Tribunal de Pontoise : « Elle se tape toute seule avec les radiateurs »

Publié le 15/12/2023

Un homme de 42 ans, déjà condamné pour des faits identiques, nie avoir frappé sa femme. Absente à l’audience ce 16 novembre, elle a tout de même fourni des clichés éloquents de ses blessures et un récit circonstancié aux policiers, tandis que le prévenu se contente de nier.

Tribunal de Pontoise : « Elle se tape toute seule avec les radiateurs »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

La présidente râle. « Où est l’interprète ? J’avais bien dit que je prenais ce dossier après la suspension. » L’huissière tournoie. Elle trotte en talons vers le hall pour voir s’il ne traîne pas dans un coin, appelle les geôles. « Comme d’habitude, il disparaît au moment où on a besoin de lui ! Tant pis, Madame l’huissière on va prendre un autre dossier. » L’avocat, qui attendait son tour depuis cinq heures est furieux.

S’avance alors Mustafa, escogriffe émacié au teint gris qui fait beaucoup plus que ses 42 ans. Il comparaît libre pour des violences habituelles sur sa compagne, en Algérie et à Argenteuil, entre août et décembre 2022. Il conteste tout, « oui Madame la juge », prévient-il d’entrée. « J’ai constaté que quelles que soient les procédures, vous contestez toujours les faits. Que ce soit contre votre première femme, contre les policiers : vous niez, vous niez », répond la présidente. « Tout à fait », répond Mustafa, placide.

Mustafa a donc déjà été condamné pour des violences contre la mère de ses enfants, 14 et 11 ans, qu’il ne voit qu’en visites médiatisées, tente-t-il d’expliquer, peu audible. « Parlez plus fort dans le micro pour que Madame la greffière vous entende. » La présidente hurle, et ça la fait rire. « Pardon, parce qu’elle a une machine à côté d’elle, ça fait un bruit infernal. » Elle change de ton. « Femme après femme, ça se terminera en correctionnelle, Monsieur ? »

Le prévenu et sa compagne se sont rencontrés en Algérie en 2020 et s’y sont mariés. Lui habite en France, elle n’a jamais quitté son pays. Elle arrive à Argenteuil en novembre 2021. Ne parle pas français, ne travaille pas et, très vite, ne sort pas.

Il se saisit d’un couteau, elle tente de le lui arracher et se blesse

En juin 2022, les policiers interviennent à la demande de la voisine, qui a entendu des cris, des bruits, et dit avoir « très peur de monsieur ». Madame pleure. Elle dit que c’est parce qu’elle vient de perdre un proche. Ils repartent. Ils reviennent le 31 août : elle dénonce des faits de violence, leur dit avoir menti, à la demande de son mari, lorsqu’ils s’étaient présentés en juin. Elle décrit une vie de recluse et de menaces, de violences attestées par des photos, mais pas d’ITT.

Le 31 août, donc, Mustafa est en colère car il pense qu’elle lui a volé de l’argent. Il détruit le mobilier, comme à son habitude, et la menace. Elle prend son téléphone pour appeler son oncle, qui ne vit pas loin et que Mustafa redoute. Il le lui arrache, la pousse et lui met un coup de poing. Il se saisit d’un couteau ; elle tente de le lui arracher et se blesse. Elle appelle la police.

Elle présente « trois hématomes violacés sur le bras gauche, un plus étendu au niveau du tiers moyen du même bras. Des traînées érosives sur les doigts. Ce n’est pas vous, Monsieur ?

— Non Madame.

— Madame vous reproche des insultes, des crachats. Vous la dénigrez, car madame ne peut pas avoir d’enfant.

— …

— Madame retire sa plainte le 10 septembre, pour apaiser la relation avant un voyage en Algérie, qui ne s’est pas très bien passé visiblement, vu qu’il y a une plainte déposée en Algérie. Y’a eu des violences en Algérie ?

— Non pas du tout, le contraire. Elle se tape toute seule avec les radiateurs et les murs, elle l’a fait à plusieurs reprises.

— Elle produit un certificat médical, le 29 septembre 2022 : ecchymose au niveau du tiers médian de l’avant-bras gauche, 6 jours d’ITT. »

« Un énorme hématome, mais vraiment énorme »

Les faits sont nombreux, détaillés et circonstanciés, la présidente en donne une lecture minutieuse. « Le 4 décembre 2022, elle explique que vous voulez absolument qu’elle vous montre son retrait de plainte. Elle ne veut pas, car elle a peur que vous le déchiriez. »  Mustafa s’énerve, la pousse, elle tombe ; lui met des coups de pied dans les jambes, l’enferme dans l’appartement. Elle parvient à appeler son oncle. Mustafa revient s’excuser et lui demande de ne pas appeler la police.

Et là elle a dit « ça suffit ». Elle a appelé la police, quitté les lieux et demandé le divorce. Outre le choc psychologique, elle présente un hématome péri orbital, « un énorme hématome, mais vraiment énorme, qui a mis deux semaines à se résorber, au niveau frontal droit. Un sur le bras gauche. Et alors – je vais montrer à mes collègues – alors elle se tape la tête dans les radiateurs ?

— Oui, elle se tape toute seule. Moi j’ai rien à voir.

— Alors dans ce cas-là votre femme est folle, parce que c’est fou le nombre de fois qu’elle se tape.

— …

— Votre première femme, pareil vous ne l’avez pas touchée ?

— On s’était disputé, j’ai pris conscience. Mais là j’ai pas fait ce qu’elle dit.

— Pourquoi dit-elle cela ?

— Elle m’a utilisé pour venir en France. Elle m’a dit « ça y est j’ai obtenu ma carte de résident, maintenant je vais ramener mon amant du bled ».

— …

— Je vous jure !

— En tout cas, le seul point sur lequel les deux sont d’accord c’est pour divorcer, et ça, c’est plutôt une très bonne chose. »

« Je ne me suis pas marié pour qu’elle ramène son amant du bled »

Après avoir estimé que le tribunal dispose de tous les éléments pour entrer en voie de condamnation, le procureur a demandé 18 mois de prison, dont 6 mois avec sursis probatoire contre Mustafa. Interdiction de contact, obligation de soins et de travail.

La défense tente d’instiller le doute … « Ce n’est pas facile, parce que dans ce dossier vous avez la parole de l’un contre la parole de l’autre … et les éléments du dossier. Bref. Il est suivi depuis 5 ans par un psychiatre, ça veut dire qu’il y a une pathologie. Est-ce du fait de cette pathologie qu’il a du mal à se remettre en cause ou à reconnaître ? Il se peut. »

Enfin, Mustafa en rajoute une couche : « Moi, j’ai mal au cœur, j’ai fait confiance à cette femme pour construire une famille … je ne me suis pas marié pour qu’elle ramène son amant du bled. »  Et donc, après la suspension, Mustafa est condamné à 18 mois de prison, dont 10 mois avec sursis probatoire.

Plan