Tribunal de Meaux : Les suspects détroussaient des camionneurs pendant leur sommeil
Poursuivis pour des vols aggravés, trois hommes ont comparu vendredi 7 janvier devant le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne). L’implication de Mohamed n’a laissé aucune place au doute puisqu’il a reconnu avoir dérobé des kilos de fret. Le rôle de Kalilou et de Djime a paru nettement plus nébuleux.
En règle générale, l’instruction à l’audience suffit à comprendre le dossier. Dans le cas contraire, c’est qu’il est bancal. Le 7 janvier, les juges de la 1ère chambre correctionnelle de Meaux ont fait tout leur possible pour démêler l’écheveau brouillé d’une affaire survendue. Cela a pris quatre heures, au cours desquelles la procureure elle-même a donné l’impression d’y perdre son latin. Au point d’abandonner des charges au fil des débats.
Présenté par les enquêteurs comme un gros dossier de vols aggravés par la commission en bande organisée et la récidive, il a pris l’apparence d’une baudruche dans le prétoire. D’un butin préalablement évalué à 800 000 €, il n’est resté que le dixième, en comptant large. Les six parties civiles n’ont d’ailleurs pas dépêché d’avocat pour les représenter. Seul Conforama a demandé le remboursement de 16 394 € de marchandises.
Un passé aussi encombrant que leur magot
Voici donc Djime, Mohamed et Kalilou dans le box des prévenus, arrivant de leur prison après que, le 3 décembre 2021, ils ont été incarcérés. Ce soir-là, à 20h15, la juge Verissimo avait estimé plus raisonnable de renvoyer le procès (notre article du 6 décembre ici). Sage décision vu la complexité de faits que l’on se limitera à résumer.
Djime, Mohamed et Kalilou, qui fêteront leur 35e anniversaire derrière les barreaux, ont selon l’accusation une spécialité : repérer les camions de fret sur les parkings des zones de transit ou les aires d’autoroute, attendre que les chauffeurs dorment, lacérer les bâches ou décadenasser la remorque et charger les palettes de marchandises dans leurs fourgons. Ni vu ni connu, sauf si un conducteur donne l’alerte. Dans ce cas, ils fuient : Mohamed, le meneur, s’oppose à la violence envers les routiers.
Du 16 août au 1er décembre, date de leur interpellation, ils se seraient ainsi approprié 9 palettes de jouets Playmobil, 2 palettes de matelas et télés, 16 de vêtements, 4 de matériel électromagnétique, 4 de couches Pampers, 29 colis d’électroménager. Le tout en Seine-et-Marne, dans l’Essonne, le Val-d’Oise, en roulant en convoi dans des véhicules « intraçables » au nom de sociétés fantômes.
Depuis l’été, les gendarmes surveillent la bande. Mohamed est identifié et géolocalisé. Kalilou et Djime sont embarqués dans le dossier grâce à « des photos de Noirs Africains » prises de nuit sur les parkings. Sur les images de vidéosurveillance, les enquêteurs voient en ces hommes masqués deux « connaissances » : Kalilou et Djime, dont le passé est aussi encombrant que leur magot. Ils feront l’affaire.
De la cocaïne saisie lors d’une perquisition sans témoin
Le 1er décembre, chez Kalilou, sont découverts 10 paquets de Pampers. Ce n’est pas surprenant, sa femme va mettre au monde leur quatrième enfant. Dans une fourgonnette C3 stationnée près de chez lui et repérée sur le lieu d’un vol, ils saisissent 33 boulettes de cocaïne. La perquisition est exécutée sans témoin. Kalilou jure que ni la drogue ni le C3 ne lui appartiennent : « Je conteste tout », réaffirme-t-il à l’audience. Il ne se reconnaît pas sur les clichés produits : « Je suis sûr à 200 % que ce n’est pas moi. »
Même observation de Djime, près de chez qui stationne un Renault Master utilisé pour dépouiller les routiers : « Je suis poursuivi pour trois vols mais c’est trois de trop. Je n’ai jamais pris de fret de ma vie. » Le conducteur de bus dit s’être assagi, il s’occupe de sa femme et de leurs cinq enfants.
