Tribunal de Créteil : « J’ai honte du démon qui sommeille en moi… »

Publié le 18/03/2021

S’il avait pu s’agenouiller pour implorer le pardon de ses juges, Yate D. se serait prosterné à leurs pieds. A 36 ans, incapable de surmonter son handicap, il n’en finit pas de se révolter contre la société. Cette fois, il a attaqué un vieil homme et regrette amèrement son geste.

Tribunal de Créteil : « J’ai honte du démon qui sommeille en moi… »
Palais de justice de Créteil, salle des pas perdus. (Photo : ©P. Anquetin)

 « En découvrant les sept pages de son casier judiciaire, le ministère public, qui n’avait jamais vu cela, a été saisi d’inquiétude », indique la procureure pour justifier la comparution immédiate de Yate D. devant la 12e chambre correctionnelle de Créteil (Val-de-Marne). Ce mercredi 10 mars, toutes les affaires examinées révèlent la misère, le désespoir, qui s’accentuent depuis le début de la pandémie de Covid-19, il y a un an. Les magistrats comptent parmi les premiers témoins de la lente dégradation des conditions de vie de leurs concitoyens.

Yate D., licencié en janvier dernier, a été arrêté après le vol du portefeuille de Simon, 87 ans. A cause des 21 condamnations apparues sur son casier, il était inenvisageable de le libérer à l’issue de sa garde à vue. Lui-même a souhaité être vite jugé : « Je ne comprends pas cet acte délictueux contre un vieux monsieur. Cela aurait pu si mal finir pour lui… »

« Je ne cherche pas à apitoyer sur mon sort ! »

Grand, maigre, vêtu d’une veste matelassée marron, Yate D. souffre d’une malformation du bras gauche, dont la gravité ne fait aucun doute. Il lui est impossible de dissimuler son membre, immobilisé en angle droit. Alors, il croit devoir s’excuser : « Je ne cherche pas à apitoyer sur mon sort ! » Tout en lui, son allure, la richesse de son vocabulaire, son éducation, surprend. Que peut-il lui passer par la tête pour qu’il gâche ainsi sa vie depuis l’âge de 14 ans ?

Samedi 6 mars, il a de nouveau dérapé. Au marché de Fontenay-sous-Bois, il repère Simon devant l’étal d’un primeur et lui arrache son portefeuille. Un témoin signale un homme avec un bras handicapé. Une petite foule se précipite derrière Yate, rattrapé sur un parking. « J’ai lâché le portefeuille mais un justicier s’est acharné sur moi à de coups de poing », explique le prévenu gardé par des policiers. Le médecin lui a prescrit cinq jour d’ITT. Simon, ni présent ni représenté, n’a heureusement pas été blessé.

« J’ai des idées noires, je ne m’en sors pas »

 Selon Yate D., qui avait décroché de la délinquance depuis deux ans grâce à un emploi stable, la perte de son travail, liée à la situation sanitaire, lui a de nouveau fait perdre la raison : « Comme on dit vulgairement, j’ai pété les plombs. J’ai des idées noires, je ne m’en sors pas. J’ai honte du démon qui sommeille en moi… » A six reprises, il demande pardon à la victime et à la justice.

La procureure Alice Proy apprécie l’honnêteté et les remords du prévenu de vol aggravé : « Mais le démon ne risque-t-il pas de se réveiller encore ? Je requiers un suivi psychologique, huit mois de prison, dont quatre avec sursis, et je ne m’oppose pas à un régime de semi-liberté. »

En défense, Me Sarah Zebidi, du cabinet parisien Conquy dont Yate D. est un fidèle client, insiste avec compassion mais sans pathos sur « sa fragilité. Déterminant dans son existence, son handicap l’a rendu violent. Un retour en détention aggraverait sa situation, d’autant que son ancien employeur va le réengager ».

« J’avais froid, j’avais faim… »

 Yate D. est reconduit en cellule jusqu’au délibéré rendu en soirée.

Amine K., Marocain de 21 ans, comparaît pour vol par effraction dans la maison du couple G. qui n’a pas pu la réintégrer tant elle a été dégradée. Cheveux bruns noués en catogan, efflanqué sous son blouson usagé, il est incarcéré depuis le 8 août 2020 pour vols dans les transports publics d’Île-de-France. Il admet être sur le sol français sans permis de séjour : « Je suis rentré dans les ennuis à cause de Barbès » (sic). Dans le 18earrondissement parisien, il a sombré dans la délinquance avec des gens désœuvrés comme lui. A sept, ils ont migré à Joinville-le-Pont et se sont installés dans le pavillon des G., partis à Toulouse pendant le premier confinement.

« J’avais faim, j’avais froid, je ne savais pas où dormir. Alors, j’y ai squatté pendant 20 jours. Mais je n’ai volé que des tickets restaurant », dit Amine, refusant d’endosser les multiples autres vols et les dégradations commises dans l’habitation du Val-de-Marne.

« La France n’est pas l’Eldorado annoncé »

 Me Sophie Louis-Palisse, qui représente la partie civile, n’entend pas faire le tri entre les délinquants « qui ont fait un carnage, laissé la maison dans un état innommable et volé jusqu’aux souvenirs de mes clients de 75 ans. Depuis un an, ils vivent chez leurs enfants tant leur émotion est intense ! » La procureure est d’accord : « Les faits sont inadmissibles, a fortiori parce que vous enchaînez les peines pour vols. Je requiers quatre mois de prison ferme et la révocation d’un sursis accordé à Nanterre » (Hauts-de-Seine).

Me Lionel Amougou, commis d’office pour la seconde fois ce 10 mars, ne veut retenir que « la responsabilité des filières d’immigration et l’absence de politique publique efficace. Ces jeunes gens arrivent sur notre territoire et s’aperçoivent que la France n’est pas l’Eldorado annoncé. Le cas de mon client est symptomatique de la désocialisation. La prison ne résout rien ».

Dans la salle d’audience, que le couvre-feu a privée de public, demeure un homme athlétique, élégant. C’est l’un des cinq frères et sœurs de Yate D., le seul alerté pour ne pas infliger le déshonneur à sa famille. La présidente Anne-Julie Paschal rappelle le prévenu. Il accueille la condamnation avec gratitude : dix mois de prison assortis pour moitié du sursis. S’il justifie d’un nouvel emploi, la peine ferme s’effectuera sous bracelet électronique. Il devra aussi suivre une thérapie.

Amine K. ne bénéficie pas de la même indulgence : quatre mois de prison ferme, plus la révocation d’un précédent sursis. Sa détention est prolongée de sept mois. Il ne paraît pas déçu, même s’il sait que l’expulsion lui pend au nez. A Fleury-Mérogis, il scotche des cartons, apprend le français. Il ne dort plus dans la rue ou chez les autres. Il a retrouvé une forme de dignité.

 

 

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