Tribunal de Pontoise : « C’est un film d’horreur ! »

Publié le 28/03/2024

Le tribunal correctionnel de Pontoise juge, ce vendredi 1er mars, un homme accusé de violences habituelles contre sa compagne. D’abord à l’instruction pour des faits de nature criminelle, le dossier a finalement été renvoyé en comparution immédiate.

Tribunal de Pontoise : « C’est un film d’horreur ! »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

« — Monsieur Seif B. ?

— Oui.

— Ou Monsieur Amour ?

— Non, c’est fini ça », dit le prévenu de 31 ans en esquissant un sourire. Amour est un alias qu’il a donné par le passé. La présidente rigole et fait des blagues, ça détend Seif. « Je vais lire ce qui vous est reproché maintenant, donc je vais un peu moins rigoler. » Seif se crispe.

Le 21 août 2022, les policiers d’Argenteuil accueillent Mounia qui vient porter plainte. Ils savent qui elle est et ce qu’elle subit, puisque ces derniers mois elle les a appelés à plusieurs reprises pour dénoncer des violences, sans qu’il soit possible de mettre la main sur son auteur… Mounia dit avoir essuyé des coups de poing, de pied, avoir été traînée au sol. Il lui aurait aussi tailladé l’avant-bras avec un bris de verre. Cette fois-ci, après que la plainte fut enregistrée et 5 jours d’ITT constatés, la procédure est lancée.

Avant de poursuivre, la présidente demande : « vu que du temps a passé, est-ce que vous reconnaissez avoir commis ces violences sur Madame ?

— Oui, je reconnais que je l’ai frappée. Il y a eu des moments où c’était très difficile, et j’ai eu mes torts.

— Et selon vous, qui a commencé ?

— Les deux.

— Bon, on a déjà un petit peu progressé. Je vais vous rappeler quelques éléments. »

« Je vais te couper en mille morceaux. »

Les faits débutent en novembre 2021, peu après qu’ils eurent emménagé ensemble. Un jour, elle reçoit un SMS d’un ami qui l’invite à sortir. Il lui prend son téléphone, lit le message et pète un plomb : « sale pute, tu mérites pas de vivre, personne ne t’aime, sans moi tu ne vaux rien sale clocharde », voilà ce qu’il lui dit.

Une autre fois, il roule en voiture et se porte à sa hauteur alors qu’elle marche sur le trottoir. Il lui arrache son téléphone, lit des messages qui ne lui plaisent pas, l’attrape par les cheveux et la traîne sur plusieurs mètres en lui hurlant : « T’étais où sale pute ? Je sais que t’as baisé hier, je vais te couper en mille morceaux. » Elle appelle les secours, il s’enfuit.

Plus tard, elle décide de partir. Elle appelle un ami, qui vient accompagné d’un ami à lui, pour l’aider à déménager. « Les deux hommes vous voient arriver, Monsieur, et vont expliquer que vous vous êtes jeté sur elle et qu’ils ont dû s’interposer », dit la présidente. Avant de quitter les lieux, il jette une brique sur la voiture de Mounia. Quand la police arrive, il a disparu.

Cette succession de violences dénoncées par la plaignante a des conséquences délétères sur sa santé. Un ami dit que, de joyeuse à vivante, il l’a vue « se métamorphoser en zombi, amaigrie et sans volonté ».

« Elle n’a pas peur de moi »

Pour un temps, Seif est introuvable. Il ne sera interpellé qu’au mois de novembre, placé en détention dans le cadre d’une information judiciaire. Mais déjà le dossier vacille : Mounia revient sur ses déclarations. Elle dit qu’elle a tout inventé, et souligne qu’elle est enceinte de lui. Elle déclare au juge d’instruction : « J’ai toujours été la fille dont personne ne voulait, j’étais perdue, j’ai rencontré Monsieur, on a fondé un foyer. Quand j’ai appris qu’il m’avait trompée, je n’ai pas accepté, j’ai pris le chemin de l’enfer, j’ai pris de la drogue, je suis allée voir la police et je leur ai menti. » Finalement, l’affaire est renvoyée en comparution immédiate, et s’il ne peut nier entièrement les faits, puisque le dossier est lesté de dizaines de photos d’ecchymoses que la présidente fait défiler sur une tablette, puisqu’il y a deux témoins, il les reconnaît a minima et insiste sur le comportement dissolu et manipulateur de sa femme, prétend-il. Au vu des éléments contenus dans le dossier, la présidente n’y croit pas et lui demande : « Pourquoi elle appelle la police ?

— Elle a pris l’habitude d’appeler la police. Elle n’a pas peur de moi.

— Elle n’a pas peur de vous ?

— Non, sinon pourquoi elle reviendrait ?

— Alors ça, c’est tout le paradoxe. »

Puis elle revient sur la procédure. « Devant le juge d’instruction, on vous a demandé ‘Dans l’hypothèse d’une remise en liberté, acceptez-vous l’interdiction de contact ? Vous répondez oui. Quand vous sortez, qui vient vous chercher ?

— Elle.

— Avec qui vous vivez ?

— Avec elle. Mais madame, quand je suis sorti elle était là !

— Eh bien dans ce cas-là, vous mettez votre main sur le visage et vous passez sans la regarder.

— Et dites-moi pourquoi vous êtes retourné en prison ?

— Parce que je ne respecte pas le contrôle judiciaire.

— Oui mais comment on l’a appris ?

— C’est elle qui a appelé.

— Le juge d’instruction a reçu un coup de fil paniqué de madame, qui lui a dit être encore victime de violence, qu’elle avait peur pour sa vie. »

« C’est là tout le phénomène de l’emprise »

Seif par le passé a déjà écopé d’un rappel à la loi pour une gifle infligée à son ex-compagne, et annonce à la présidente n’avoir pas l’intention de fréquenter Mounia de nouveau. C’est alors que, invitée à plaider, l’avocate de la partie civile débute le récit effarant du traitement que sa cliente disait subir quotidiennement : des supplices sexuels, des menaces de mort, des viols par lui et par ses amis. Des éléments qui ne sont pas dans l’acte de prévention, mais qui avaient été versés au dossier à l’instruction, avant d’être abandonnés. « Oui, Madame la présidente, c’est un film d’horreur ! » Elle ajoute : « Évidemment qu’elle revient sur ses déclarations, et c’est là tout le phénomène de l’emprise et de l’isolement social de la victime. »

Sans s’étendre mais en reprenant l’essentiel, la procureure requiert une peine de deux ans avec mandat de dépôt à l’encontre du prévenu, ce qui « surprend » l’avocat de la défense. « Oui, c’est un cas d’emprise, mais je pense que c’est un cas d’emprise réciproque. Rappelez-vous, il y a des mensonges de tous les côtés. Je crois qu’on est face à une femme qui a une personnalité très particulière. » Face à la peine requise, il demande : « quelle est la solution ? Un an de détention provisoire, c’est énorme. On ne prend pas deux ans avec mandat de dépôt pour une affaire comme celle-là ! »

Après en avoir délibéré, le tribunal a décidé que si : et il ajoute un an de prison avec sursis probatoire. Seif repart en détention.

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