Tribunal de Meaux : « Les flics et le procureur ? Des fils de putes ! »
Younes jure qu’il n’était pas dans son état normal lorsqu’il a menacé de mort les policiers et un magistrat de Meaux (Seine-et-Marne). Ce détenu qui s’est radicalisé en prison a inquiété ses conseillères pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP). Elles ont alors alerté le procureur.
« Si je les recroise, je les tue. » « Les », ce sont les agents de police qui l’ont arrêté et le procureur qui a requis son emprisonnement. Tous « des fils de putes », estime Younes, 32 ans, né en Seine-Saint-Denis. Comme il ne fait pas de quartier, il voue également aux gémonies les juges qui ont confirmé sa peine et les gardiens de la maison d’arrêt qui ont « niqué [sa] vie ». D’où la crainte de ses deux CPIP, auprès desquelles il s’est ouvert d’un désir de vengeance. Elles ont estimé opportun d’aviser le parquet.
Jugé en comparution immédiate au tribunal de Meaux pour « menace de mort » à l’encontre du magistrat et de personnes dépositaires de l’autorité publique, Younes paraît éberlué de s’être montré si belliqueux. Il faut dire qu’entre la commission des faits, le 22 juillet, et son entrée dans le box des prévenus, le 3 septembre, 44 jours se sont écoulés, qu’il a passés à l’hôpital psychiatrique. Son traitement, qu’il ne prenait plus, y a été rétabli.
Personnalité « borderline » aux « tendances psychopathiques »
De Younes, on ne voit que le front et le sweatshirt noir barré d’un crocodile Lacoste. Masqué, porteur de lunettes de vue à verres épais, les expressions de son visage sont indéchiffrables. Néanmoins, on le devine éprouvé. S’il n’a pas été déféré après le rapport des conseillères et sa garde à vue, c’est parce que le médecin qui l’a examiné le 23 juillet a préconisé la levée de la rétention et l’internement d’office. Le 2 septembre, rasséréné par un mois et de demi de soins intensifs et d’échanges bénéfiques, Younes a quitté son psychiatre.
A sa sortie de l’établissement, il a été réincarcéré par le juge d’application des peines (JAP). Le thérapeute ne s’y est pas opposé, précisant toutefois « la nécessité absolue » de l’ininterruption du traitement et ordonnant une « injection retard », le 6 septembre. Ces piqûres, prescrites aux bipolaires, schizophrènes et patients en « état limite », libèrent lentement un principe actif et pallient l’oubli des pilules quotidiennes.
Younes a indubitablement une personnalité « borderline », confirment des expertises datant de 2011 et 2019. Ses « tendances psychopathiques » sont avérées. Les magistrats ignorent s’il est schizophrène comme il le prétend car ils n’ont pas pu consulter son dossier. En revanche, ils savent qu’il s’est radicalisé au cours de ses années de détention.
« Daech est une secte à laquelle je n’adhère pas »
Candidat au départ au Yémen, peut-être pour aider les rebelles houthis, ce musulman dit ne « pas trop pratiquer car, en France, les tentations sont nombreuses ». Il désapprouve le port de mini-jupes par les femmes, avoue avoir fait l’apologie du terrorisme, « mais Daech est une secte à laquelle je n’adhère pas », précise-t-il. C’est heureux.
Alarmant pour ces motifs, son profil le devient plus encore à la vue de son casier judiciaire alourdi de 16 mentions depuis 2006. La pire, des violences en bande organisée ayant entraîné une infirmité au policier frappé, lui a valu la cour d’assises et cinq ans de prison. Il a également attaqué à l’arme blanche une surveillante pénitentiaire. Dès lors, on peut légitimement être affolé par ses diatribes.
« Clairement, il y a un souci », résume sobrement le président, Guillaume Servant, qui veut mesurer objectivement le danger.
« – Vous avez déclaré ne pas vouloir tuer le procureur mais “faire du sale, l’enculer, le démarrer”. Le démarrer, ça signifie le frapper…
– Je suis d’accord, j’ai tenu des propos déplacés, mais je ne m’en souviens pas vraiment. Je n’étais pas dans mon état normal.
– Enculer, frapper, ce n’est pas sympathique et c’est très inquiétant !
– Je ne le pensais pas, je ne voulais buter personne. J’avais juste besoin de me décharger… »
Se défouler, expulser la colère qui le rongeait intérieurement auprès de ses CPIP en qui il avait confiance. Du reste, il conçoit leur rapport comme une « trahison ».
« Il s’est automutilé pour ne pas passer à l’acte »
Mal à l’aise, Younes fait amende honorable, se confond en excuses, allègue sa « folie ».
« – Vous n’êtes pas fou, vous avez des problèmes psychiatriques.
– Sans médicaments, je manque de discernement. Maintenant, je me sens mieux, je suis apaisé.
– Ah, c’est une bonne nouvelle ! », note le juge.
Aux yeux de la procureure Myriam Khouas, qui n’est pas le magistrat visé par le langage fleuri, l’amélioration de son état de santé ne saurait gommer ses antécédents particulièrement violents. Surtout que sa mère et sa sœur font aussi les frais de ses accès de rage et qu’il a substitué l’alcool au shit. « Un psychiatre évoque sa “dangerosité criminologique” », précise-t-elle. En conséquence, elle requiert un an de prison et la révocation partielle de son sursis probatoire, à hauteur de deux mois.
Me Sarah Gharbi, qui défend Younes, semble estomaquée que l’on veuille renvoyer son client en cellule : « Il s’est livré à ses CPIP car elles l’ont incité à expliquer pourquoi il était si énervé ! Oui, hors contexte, ses propos sont choquants, effrayants. Quand on sait qu’il n’avait plus de traitement, qu’il a sorti ce qu’il avait sur le cœur pendant deux heures, qu’après il se sentait mieux, on ne les excuse pas mais on les comprend mieux. »
« Ses dernières incarcérations ont été dramatiques, ajoute l’avocate. Il s’est automutilé pour ne pas passer à l’acte. Il est seul. S’il a ses médicaments, un accès aux psychiatres, une prise en charge, il est calme. » Elle suggère à son tour « un sentiment de trahison. “Tu peux tout nous dire”, l’invite-t-on et, ensuite, il a l’impression d’entendre : “On t’a bien eu !” Sans soins, tout l’énerve : le feu rouge trop lent à passer au vert, l’auto qui ne démarre pas assez vite, les sirènes de police. Tout l’énerve ! », martèle Me Gharbi. Elle plaide le renforcement de son suivi plutôt qu’une détention sèche.
A l’issue du délibéré, il est déclaré coupable mais les trois juges retiennent « un contexte particulier ». Son discernement était « partiellement altéré », convient Guillaume Servant, aussi est-il préférable de le confier à un JAP. Condamné à six mois de prison avec sursis, auxquels s’ajoutent deux ans de mise à l’épreuve antérieurement infligés, il sera sous sa surveillance.
« Attention, un écart et vous retournez en prison », conclut le président.
« – J’ai compris. Merci beaucoup, Monsieur.
– Ne me remerciez pas, c’est une décision collégiale. »
En regardant Younes quitter le box et rendu à la liberté, on pressent que l’assesseure Céline Delcoigne, juge d’application des peines, a pesé sur ce jugement raisonnable.
Référence : AJU243232