Chez Mohamed, les choses sont simples. Le livreur n’a pas pu écouler, sur les marchés, les produits de la centrale d’achat Zalando et des appareils ménagers. Il passe aux aveux, sauf pour les Pampers, et refuse de balancer sa bande. En instance de divorce, père de cinq enfants, détenu « pour autre cause », il explique à la présidente « n’avoir rien à cacher. J’agis par appât du gain ».
« – Vous avez un certain aplomb, vous êtes bien organisé, très efficace.
– Vous avez raison sur tous les points.
– Et combien cela vous rapporte-t-il ?
– Oh, dans les 4 000, pas plus.
– Comme quoi le crime ne paie pas…
– Je suis d’accord. »
Abandon de quatre des chefs de prévention
Mohamed ne sait pas pourquoi il est détenu : « Je suis un peu perdu. » Sa 19e condamnation a été prononcée par la cour d’appel de Paris mais l’arrêt est introuvable. Il a multiplié les vols aggravés, les violences, les trafics de stupéfiants. Kalilou n’est pas non plus un perdreau de l’année : son casier mentionne 13 délits : recel, drogue, extorsion. Djime a été sanctionné à 10 reprises pour des infractions similaires. Le tribunal juge donc des voyous susceptibles d’appartenir au gang de détrousseurs.
Il y a toutefois un hic, que va pertinemment pointer Me Samir Idir, avocat parisien de Kalilou : aucun relevé d’empreinte ni de prélèvement d’ADN n’ont été effectués dans les véhicules suspects. « Les gendarmes affirment que c’est lui, pas moi », rappelle la juge Isabelle Verissimo.
La procureure Myriam Khouas est, elle, convaincue que les coupables se trouvent dans le box, même si elle renonce à certaines charges. La saisie de cocaïne ne tient pas : « La perquisition s’est déroulée sans témoin et les éléments sont insuffisants. » Elle requiert la relaxe. Elle ne maintient que deux vols à l’actif de Kalilou et Djime et demande 15 mois de prison ferme. Deux ans contre de Mohamed, absout du vol de Pampers. Mme Khouas insiste sur « la délinquance d’habitude » et « l’absence de leçons tirées des sanctions à répétition ».
« On les laisse commettre des faits sériels ? Ce n’est pas sérieux ! »
Me Guillaume Arnaud, venu de Bobigny (Seine-Saint-Denis), intervient le premier en défense de Djime. Excepté une photo de son client prise en bas de chez lui, « il n’y a rien. La perquisition ? Rien. Le train de vie ? Rien. De l’ADN, le b.a.-ba de l’enquête ? Même pas ! C’est un peu angoissant, tout ça… Passer des indices aux preuves permet d’objectiver les faits. Là, nous n’avons rien du tout ».
C’est aussi l’avis de Me Samir Idir, qui se lève pour Mohamed et Kalilou. Il s’étonne que les gendarmes n’aient pas interpellé plus tôt les prévenus : « Ils sont surveillés durant des mois et on n’intervient pas ? On les laisse commettre des faits sériels ? Ce n’est pas sérieux ! »
S’agissant de Mohamed, Me Idir ne peut s’attacher qu’à sa personnalité : « Le rôle de la société n’est pas de le briser. Si on se casse une jambe, on est plâtré et on fait sa rééducation. Lui, son plâtre, c’est sa condamnation à un an par la cour d’appel. Je vous demande de lui offrir une béquille. »
La défense de Kalilou est plus mordante : « On évoque des indices graves. La moindre choses seraient de les corroborer ! Donnez-nous les éléments ! Mon client a-t-il un signe distinctif en dehors d’être un “Noir Africain vêtu de noir et masqué”, selon le rapport d’enquête ? A-t-il un œil de verre, une dent cassée ? Y a-t-il du matériel génétique ? Non. C’est inacceptable ! »
« Jamais on ne le voit sur des photos avec les deux autres, les interceptions téléphoniques ne les relient pas, poursuit Samir Idir. Sa participation n’est pas démontrée. » Il souhaite que la justice lui accorde le bénéfice du doute, qu’elle lui rende ce qu’il a de plus précieux : « L’odeur de son bébé né deux jours après son arrestation et qu’il n’a pas encore vu ».
A 19 heures, le trio est reconnu coupable mais le quantum des peines est allégé : 15 mois de détention ferme contre Mohamed, un an pour Kalilou et Djime. Le tribunal a opté pour « un jugement de Salomon » qui referme en douceur un dossier confus.
Référence : AJU267573