Tribunal de Pontoise : « Je suis sorti de garde à vue, j’ai bu un coup et terminé »

Publié le 22/01/2024

Yannick a 60 ans et comparaît une nouvelle fois pour des faits de conduite sans permis et sous alcool. Les juges devant le fait accompli on a du mal à croire à son sevrage miraculeux consécutif aux faits pour lesquels il est jugé, ce 28 décembre 2023. Mais Yannick dit être un nouvel homme.

Tribunal de Pontoise : « Je suis sorti de garde à vue, j’ai bu un coup et terminé »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

« Cinq infractions, c’est beaucoup », entame la présidente, « mais en réalité, tout cela s’est passé dans un trait de temps », et le prévenu, immobile, les traits tirés, ne dit rien, il laisse la juge résumer ce qui l’a conduit à la barre du tribunal de Pontoise, à 60 ans, 41 ans après avoir comparu pour la première fois devant un tribunal correctionnel qui l’avait condamné pour vol, conduite sans permis et filouterie de carburant, à 6 mois de détention, alors qu’il était à peine majeur et qu’aujourd’hui sa figure, son corps et son allure générale dévoilent une vie où l’alcool a joué un rôle central.

C’est parce que sa conduite était « approximative et hésitante » que la police le contrôle le 4 août vers 16 h 30 sur une route départementale d’Eaubonne. Il reconnaît sur-le-champ ne pas avoir le permis et sent l’alcool, c’est pourquoi le policier lui demande de souffler : « va te faire enculer », voilà ce qu’il aurait répondu, lit la présidente à Yannick, qui réfute avoir tenu de tels propos, et l’outrage n’est d’ailleurs pas retenu par l’accusation. Lorsqu’il finit par souffler, à 1 h 15 du matin, il est en garde à vue depuis longtemps, et son taux révélé est de 0,86 g par litre de sang. « Plus le temps passe sans qu’on ait bu, et en général en garde à vue on ne boit pas, plus le taux d’alcool baisse », fait remarquer la présidente. Elle dit aussi : « En garde à vue, vous utilisez votre droit au silence ». Yannick prend immédiatement la parole, son élocution est difficile :

« Dans le commissariat ça s’est très mal passé »

« Dans ma tête ça n’allait pas. Dans le commissariat, ça s’est très mal passé.

— Même en bord de route, vous avez eu des mots qui auraient pu énerver les policiers.

— Je ne m’en rappelle pas.

—Peut-être faites-vous partie des personnes qui ont des problèmes de mémoire lorsqu’elles boivent ?

— Oui.

— Vous buvez encore ?

— Non, j’ai arrêté. Je suis sorti de garde à vue, je suis allé au bar, j’ai bu un coup et terminé.

— Avez-vous apporté une prise de sang de vos gamma Gt (qui permettent de déceler dans le sang la consommation d’alcool, ndlr) ?

— Non, je n’ai pas trouvé de médecin pour m’en prescrire une. En fait, j’ai appelé, appelé, je n’ai jamais eu de réponse. »

La présidente fait remarquer qu’elle ne peut pas le croire sur parole, et qu’en quatre mois, ce n’est pas sérieux de ne pas avoir réussi à faire une prise de sang. Puis, elle poursuit : « Est-ce que vous conduisez toujours avec ce véhicule ?

— Non, il a été amené à la fourrière et a été détruit.

— C’est une bonne raison de ne plus le conduire. Vous êtes plus bavard aujourd’hui, c’était vraiment à cause de l’alcool ?

— J’étais trop énervé contre eux.

— Et rétrospectivement, vous pensez que ça vous a servi d’être énervés contre eux ?

— Ben non.

— Eh oui ; si vous n’étiez pas venu aujourd’hui, le tribunal aurait pu penser que vous étiez quelqu’un de peu coopératif. On va continuer avec votre personnalité, c’est le moment où le tribunal pose des questions potentiellement indiscrètes pour apprendre à mieux vous connaître. Vous vivez de quoi ?

— Le RSA.

— Vous êtes chargé de famille ?

— J’habite avec ma copine et avec ses enfants. » Il esquisse un mouvement d’épaule vers l’arrière. Une quadragénaire inquiète agite sa main depuis un banc.

« Est-ce que vous avez déjà tué quelqu’un avec votre véhicule ? »

Son passé judiciaire est très fourni. « Qu’est-ce que vous diriez Monsieur sur votre casier ?

— C’est pas beau.

— Y’a des choses qui restent et qui disparaissent. Y’a plus de vol. Mais sur votre rapport à l’alcool et au volant, c’est moins positif. Est-ce que vous comprenez qu’avec un casier comme le vôtre, c’est dur de penser que c’est la vérité que vous avez arrêté de boire ?

— J’ai décidé d’arrêter, j’ai arrêté.

— Est-ce que vous avez déjà tué quelqu’un avec votre véhicule ?

— Non, jamais.

— Est-ce que vous savez que c’est possible ?

— Oui, c’est toujours possible, mais ce n’est pas à la vitesse que je roule.

— Vous pensez qu’il faut aller vite ?

— Non, c’est vrai. Mais là, je roulais à 20…

— La vitesse est un facteur de risque, certes.

— Vu mon âge maintenant, je crois que je vais me calmer un peu quand même.

— Et qu’est-ce qui fait que vous allez vous calmer maintenant et que vous ne vous êtes pas calmé avant ?

— Avant, je fréquentais les mauvaises personnes.

— (Assesseuse de gauche) : Vous envisagez quoi par rapport à votre permis ?

— Avec mon RSA, ça va être compliqué de repasser le permis.

— Cela veut dire que de vous-même vous avez suffisamment de force pour ne pas conduire.

— (Présidente) : Votre compagne a un véhicule ?

— Non.

— C’est peut-être mieux comme ça ».

« On n’est plus au stade du TIG »

Juste avant le réquisitoire, Yannick précise qu’il est prêt à effectuer un travail d’intérêt général si le tribunal était intéressé. La présidente lui jette un regard qui signifie : avec un tel casier, faut pas rêver.

La procureure déclare que « Monsieur est un danger public sur la route, et il n’a toujours pas pris conscience de la dangerosité qu’il représentait. » Elle rebondit : « Un travail d’intérêt général ? On n’est plus au stade du TIG. Monsieur a été condamné à plusieurs reprises à de la prison ferme. Comme je pense qu’il y a une problématique alcoolique, pas de prise de conscience, aucun justificatif, il faut un encadrement judiciaire de cette problématique. » Elle demande 8 mois dont 4 mois avec sursis probatoire ainsi qu’un stage de sensibilisation aux dangers de la route.

Yannick est venu sans avocat et pour sa défense dit seulement : « Je le mérite ».

Il est donc condamné à la peine requise, assortie d’une obligation de soin mais sans stage de sensibilisation, « considérant que si l’on n’orientait pas Monsieur vers la conduite de véhicule, ce n’était pas forcément si dramatique que ça ».

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