Tribunal de Meaux : « Surchargée, la justice ne respecte plus le pacte républicain ! »

Publié le 06/12/2021

A l’issue d’une garde à vue de deux jours, suivie de onze heures d’attente dans la souricière bondée du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), trois prévenus ont appris qu’ils ne seraient pas jugés le 3 décembre. L’horaire tardif et la complexité de l’affaire ont contraint les magistrats submergés de travail à renvoyer le procès.

Tribunal de Meaux : « Surchargée, la justice ne respecte plus le pacte républicain ! »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout. » Ainsi s’exprimaient 3 000 magistrats et greffiers dans Le Monde du 23 novembre. Depuis la publication de leur tribune, les signataires ont été rejoints par 2 500 collègues, selon un décompte arrêté le 1er décembre. Soit la moitié des 9 090 juges et substituts de France qui ont alerté sur la réalité de leur quotidien, à mille lieues des discours du garde des Sceaux sur une institution « réparée ». Loin d’être des « têtes brûlées », ces professionnels refusent de « faire du chiffre » et d’être soumis « à un dilemme intenable : juger vite mais mal, ou juger bien mais dans des délais inacceptables ».

Si la dégradation de leur situation ne date pas d’hier, le satisfecit de leur ministre Éric Dupond-Moretti martelant les « hausses historiques » de son budget les plonge dans la perplexité. Car c’est un euphémisme de dire que sur le terrain, rien n’a changé. Exemple s’il en faut à Meaux le 3 décembre. Les magistrats de la 2e chambre correctionnelle ont terminé dans la nuit la journée commencée à 9 heures. Sans parvenir, malgré eux, à examiner tous les dossiers des nombreux justiciables présents ce vendredi.

Des débats jusqu’à minuit, et un délibéré bien au-delà

La présidente Isabelle Verissimo, courtoise en toutes circonstances, prend des gants pour annoncer la mauvaise nouvelle. Il est 20h20 lorsque Djime, Mohamed et Kalilou font leur entrée dans le box des prévenus. Déférés au tribunal onze heures et vingt minutes plus tôt, ils ont patienté sur un banc côte à côte, serrés, dans la souricière comblée au maximum de sa capacité, en dépit du rebond de la pandémie. Ils sont épuisés, surtout qu’ils sortent de deux nuits en cellule. Ils doivent répondre de vols en bande organisée dont le préjudice avoisine 1,3 million d’euros. Kalilou est aussi poursuivi pour détention de 33 boulettes de cocaïne. Dans la salle, abattus, la femme de l’un, les amis des trois, et les défenseurs arrivés à 13h30.

« Messieurs, compte tenu de l’heure tardive et de l’importance des faits, il ne me paraît pas raisonnable de vous juger ce soir. On en a pour au moins trois heures », indique la présidente. Soit, se basant sur l’hypothèse la plus optimiste, des débats jusqu’à minuit, et un délibéré bien au-delà.

Problème : les suspects veulent en finir vite et le renvoi dans le cadre d’une comparution immédiate nécessite leur accord. Ils ne le donnent pas, puis s’y résignent sur conseil de leurs avocats. Désormais, il convient de savoir s’ils passeront les fêtes de fin d’année en détention ou la cheville crochetée par un bracelet électronique. S’agissant de Mohamed, c’est réglé : détenu « pour autre cause », il vit déjà à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, dans l’Essonne.

Dix-huit mille euros de jouets Playmobil pour le Noël des petits

 Des « vols aggravés », pour avoir été commis en bande organisée, l’on ne saura rien puisque le fond du dossier sera abordé ultérieurement. Presque rien serait plus approprié car, en filigrane, on comprend que la prévention vise l’effraction d’un camion transportant 500 000 € de marchandises pour Le Bon Marché, grand magasin parisien. Également dévalisé, un entrepôt de la centrale d’achat Zalando : le butin se monterait à 800 000 € selon les gendarmes de Coulommiers et Paris, co-saisis. Élevant au total 14 enfants, le trio est aussi soupçonné d’avoir voulu garnir le sapin de Noël avec une multitude de figurines et jouets Playmobil évalués à 18 000 €. Au domicile de Kalilou, père d’un bébé, les enquêteurs ont enfin découvert quelques-uns des cartons de couches Pampers subtilisés. Les délits reprochés se sont déroulés entre le 16 août et le 12 novembre dans l’Essonne, le Val-d’Oise et en Seine-et-Marne. Le coup de filet, lui, date du 1er décembre.

