents alors qu’ils n’ont pas fait appel.

— Innocent Attou qui a en toute connaissance de cause fait la route vers Paris dans la nuit du 13 pour exfiltrer Abdeslam et qui n’a pas parlé lors des contrôles de gendarmerie ?

— Innocent Oulkadi qui a en toute connaissance de cause accueilli Abdeslam le matin du 14 Novembre à Molenbeek, lui a payé le coiffeur et des habits pour qu’on ne le reconnaisse pas, l’a accompagné vers la cache des organisateurs ?

— Innocent Chouaa qui a accompagné Abrini vers la Syrie et est revenu le chercher à Paris parce que son ami se savait repéré par les autorités Belges ?

— Innocent Atar qui, au-delà d’être le frère de l’émir des attentats, multiplie les liens avec ses cousins El Bakraoui avant et après leur sortie de prison au point de faire vérifier par un de ses amis policiers s’il pourra rentrer en Belgique à la sortie des prisons turques sans se faire arrêter et compromettre la cellule terroriste ?

Nous pouvons continuer pour chacun des condamnés.

Des victimes solidaires du travail de la défense

Le fait que des liens d’amitié se soient noués avec certaines parties civiles tout au long du procès n’est pas un passeport d’innocence mais un phénomène humain qui démontre à quel point un long procès peut permettre par l’habitude de la rencontre, de tisser des liens insolites ou de s’apitoyer sur l’un ou l’autre.

Certains se sont « apprivoisés », ce qui démontre à quel point les victimes étaient dans la recherche non pas de la vengeance, mais de l’humanité des accusés.

D’une façon générale, les victimes ont été très solidaires avec le travail des avocats de la défense.

L’une d’elle les a même exhortés à les défendre bien, justement pour qu’on évite un jugement qui ressemblerait à une vengeance alors que les parties civiles tenaient à répondre à la barbarie par la Justice.

La perpétuité incompressible était légalement possible. Il ne s’agit pas d’une perpétuité réelle mais d’une peine qui interdit toute révision avant 30 années.

C’est la peine la plus lourde prévu par notre arsenal judiciaire. Elle doit s’appliquer aux faits les plus graves.

Salah Abdeslam qui a personnellement rapatrié les terroristes, participé au convoi de la mort, enfilé un gilet explosif et essayé de le faire exploser, rejoint la cellule terroriste le 14 novembre pour continuer à préparer des attentats pendant plusieurs mois, évité de donner tout élément de nature à permettre l’arrestation des autres terroristes permettant ainsi la tuerie du 22 mars 2016 est l’un des auteurs des faits les plus graves ayant frappé la France.

Un jugement accepté est un bon jugement

La peine est logique. Elle n’aurait pu se discuter que devant une cour d’assises d’appel.

Je ne distribuerai aucune note mais resterai dans la logique judiciaire : un jugement accepté est légalement un bon jugement.

Il a été rendu après une procédure particulièrement sourcilleuse du droit de toutes les parties et a été accepté.

Le seul commentaire courageux d’un jugement qu’on désapprouve se fait devant une enceinte de justice. Cela s’appelle une justice démocratique. Il est essentiel que tous ceux qui se présentent comme les défenseurs des droits de l’homme la respectent.

La presse a été tout au long du procès particulièrement sensible à la parole de la défense dont la tâche était parfois complexe. Elle aurait hurlé à la moindre injustice.

Elle ne l’a pas fait.

Et pour cause.