Ce vendredi soir, le tribunal se concentre donc sur la personnalité des trois prévenus. Mohamed, anorak et sweat rouges, lunettes et masque sanitaire chiffonné, se dit en instance de divorce « même si le 6e est en route ». Ses cinq enfants auront bientôt un petit frère ou une petite sœur. Arrêté avant ses complices, il est incarcéré pour vol aggravé en récidive. Condamné 19 fois, ce chauffeur-livreur de 35 ans précise être suivi par une psychologue à Fleury-Mérogis. Il sait qu’il y dormira de nouveau ce soir.

« Il est papa depuis mardi et n’a toujours pas vu son bébé »

 L’enjeu est nettement plus élevé pour ses amis. Djime, doudoune marine, a 34 ans et 10 mentions à son casier judiciaire, notamment « association de malfaiteurs ». Titulaire d’un CAP de cuisinier, il préfère conduire des bus. Ainsi subvient-il aux besoins de sa femme et de leurs cinq garçons et filles. Kalilou, un Ghanéen de 34 ans, a vu le juge d’application des peines il y a 8 jours afin d’aménager sa dernière sanction pour possession de drogue. Malgré cela, il a été interpellé avec 33 boulettes de coke « dans une voiture qui n’était pas à lui », assure son avocat. Las ! son casier fait tout de même état de 13 condamnations. Il veut devenir chauffeur de bus et doit passer l’ultime examen lundi 6. Son 4e enfant est né mardi 30 novembre.

La procureure Marguerite de Saint-Vincent, favorable au renvoi « car il ne faut pas desservir les prévenus », s’oppose à leur remise en liberté. Au côté de Djime, Me Guillaume Arnaud, venu de Bobigny (Seine-Saint-Denis), se montre formel : « Il ne fuira pas ! Vous l’imaginez prendre ses cinq enfants sous le bras et s’en aller ? ». Il sollicite un contrôle judiciaire.

En défense de Mohamed, Me Caroline Desré, de permanence à Meaux, ne plaide évidemment pas l’élargissement mais « regrette qu’il faille attendre 20h20 pour prendre un dossier prévu à 13h30 », et finalement le renvoyer. « C’est extrêmement pénible, le parquet devrait mieux s’organiser ! »

Plutôt que blâmer le seul ministère public, Me Samir Idir préfère fustiger l’institution : « Mon client, qui nie les faits, voulait être jugé aujourd’hui », déplore l’avocat du Barreau de Paris en soutien de Kalilou. « On renvoie, puis on requiert la détention provisoire qui est une sanction… Surchargée, la justice ne respecte plus le pacte républicain ! » Il insiste sur le sérieux de Kalilou, l’examen du 6 : « Pourquoi penser au pire, à la fuite ? Il est papa depuis mardi et n’a toujours pas vu son bébé, une petite fille de 3,127 kilos. Même à 3 heures du matin, j’aurais plaidé la relaxe. Laissez-le poursuivre sa formation, voir son enfant. Placez-le sous bracelet la nuit, si vous avez peur », implore-t-il.

A 22 heures, les trois juges reviennent en salle d’audience. Deux mandats de dépôt sont décernés contre Djime et Kalilou, Mohamed étant maintenu en détention. Ils comparaîtront vendredi 7 janvier, normalement à 13h30. Me Idir salue du poing les trois prévenus, tombe la robe, écœuré, avant de filer sous la pluie et la lune noire. Les magistrats et le greffier quitteront le palais de justice après avoir rédigé le délibéré et rangé leurs dossiers.

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La longue attente d’un délibéré tardif, vendredi 3 décembre, dans la salle des pas perdus du tribunal de Meaux.
(Photo : ©I. Horlans)
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